Cédric Klapisch sur Salade Grecque, sa série-événement : "La conception de l’Europe a changé depuis L'auberge espagnole"

Vingt ans après L’auberge espagnole, le réalisateur observe la jeunesse européenne dans Salade grecque, série politico-sentimentale autour d’un héritage dans Athènes aujourd’hui. C’est un événement.

salade grecque
Romain Duris, Kelly Reilly et leurs enfants de fiction – Mia et Tom, interprétés par Megan Northam et Aliocha Schneider. © Prod.

C'est l’une des séries françaises qu’on attendait le plus. On doit à Cédric Klapisch la mise en scène de notre jeunesse - Le péril jeune qui révélait Romain Duris en 1994 et l’un des succès inattendus de la période Covid - En corps, éblouissant portrait d’une danseuse en reconstruction.  On était donc très excité de découvrir son regard sur la jeunesse actuelle dans Salade grecque. Une jeunesse confrontée à un basculement du monde sans précédent, de la crise des réfugiés à la guerre en Ukraine, en passant par la remise en question du capitalisme. Le point de vue est celui du fils et de la fille de Wendy et Xavier (Kelly Reilly et Romain Duris de L’auberge espagnole qui apparaissent en guests). Un frère et une sœur que tout oppose - Tom (Aliocha Schneider) est un golden boy et Mia (Megan Northam) est engagée dans une association de défense des réfugiés. Lorsqu’ils héritent d’un immeuble à Athènes, leur rapport à la vie, à l’amour et à l’engagement s’en trouve radicalement modifié. Avec humour et tendresse, Cédric Klapisch (qui coréalise les huit épisodes avec Lola Doillon et Antoine Garceau) capte les rituels de passage à l’âge adulte et les événements qui soudent une génération. On y croise une brassée de personnages magnifiquement écrits (dont le charismatique Noam, un jeune homme du Burundi) qui vont se confronter et s’aimer sur fond de pop grecque.

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Trouvez-vous que la jeunesse européenne est moins insouciante qu’il y a vingt ans?
Cédric Klapisch  -
Sans hésiter, oui. Qu’on la voie comme forteresse ou terre d’asile, la conception de l’Europe a changé. La précarité étudiante est plus grande, l’isolement aussi, aggravé par les réseaux sociaux et le Covid. C’était intéressant de confronter ces deux portraits de la jeunesse européenne à vingt ans d’écart. Tout ce que j’allais inventer pour Tom et Mia allait être enrichi par ce qui existait avant. L’auberge espagnole, c’était une petite Europe dans un appartement. Salade grecque, c’est une petite Europe dans un immeuble.

Le cœur de la série, c’est le débat politique, chose qu’on ne voit pas assez à l’écran.

La conscience politique est au cœur des préoccupations des personnages. C’est quoi être de gauche aujourd’hui?
Je ne sais pas. Le cœur de la série, c’est le débat politique, et c’est quelque chose qu’on ne voit pas assez à l’écran. Au départ, Tom se définit comme ni de droite ni de gauche, donc de droite. Mia est clairement gauchiste. La série permet de revenir au débat sur les différences de valeurs. La question de la légitimité de l’héritage est une énorme question politique qui suppose la remise en question de l’argent, du capital, de la réglementation des frontières, de la propriété. On retrouve tous ces questionnements au niveau de l’immeuble lorsqu’il est squatté. Qui est légitime à partir quand un immeuble est vide et que des gens sont dans la rue? Ça, c’est un débat de gauche. Et quelle que soit l’issue, les débats font avancer.

Pourquoi Athènes comme décor?
Barcelone où se passait L’auberge espagnole a beaucoup changé. La ville s’est embourgeoisée et la problématique catalane que je trouvais légitime dans les années 2000 me semble très antieuropéenne aujourd’hui. On s’est interrogé sur Berlin, Leipzig, Lisbonne et assez rapidement Athènes est arrivée. Athènes, c’est le berceau de l’Europe et de la démocratie. La crise grecque de 2010 rend aussi les problématiques contemporaines très présentes. C’est aussi la frontière de l’Europe. Les camps de migrants se trouvent là-bas, même si nous n’y entrons pas vraiment. Et puis, la guerre en Ukraine s’est ajoutée au fur et à mesure du développement de l’histoire… On a commencé à tourner à partir de janvier 2022, tous les épisodes étaient écrits, mais on a fait apparaître la ville au septième épisode.


On peut voir Tom comme un personnage en déconstruction alors que Mia est déjà très émancipée. Était-ce conscient à l’écriture?
On peut l’analyser ainsi mais ça n’était pas conscient au départ. La série, c’est six cents pages de texte (supervisé par Lola Doillon - NDLR). Se libérer d’un carcan, c’est ce que va découvrir Tom. Avoir moins, aller vers la décroissance, c’est aussi l’idée. L’époque Bernard Tapie est révolue. Aujourd’hui, les jeunes sont axés vers la décroissance. Tom arrive en conquérant, en jeune homme blanc issu d’une famille bourgeoise. Au début il dit “Je ne suis pas comme eux”. Il va apprendre qu’il est comme les autres et remettre en question ses privilèges. Mia est une rebelle mais sa problématique est différente, elle doit se libérer de l’emprise amoureuse.

C’est aussi une série sur la famille…
La famille, c’est déjà une microsociété avec les puissants et les exploités. Ceux d’en haut et ceux d’en bas, ceux qui doivent obéir et ceux qui donnent des ordres. Le schéma de la société se met en place dès la famille. Ici, Tom et Mia passent des épreuves qui ne sont d’ailleurs pas les mêmes pour un garçon et une fille.

En quoi le destin féminin diffère selon vous?
Les femmes disent souvent qu’elles acceptent leur vulnérabilité. À l’école, les filles essayent autre chose que la force. Même si on sait que c’est faux de dire que les femmes ne sont pas fortes, ce schéma reste ancré. Je trouve que, dans le féminisme actuel, l’apprentissage de la vulnérabilité est une force pour les femmes. La différence de destin est peut-être là. Mais les paradoxes subsistent. Vouloir plaire continue de hanter les filles. C’est compliqué à déconstruire. Mais à partir du moment où il y a débat, les choses avancent.

*** Prime Video

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