
Comment des chaînes de télévision tentent de nous rendre climatosceptiques

Cette semaine, le magazine français L'Express a révélé les résultats stupéfiants d'une nouvelle étude Obs'COP, réalisée par EDF et Ipsos. Il s'avère ainsi que les climatosceptiques représentent désormais 37% de la population outre-Quiévrain. La plupart du temps, ceux-ci ne nient pas tant la réalité du réchauffement climatique mais plutôt la responsabilité humaine dans ce phénomène. Ce serait selon eux une évolution parfaitement naturelle, malgré les multiples études qui prouvent le contraire. Le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) confirme d'ailleurs formellement l'impact "sans équivoque" des activités humaines. Dès lors, d'où vient ce déni? Une étude publiée cette semaine dans "Nature" s'intéresse à un facteur particulièrement important: l'exposition à certaines chaînes de télévision. L'article pointe plus précisément comment ces dernières s'y prennent pour décrédibiliser les rapports du GIEC.
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Un scepticisme à plusieurs niveaux
L'importance de la télévision sur le débat public était déjà connu des chercheurs avant l'étude. Des enquêtes avaient par exemple montré que le petit écran restait de loin le premier vecteur d'informations sur le sujet, autant parmi les personnes prenant le changement climatique au sérieux (37%) que celle adoptant la position inverse (20%). Pour mieux comprendre ce qu'il se passait, les auteurs de l'article ont examiné 30 programmes issus de 20 chaînes télé (aux USA, au Royaume-Uni, en Suède, au Brésil et en Australie), certaines étant classées comme des médias "grand public" (BBC, NBC, ABC, etc.) et d'autres comme des chaînes "de droite" (Fox News aux États-Unis, Sky News en Australie, GBTV au Royaume-Uni, SwebbTV en Suède, Rede TV ! au Brésil).
Sans surprise, le ton climatosceptique était "largement absent" du premier groupe, au contraire du deuxième. En l'occurrence, ces dernières adoptent un scepticisme dit "d'impact". Autrement dit, elles ne contestent pas la réalité du changement climatique mais suggèrent que les médias grand public et les scientifiques propagent un discours alarmiste.
L'étude constate aussi un certain "scepticisme des preuves" sur ces chaînes de droite qui invitent souvent des climatosceptiques sur leurs plateaux, ceux-ci étant beaucoup plus rares sur les chaînes "grand public". 73% de leurs programmes ont eu de tels invités.
Autre tactique utilisée: le "scepticisme de réponse". Il s'agit ici de responsabiliser les téléspectateurs quant à l'importance de leurs actions. En ce sens, un présentateur britannique affirme par exemple que "quoi que nous fassions ici [au Royaume-Uni], c'est la Chine qui doit faire bien plus que nous", tandis que Fox News fait valoir l'impact jugé trop important de l'adoption des recommandations du GIEC sur le mode de vie de la population et les libertés civiles (comme le fait de préférer les transports peu polluants à l'avion).
Une polarisation aux implications importantes
Ces différentes techniques encouragent une polarisation du débat, qui apparaît de façon particulièrement évidente aux États-Unis entre Fox News et les autres chaînes, selon les chercheurs. L'étude montre toutefois que des pays où les climatosceptiques étaient encore peu présents il y a peu, comme la Suède, tendent à suivre le même chemin. Les Suédois sont ainsi exposés à deux discours bien différents selon qu'ils regardent la chaîne publique SVT et la chaîne de droite SwebbTV. La première invitait des scientifiques qui rappelaient les projections inquiétantes sur le changement climatique, alors que la deuxième minimisait la gravité de la situation.
Cette évolution est loin d'être anecdotique, alertent les chercheurs, non seulement parce que la télévision reste le média de référence, mais aussi au vu de son influence sur le comportement du public. "La discussion politique légitime doit être soigneusement distinguée des fausses affirmations émises par des groupes sceptiques organisés", rappellent-ils dans un article du média The Conversation. "Cela représente un nouveau défi important pour l'action climatique".