
Festival CanneSeries: pourquoi les séries télé nordiques se sont imposées

Ce vendredi 9 octobre, Cannes a repris un peu des couleurs. Si elle pleure toujours l’annulation de son célèbre rendez-vous cinématographique, la Croisette se console avec la troisième édition du festival international des séries. Un rendez-vous marqué cette année par l’omniprésence des productions originaires d’une région pourtant peu peuplée: la Scandinavie. Dans la catégorie principale des compétitions, quatre séries sur dix viennent des pays nordiques. Et quand on prend en compte la totalité du programme, une projection sur trois a été créée là-bas. Jamais les états scandinaves ont été si bien représentés. Mais cela ne fait que confirmer la réussite d’une recette qui intrigue déjà les spécialistes depuis plusieurs années, notamment avec son genre phare: le noir nordique.
Des choix cruciaux pour lancer l’industrie
Cela fait des décennies que les pays scandinaves se sont faits experts dans le style policier. Déjà dans les années 1970, 50% des films de fiction norvégiens s’inscrivaient dans ce créneau fait savoir la revue des médias de l’INA (Institut national de l’audiovisuel). Mais à partir des années 1990, une stratégie va se révéler payante pour que ces productions se fassent connaître à l’international. Les marchés danois, suédois et norvégien sont petits et de ce fait, les chaînes de télévision vont chercher à coproduire des séries avec d’autres pays, notamment avec les États-Unis. À la clé: des moyens financiers plus importants mais aussi une visibilité mondiale. Grâce à des liens importants avec l’Allemagne, la chaîne franco-allemande Arte se fera aussi un grand promoteur des séries d’origine scandinave.
En parallèle, ces pays nordiques puisent leur inspiration dans leur importante littérature qui bénéficie déjà d’une certaine notoriété, notamment avec des histoires de crimes. De là découle notamment la réutilisation du personnage de Kurt Wallander. En combinant cet ancrage national avec les coproductions internationales, on aboutit à la formule de la «glocalité» théorisée par le directeur de la fiction sur la télé suédoise, Christian Wikander. Autrement dit, la Scandinavie a réussi à marier exposition globale et philosophie locale.
Un épanouissement fulgurant sur une décennie
La recette commence vraiment à payer au début des années 2010. La série suédoise Millenium et la Danoise The Killing font un carton et deviennent des emblèmes de ce que les médias anglo-saxons commencent à nommer le «noir nordique». Le mélange du polar scandinave classique et de la télévision contemporaine fait mouche. Le thriller traditionnel est remodelé pour le petit écran tout en restant fidèle aux œuvres d’origine, comme si les producteurs prenaient le meilleur des mondes littéraire et télévisuel.
Mais les séries scandinaves ne vont pas se cantonner au noir. Deux phénomènes vont se combiner pour aboutir une diversification des thèmes. Il y a la glocalité mais aussi une caractéristique intrinsèque des télés nordiques. Ces dernières ne peuvent produire qu’en petites quantités et cela les incite à être particulièrement créatives. En découle à la fois un attrait pour la science-fiction mais aussi un tournant plus universel, sociétal et politique. Cela donne naissance à d’autres séries elles aussi très populaires comme Borgen au Danemark, et Real Humans en Suède. En abordant des thèmes qui résonnent fortement en temps de crise économique, cela facilite leur visibilité à l’étranger. Leurs réflexions sur la société contemporaine plaisent et le style scandinave s’affermit.
Grâce à cette base solide, les productions scandinaves ont continué leur diversification pour s’attaquer à d’autres sortes de récits dramatiques, notamment historiques et comiques. La série danoise Rita est un exemple, tout comme Skam en Norvège qui est ensuite réadaptée à toutes les sauces dans d’autres pays.
Une réaction timorée à l'arrivée de Netflix
C’est dans ce contexte qu’a lieu un grand séisme dans le milieu: Netflix. Face à ce phénomène, les pays scandinaves peuvent compter sur leur expérience en coproductions internationales et en effet, cela contribue à rendre encore plus visible les créations nordiques. Le Danemark, la Suède et la Norvège inaugurent leurs séries locales spécifiquement dédiées à Netflix à la fin des années 2010 avec respectivement The Rain, Quicksand et Ragnarök.
Mais sur Netflix, la Scandinavie ne fait pourtant pas figure de précurseur. D’autres pays non-anglo-saxons s’y prennent même parfois plus tôt: l’Espagne (Elite et Les demoiselles du téléphone), la France (Marseille), l’Italie (Suburra), le Japon (Hibana), l’Argentine (Edha)… Comme l’explique au quotidien chilien "La Tercera" Tess Sophie Skadegård Thorsen, chercheuse spécialisée dans le cinéma danois, l’arrivée de Netflix, Amazon & Co. est un véritable défi pour la Scandinavie. «L'ère du streaming a continué à diffuser des séries danoises à travers le monde, mais elle est aussi souvent considérée comme une menace pour l’écosystème danois. Étant donné que de nombreuses plates-formes plus importantes ne garantissent pas l'embauche locale ou les contributions aux économies locales de l'industrie, des négociations ont eu lieu sur la manière de gérer ces puissantes plates-formes externes», explique-t-elle.
CanneSeries: la consécration
Malgré cette épreuve, le succès des séries scandinaves reste vivace. Comme le note l’AFP, le noir nordique est encore populaire, en témoigne par exemple la sortie de Young Wallander sur Netflix et l’intérêt de la BBC pour la série danoise The Investigation.
À Cannes aussi ce genre continue à faire des émules, comme avec Cryptid qui suscite un «vif intérêt». Les autres styles dramatiques y sont aussi représentés, dont celui historique avec Atlantic Crossing. Les productions scandinaves comptent faire parler d’elles encore longtemps et ce dans tous les registres, même s’il va falloir gérer habillement la transition à marché forcée imposée par le streaming.