
Découvrez les plus beaux béguinages de Belgique, des lieux chargés d'histoire

La première maison de la Joanna’s Plein annonce d’emblée la couleur. Assise derrière la vitre, face à une table de chapelets, une béguine contemple la place principale du begijnhof Sint-Elisabeth de Courtrai. À côté de cette statue, le poêle à bois, la machine à coudre, le piano et un lit rappellent le contexte de vie modeste de ces ermites de la société. Ce matin, il y a bien ces gens qui rentrent chez eux - un cycliste et une senior bien habillée - et les quelques clients de la seule brasserie, mais c’est à peu près tout.
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Le béguinage est ouvert au public en journée, mais il est aussi résidentiel, preuve en est avec cette gamelle pour chiens qui traîne sous une façade blanche à porte verte. Le calme est uniquement rompu par des lointains cris joyeux d’enfants et quelques gazouillis d’oiseaux. Autour du petit jardin public et de son banc en bois, quelques gravures rappellent l’année de création de certaines maisons: 1649, 1610, 1667. Au numéro 31, une lucarne plus punk exhibe une bougie de la Vierge grimaçante et une Carapils. Ça tranche avec les crucifix en bois. Les quelques rares visiteurs du jour n’y prêtent guère attention: ils battent plutôt le pavé en direction de la tour d’Artillerie ou de l’église Notre-Dame. “C’est l’un des plus beaux béguinages de Belgique pour son caractère authentique, confie Rita Fenendael, professeure émérite à l’UCLouvain en langues germaniques et spécialiste des béguinages. C’est ici qu’est décédée en 2013 la dernière béguine du pays. Marcella Pattyn était une figure folklorique très appréciée qui n’hésitait pas à sortir son accordéon. Chaque béguinage a son histoire et ses règles propres. Même s’ils ont des traits communs, il convient donc d’en parler de façon spécifique.”

Le béguinage de Courtrai, moins connu. © Emilien Hofman
Les célèbres et les autres
Officiellement, ils sont au nombre de treize. Treize béguinages belges inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. Il y a les plus célèbres, parmi lesquels figurent ceux de Bruges, Louvain ou Malines, dont la popularité tient beaucoup à la ville où ils sont implantés: Bruges accueille chaque année 8,3 millions de visiteurs tandis que l’université de Louvain est réputée dans le monde entier. Du côté des sites plus méconnus, citons Dendermonde, Hoogstraten, Hasselt ou Diest, que Rita Fenendael considère comme le plus beau du royaume. “Il est formidable parce qu’il présente à la fois l’aspect d’un béguinage “de plaine” et “de rues”. Saint-Trond, quant à lui, n’est pas le plus époustouflant, mais il possède une église dotée de fresques originales et uniques. Dans ce cas-ci, c’est la rareté d’un contenu magnifique qui justifie son inscription à l’Unesco.” De manière générale, la professeure émérite de l’UCLouvain se réjouit que la plupart des villes disposant de ce genre de cloître aient conservé l’esprit des lieux en résistant au capitalisme symbolisé par les chaînes hôtelières désireuses d’installer un établissement. Cela n’empêche néanmoins pas la vie de s’y établir. De différentes façons. Un bucolique marché aux livres s’étend ainsi tous les premiers dimanches du mois dans les rues du béguinage de Diest, tandis que le Groot Begijnhof de Malines organise chaque année en août un festival de musique. “Il y a aussi beaucoup d’activité à Turnhout, reprend la spécialiste. Entre la publication d’une revue de grande qualité sur le monde béguinal et la planification de colloques dans son excellent musée, l’Office du tourisme a compris qu’il avait en sa possession un bien patrimonial à la fois culturel et spirituel, pas uniquement touristique.”
Pas (encore?) présents sur la liste de l’Unesco, d’autres béguinages se montrent également actifs et ouverts. Comme à Anderlecht, à quelques encablures de la bouillonnante station de métro Saint-Guidon, sur la très paisible place de la rue d’Aumale. Ici, les gens parlent indifféremment néerlandais et français, attablés au petit café bobo spécialisé dans les cafés et cocktails spéciaux. Juste en face de la maison d’Érasme et de sa superbe façade, un petit sentier discret mène au centre culturel Escale Nord puis à l’Espace Carême, dont le très joli café ouvre - les beaux jours - sa terrasse sur les anciens jardins du béguinage. Car il y a bien un béguinage en plein centre de la capitale! Probablement l’un des plus petits du pays, d’ailleurs, avec sa petite cour, son puits condamné, son arbre qui reprend progressivement forme après l’hiver et ses deux bâtisses en briques tout fraîchement rénovées. Un lieu hors du temps à visiter gratuitement chaque premier dimanche du mois.

Le béguinage d’Anderlecht, à quelques encablures de Saint-Guidon. © Emilien Hofman
Initiatives modernes
En 1995, une poignée de retraités décidaient de créer à Louvain-la-Neuve six petites maisons et un appartement autour d’une petite place et de l’Évangile: le béguinage de Lauzelle. Vingt-huit ans plus tard, Rita Fenendael - qui est par ailleurs résidente de ce mini-quartier - constate un réel engouement pour la création de nouveaux béguinages en Belgique comme en France. “Le “concept” béguinal, soit sa philosophie, est certes ouvert à tous et chacun y boit selon sa soif: spirituel, patrimonial, social, architectural…, soutient-elle. Mais pour créer un vrai béguinage, il faut en respecter ses valeurs d’origine, qui remontent aux années 1200, lorsqu’il s’agissait d’un mouvement sauvage avec peu de structures, orienté vers une forme de solidarité tout en favorisant l’autonomie. On emploie ce terme à toutes les sauces, mais je le réserverais aux habitats groupés ayant une colonne vertébrale spirituelle ou chrétienne.”

Les six maisons du béguinage de Louvain-la-Neuve. © Emilien Hofman