
Avec Alma, le Théâtre de Namur ouvre sa grande salle à la culture drag

Après le récent Hippocampe aux Tanneurs et au Varia, spectacle illustrant l’activisme drag, avant le brunch drag du Beursschouwburg (le 20 mai), après les drags de l’atelier Charivari au carnaval de La Louvière, avant le show Ru Paul’s Drag Race au Lotto Arena d’Anvers (le 9 novembre), après la finale de Drag Race Belgique, et avant les sessions Queeriosity - espace d’expression drag au Théâtre de la Vie à Bruxelles (29 mai et 26 juin) -, le Théâtre de Namur ouvre sa grande salle à la culture drag dont les corps-spectacles ont séduit les arts de la scène. Au croisement du cabaret et de la comédie musicale, remake make-up du mythe de Faust, Alma met en scène la finale d’un jeu de téléréalité. Un jeu où le diable - ou pour être plus juste la femme du diable incarnée par la drag-queen Peggy Lee Cooper - aura son mot à dire. L’idée de plonger Faust dans les arcanes de l’industrie de la télé a germé dans la tête de Peggy Lee Cooper pour qui “le monde de la téléréalité est un des meilleurs endroits pour vendre son âme de nos jours”.
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Née sous le signe du ukulélé
Coécrit et mis en scène par Fabrice Murgia, Alma ausculte la matière dont sont faites ces idoles modernes relevant de la “culture kleenex”, selon l’expression du metteur en scène. Murgia a imaginé un dispositif scénique où l’image est multipliée grâce à l’utilisation de caméras. “Le spectateur a un triple statut, commente-t-il. Il est chez lui et regarde la télé, il est dans le studio télé pour assister à l’émission en live, et il est spectateur de théâtre puisqu’il est venu voir le spectacle. Parfois le show s’arrête, c’est l’occasion alors pour une caméra d’aller espionner l’intimité des loges des deux finalistes ou pour écouter un personnage chanter.”
Sur la scène drag, Peggy Lee Cooper est une pionnière qui a su imposer un personnage carruré comme un coffre-fort et une voix gutturale qui fait passer Sylvester Stallone pour un ado en pleine mue. Fille de la Mama Roma, club gay de Liège spécialisé dans le happening transformiste, elle y a fait ses premiers pas en 1992. Née il y a douze ans un jour de récital au ukulélé, Peggy Lee Cooper est un objet d’art qui n’a cessé de pousser l’esprit drag hors de l’underground pour le mettre en lumière dans des spectacles dont les titres - J’ai des lettres mais j’ai pas de culotte, Peggy Lee Cooper massacre Noël - reflètent assez adroitement son style parfumé.
Passée par le Théâtre de la Toison d’or (en 2013), par le Théâtre National, par le Kabaret Karbon de Liège, et par bien des pays (cette créature est internationale), Peg est une artiste qui sait où elle met les pieds et ne craint pas de brader son art sur l’étal de la tendance. “Fabrice Murgia est animé par un intérêt sincère et une curiosité honnête, commente la show girl. Mais c’est vrai que le drag est à la mode, j’ai l’impression qu’on en voit un peu trop partout pour le moment. L’émission Ru Paul’s Drag Race a été déclinée en Belgique comme dans plusieurs autres pays, c’est devenu le MacDonald de la drag. À un moment, le public n’associe plus la culture drag qu’à cela, alors qu’il y a eu beaucoup d’autres artistes avant - je pense notamment à Dame Edna et à Harvey Fierstein.”
L’esprit drag a toujours véhiculé un humour impoli, une forme de mauvais goût et de mauvaise réputation, mais aussi un vrai désir de traîner avec les rejetons les plus dénigrés de la culture populaire - chanteuses de variété, actrices de soaps et autres icônes du bas de l’échelle. Les puristes pourraient crier à la récupération… “Il n’y a pas d’appropriation, il y a une professionnalisation du genre, les artistes drag demandent des contrats, on n’est plus dans le truc underground”, répond Murgia qui évoque un décloisonnement entre le théâtre contemporain et le cabaret. “En travaillant sur ce projet avec Peggy Lee Cooper, chacun a fait un pas chez l’autre, mais je ne vais pas dire que je n’ai pas intellectualisé le propos. Qu’on le veuille ou non, il y a dans le drag toute une poésie.” L’artiste drag se défend, elle, de vouloir faire intello. “Ce serait intellectuel si Murgia me demandait de faire une version théâtrale de Peggy Lee Cooper, mais il me laisse carte blanche pour faire du Peggy Lee Cooper. La seule différence, c’est qu’ici, on a plus de moyens, un plus grand plateau, de meilleurs micros, et que ce n’est pas nous qui collons les strass sur nos robes et heureusement: il y en a 30.000 sur tous les costumes.”
Du 16 au 19/5. Théâtre de Namur. www.tccnamur.be