
Detroit : une réalisatrice qui dérange

En mai dernier, Spike Lee est revenu sur le devant de la scène cinématographique avec BlackKlansman, un récit à la fois impertinent et cool sur la question des droits civiques et du racisme structurel aux États-Unis. Qui trahissait sous les replis de l’humour une rage toujours intacte chez le réalisateur de Jungle Fever face à l’hégémonie et la violence de l’homme blanc au sein de son pays. Le mal ne s’amenuisant pas depuis l’accession de Trump au pouvoir: on ne compte plus en effet les bavures policières quotidiennes à l’égard de la communauté afro-américaine.
Mais la réponse “from Hollywood” la plus cinglante à Trump et son obsession à construire des murs de haine, et, par-delà, à une histoire américaine entachée par son racisme ordinaire envers ses enfants noirs ne vient pas d’un réalisateur, mais d’une réalisatrice: Kathryn Bigelow. Son film Detroit offre en effet une réponse sans rire, lui, radicale, avec le but clair de prendre en tenaille son interlocuteur. À la morgue dominatrice, la cinéaste oscarisée répond par l’exposition de faits sanglants indubitables, froids, cliniques qui se sont déroulés l’été 1967 à Détroit, en marge des émeutes consécutives à la ségrégation et à la guerre du Vietnam de plus en plus contestée à l’époque dans la rue.
Bien entendu, il y a aussi du cinéma. À l’instar de sa “bombe” Démineurs, Bigelow saisit avec une lenteur concertée le feu qui couve, les frustrations, la tension latente d’une Amérique prête à exploser comme une cocotte-minute et dont le point d’orgue sera cette nuit de toute l’injustice aveugle et chaotique à l’Algiers Motel à Détroit, qui se soldera par le massacre d’innocents Noirs par des policiers sûrs de leur toute-puissance.
Elle dérangeait parce qu’elle surpassait les réalisateurs sur leur propre terrain du blockbuster d’action. Aujourd’hui, Bigelow dérange par un cinéma-vérité dont l’efficacité (le rythme imposé au récit le rend passionnant) et la pertinence (sa fiction historique est d’une brûlante actualité) nous explose à la figure comme une grenade dégoupillée sur nos consciences trop tranquilles.