Quinta Brunson (Abbott Elementary) : "Les gens voient les professeurs comme ils voient un électroménager"

La créatrice, scénariste et actrice principale d’Abbott Elementary revient sur la création de la série à succès, la thématique de l’enseignement et la deuxième saison.

QUINTA BRUNSON dans Abbott Elementary
© ABC

Sitcom autour d’une école publique de Philadelphie et de ses professeurs, Abbott Elementary est la bonne surprise de ces dernières années à la télévision américaine. Plébiscitée par le public et encensée par la critique (déjà 3 Emmys et 3 Golden Globes), elle a, selon la presse américaine, rendu ses lettres de noblesses aux séries tout public des grandes chaines américaines, dépassées par les chaines premium (HBO, Showtime...) et le streaming.

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Quinta Brunson, créatrice, scénariste et interprète de Janine la jeune institutrice surmotivée, revient avec nous sur la genèse du projet et son succès.

C’était important pour vous qu’Abbott Elementary soit une série pour un network, une grande des 4 chaines américaines. Pourquoi ce choix à l’ère du streaming ?
Ces séries sont très différentes des autres parce qu’elles doivent être appréciées par le plus grand nombre. Pour cela, on doit travailler dans un cadre bien défini: des épisodes de 22 minutes, des coupures pubs, pas d’injures, pas de scènes de sexe... Mais je trouve qu’elles ont un coté réconfortant. Elles sont courtes et sympas, puis on s’attend à un certain type d’humour qu’on ne retrouve pas forcément ailleurs. C’est un univers dans lequel j’avais vraiment envie de travailler.

On sent bien que la priorité de la série est l’humour, mais elle aborde tout de même les bons et mauvais côtés du quotidien des écoles publiques. Quel message vouliez-vous faire passer ?
En écrivant la série, je voulais juste créer une comédie dans un univers propice à cela, sans forcément faire passer de message. Je voulais donc montrer ce qu’était vraiment la vie d’enseignant avec humour. Mais les difficultés du métier sont difficiles à ignorer. On ne pouvait pas ne pas aborder le sous-financement de l’éducation, les problèmes qu’on peut avoir avec les élèves... Je pense que le fait d'exposer les choses au grand jour permet aux gens d’ouvrir les yeux. C'est une très bonne chose.


Comment avez-vous choisi quelles problématiques aborder ?
Pour la première saison, je me suis surtout basée sur la carrière d’institutrice de ma maman, en reprenant les histoires qu’elle m’a racontées au fil du temps. Pareil pour les autres scénaristes. La majorité d’entre eux connait au moins un éducateur ou un professeur, de près ou de loin.
Pour la deuxième saison, par contre, nous avons fait des recherches. Je voulais qu’on parle des « charter schools » (ndlr : écoles sous tutelle d’une société et soumises à moins de contraintes qu’une école publique traditionnelle). Pour maitriser le sujet, nous avons rencontré des professeurs et des directeurs qui avaient travaillé dans les deux systèmes, pour connaitre les avantages et inconvénients. Je pense qu’on va continuer de travailler comme ça. C’est très bénéfique pour nos histoires, ça les rend convaincantes.

Quels retours avez-vous eu du monde de l’enseignement ?
Que du positif de la part de professeurs, d’éducateurs... C’est toujours génial quand une personne m’aborde dans la rue pour me dire qu’elle est enseignante et qu’elle est ravie de voir qu’on vise juste. Pourtant, ce n’est pas vraiment notre but. Ça peut être un piège d’essayer d’être 100% réaliste. Mais tant mieux si on s’en approche.

Mais quand la série a commencé, certains éducateurs étaient contrariés par le personnage d’Ava (ndlr : la directrice incompétente). Ils pensaient que c’était un mauvais exemple pour les directeurs. Mais je n’ai jamais dit que ça l’était ! C’est juste un personnage de série.

 

Espériez-vous que la série suscite des vocations ?
Des gens commencent à me dire que ça les a motivé à devenir profs... Cela m’a surprise ! C’est étrange, on est quand même assez honnête sur les difficultés du métiers, le salaire... Après ça ne m’a pas tant choqué que ça non plus, puisque je connais des instits et ils adorent vraiment leur boulot. Si enseigner est vraiment ce que vous voulez faire dans la vie, je ne pense pas que quelques obstacles vont vous faire abandonner.

Abbott Elementary

© Prod.

Pourquoi pensez-vous que l’enseignement est un secteur si peu considéré dans le monde, même dans les pays riches et développés ?
Oh wow ! Je me suis beaucoup posé la question... Deux raisons me sont venues à l’esprit. D’abord, c’est une profession surtout occupée par des femmes, et depuis ses débuts. À l’origine, c’était donc facile de dire « c’est un travail de femmes », ce n’est pas dur ou important, et donc de ne pas s’en préoccuper.

L’autre raison selon moi est que les métiers essentiels sont les plus faciles à ignorer parce qu’ils n’ont rien de prestigieux ou d’extraordinaire. Les gens voient les professeurs comme ils voient un électro-ménager. Une fois, mon mari et moi avions déménagé dans un chouette appartement et ce n’est qu’une fois dedans qu’on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de machine à laver. Je ne pouvais pas y croire !
C’est le parfait exemple d’une chose super importante à laquelle on ne pense pas vraiment parce qu’on se dit que ça sera toujours là. Mais quand on ne l’a plus, tout à coup, on perd ses moyens. On l’a bien vu avec la pandémie. Plein de gens devenaient fous juste parce qu’ils devaient donner cours à leurs propres enfants. Imaginez un professeur qui fait ça avec trente élèves tous les jours. Et ils font ça impeccablement.

Aujourd’hui, Abbott Elementary est populaire aux Etats-Unis sur ABC et partout dans le monde en streaming, la série a déjà reçu des tas de récompenses... Est-ce que vous vous attendiez à un tel succès lorsque vous aviez filmé le pilote?
Je sentais que c’était vraiment une série spéciale. Ce n’était pas le premier projet que je développais. J’avais déjà créé deux séries auparavant, qui n’ont jamais été signées et diffusées. Mais pour Abbott, dès le moment où on a fini le pilote et qu’on l’a envoyé à la chaine, j’ai dit « Ça y est, c’est la bonne, c’est le mieux que je puisse faire ».

Le casting s’était bien passé, le recrutement du staff technique aussi. Tout s’est vraiment parfaitement mis en place. Une fois sur le plateau, avec tous les acteurs en costume, le décor, les enfants, je me suis dit que si on était pas signés pour la saison, c’est que je n’avais rien à faire à la télévision. Je m’en serais sûrement remise et j’aurais probablement recommencé, mais je savais qu’on avait fait quelque chose de top. Je suis très reconnaissante de tout ce succès parce que je suis vraiment contente de ce qu’on fait.

La série plait tellement qu’après une première saison de 13 épisodes, la deuxième en fera 22. Qu’est-ce que ça a changé pour vous, en bien ou en mal?
22, c’est aussi excitant qu’intimidant. Mais j’ai arrêté de stresser quand j’ai réalisé que cela nous donnait l’occasion de faire des épisodes plus légers. Les scénaristes me charrient tout le temps parce que ce sont ceux qui m’emballent le plus. On n’est pas obligé d’avoir un sujet important à chaque fois ! On peut faire des épisodes qui sont juste fun, comme celui sur l’exercice incendie. J’étais tellement excitée à l’idée d’écrire une histoire sur le camion des pompiers, que les autres auteurs me prenaient pour une folle. Mais j’adore les camions de pompiers, je peux en parler pendant des heures ! (rires)

Quand je pense à mes séries préférées, les épisodes que j’adore sont ceux qui n’ont aucune importance dans l’histoire, ceux où les personnages sont juste drôles et passent un bon moment. C’est comme la vraie vie. Parfois avec ses amis, on traverse des choses compliquées et à d’autres moments, on fait juste un brunch ensemble et on rigole. 22 épisodes, ça nous permet d’avoir ces deux facettes.

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