
Bénédicte Linard sur le conflit entre la presse et la RTBF : «On se trompe d'ennemi»

Son papa n’est autre que le journaliste André Linard, sa maman était infirmière à Cureghem. Elle sourit en l’évoquant. La ministre écologiste des médias a tiré de ses parents sa vocation et ses convictions. Pour faire face à l’actuelle fronde qui agite les médias publics et privés, Bénédicte Linard a préparé un tas de notes. Dans le bâtiment qui abrite la désargentée Fédération Wallonie- Bruxelles, on vient tout juste de rétablir le chauffage. Manière peut-être de réchauffer les relations glaciales qui se sont installées ces derniers jours entre médias publics et privés...
Aujourd’hui, il y a un conflit entre la presse et la RTBF sur l’info en ligne gratuite. Et c’est vous, en tant que ministre, qui en êtes l’arbitre...
Bénédicte Linard - (Elle hésite.) Je vais commencer par le début. Depuis trois ans, le contexte est très difficile, très mouvant. Les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, soit les géants du Web - NDLR) prennent toute la place en matière de pub et des regroupements qui se sont faits au sein des médias francophones. Or on doit pouvoir sur notre territoire soutenir des médias forts, de qualité et fiables, au service des citoyens et des citoyennes. Oui à la pluralité de la presse, mais surtout oui au soutien aux journalistes qui permettent d’avoir une info de qualité. On estime qu’on doit soutenir les médias dans ce contexte compliqué, mais aussi les journalistes. Il n’y a pas que les aides à la presse et la dotation de la RTBF. Il y a aussi tous les moyens que l’on a mis en œuvre pour soutenir les journalistes.
Quoi donc?
La pression des Gafam est partout, c’est mondial. Nous avons mis 5 millions pour soutenir toute la visibilité des médias francophones sur le numérique. C’est l’enjeu fondamental aujourd’hui: comment passe-t-on d’un lectorat papier à un lectorat Web? On apporte aussi un soutien spécifique aux journalistes. On a augmenté à hauteur de 500.000 euros le fonds pour le journalisme, et on l’a pérennisé pour leur donner le temps de produire du travail de qualité. On a une convention avec l’AJP pour défendre les droits des journalistes et les former. Notamment pour lutter contre les violences rencontrées par les journalistes sur le terrain. On soutient l’action “Ouvrir mon quotidien”, où des journalistes présentent leur profession dans des classes. Et puis, il y a les aides à la presse avec plus de 11 millions en faveur de la presse quotidienne.
À lire aussi : La guerre est déclarée entre la RTBF et la presse écrite privée
Donc pour vous, l’ennemi de la presse écrite, ce n’est pas la concurrence de l’info gratuite de la RTBF...
C’est ça. On se trompe d’ennemi dans ce débat. Ce n’est pas le privé contre le public. Il y a une complémentarité à jouer en balisant les missions de la RTBF à travers son contrat de gestion mais aussi en renforçant les synergies entre les différents médias. Je suis en contact constant avec les responsables d’IPM, de Rossel et de la RTBF pour construire un outil qui renforce les collaborations.
Mais vous voyez bien que les patrons de presse sont remontés contre ce projet de contrat de gestion...
L’analyse qu’ils font est basée sur le passé. On renforce les balises pour l’avenir pour éviter la concurrence déloyale et on soutient l’achat d’abonnements numériques de la presse. Ce que nous mettons en place ce sont les plus fortes balises autour d’un média de service public de toute l’Europe, en sachant que 85 % des médias publics en Europe n’ont aucune balise. On va plus loin que ce que recommandait le Parlement. On veut que le média de service public et les médias privés travaillent de manière complémentaire.
Sauf que le paysage médiatique francophone est particulier. La RTBF en représente la moitié...
La RTBF a effectivement une grosse dotation. Mais elle a un rôle spécifique qui dépasse l’information. La RTBF est la première entreprise culturelle de la Fédération. Elle soutient la production indépendante, sans toucher à l’emploi, et remplit des missions d’éducation aux médias. Et si on compare la dotation de la RTBF aux autres médias publics d’Europe, elle est pile dans la moyenne.

© BelgaImage
Les éditeurs disent que leur pérennité est aujourd’hui menacée...
Les défis auxquels ils font face sont majeurs, globaux, mais pas neufs. On assiste à un transfert de l’information sur les réseaux sociaux, la plus grosse perte de recettes étant à imputer aux Gafam. Mais je suis persuadée que nos médias offrent une qualité qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans ce contexte d’accélération de la vitesse de l’information, qui la rend de moins en moins vérifiable. Évidemment, personne ne peut penser que le contrat de gestion de la RTBF est l’outil qui, seul, va régler le problème. Mais, comme écologiste, ministre des médias et démocrate, je veux renforcer la place de l’information de qualité auprès du public. On essaie vraiment au sein de mon gouvernement de trouver un équilibre au service de la pluralité des médias et de l’information.
Pour lutter contre les Gafam, vous avez des recettes?
J’ai deux pistes. On va aider nos médias à être plus visibles dans les algorithmes. Et puis, on va travailler à renforcer l’éducation aux médias pour expliquer à chacun ce qu’est une vraie information de qualité, c’est-à-dire qui nécessite le travail de professionnels qui vont prendre le temps d’investiguer et de respecter un code de déontologie.
Vous y croyez vraiment à l’heure où les jeunes s’informent auprès des influenceurs?
C’est en partie vrai mais pas seulement. On mène un vrai plan d’éducation aux médias avec des outils à destination des enseignants pour qu’ils puissent donner plus de place à la formation à l’esprit critique. Les influenceurs et influenceuses ne sont pas à jeter par ailleurs. Certains prennent très à cœur l’éducation aux médias.
À lire aussi : Pourquoi Google a décidé de financer une quarantaine de médias européens
Le paysage médiatique est fortement morcelé avec plusieurs groupes de presse, des télévisions locales, de l’audiovisuel privé. Que faites-vous pour que chacun ait sa place?
Il y a de la place pour chacun à condition qu’on travaille à renforcer les synergies. Le privé et le public doivent travailler en bonne intelligence. Le rôle de la Fédération Wallonie-Bruxelles est de trouver un équilibre.
Mais c’est le combat de David contre Goliath avec une RTBF bien plus forte que n’importe quel autre média...
Oui et non. Les médias se sont aujourd’hui regroupés pour faire face non pas à la RTBF mais à un contexte mondial. Chaque groupe aujourd’hui fait de l’audiovisuel en plus de l’écrit. Des choix ambitieux ont été posés. Mais le contexte actuel d’inflation et la guerre en Ukraine font augmenter les coûts. C’est se tromper de combat de croire qu’aller encore plus loin dans le contrat de gestion pourrait augmenter le nombre d’abonnements numériques à la presse.
Faire de l’audiovisuel coûte beaucoup plus cher que de faire de l’écrit en ligne...
Oui. C’est la raison pour laquelle la RTBF a eu besoin de soutien pour ses studios, ses techniciens et mener sa transition numérique. Et tout le monde doit aujourd’hui alimenter un site Internet. Et je vous assure que la RTBF est attentive à ne pas mener une concurrence déloyale vis-à-vis des éditeurs privés. On impose par exemple que la partie “information” du site de la RTBF soit exempte de toute publicité.