dEUS : « Notre nouvel album 'How To Replace It' montre que nous avons survécu »

Le groupe anversois reprend son trône avec “How To Replace It”, premier album studio en onze ans sur lequel Tom Barman questionne le temps et son âme.

dEUS
© Joris Casaer

“I came back from a firestorm. News from a deadzone”. “Je suis revenu d’une tempête de feu. Des nouvelles de la zone morte”. Les mots chantés par Tom Barman sur Must Have Been New, single paru cet automne et première nouvelle chanson de dEUS en onze ans, ne laissent planer aucun doute. À 51 ans, le leader charismatique du groupe anversois a ­traversé une période sombre qui nourrit “How To Replace”, huitième long format de dEUS et sans aucun doute l’album de rock alternatif le plus attendu de ce début d’année. “Oui, j’annonce la couleur.  Mais “How To Replace It” n’est pas pour autant triste ou pessimiste. C’est même tout le ­contraire. C’est un disque de défi”, nous dit-il, attablé dans l’arrière-salle de restaurant d’un hôtel trendy de la capitale mondiale du diamant.

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Après notre rencontre, Tom Barman va rejoindre le Vantage Point Studios, repère du groupe situé à quelques centaines de mètres. “Nous commençons les répétitions pour la tournée qui débute ce 8 mars au Luxembourg et on a hâte de pouvoir présenter de nouvelles choses à notre public.” Depuis “Following Sea” en 2012, Tom Barman et dEUS n’ont pourtant pas arrêté: la compilation “Selected Songs 1994-2014”, le Soft Electric Tour, où le groupe mettait en lumière un répertoire moins connu de son back catalogue, les célébrations live autour du vingtième anniversaire de son classique “Ideal Crash” avec un record de concerts sold out consécutifs à l’Ancienne Belgique (8), un disque avec son projet jazz TaxiWars, une expo photo… Pff. Et puis la confection de “How To Replace It”, album à l’écriture thérapeutique et à la musicalité ­flamboyante sur lequel dEUS approfondit sa vision d’un rock épique singulier, loin, très loin de la norme.

“Zea”, le tout premier EP de dEUS est sorti voici exactement trente ans. Qu’est-ce qui vous rend le plus fier dans l’histoire de dEUS?
Tom Barman -
Je suis dans le présent. Ce qui me rend le plus fier, c’est d’avoir réussi à enregistrer trente ans après nos débuts un album comme “How To Replace It”. Dans la carrière d’un groupe, il y a des hauts et des bas, des trucs de merde, des choses peu intéressantes ou complètement mégalos. Mais là, nous avons tous l’impression d’avoir fait un beau disque qui compte. Pas pour des raisons commerciales, mais pour des raisons artistiques et personnelles. “How To Replace It” montre que nous avons survécu et surmonté toutes les épreuves qui nous sont tombées dessus.

L’album s’ouvre par un court extrait de la B.O. du film Un homme et une femme de Claude Lelouch. C’est comme un générique?
Nous n’avons gardé que les tambours que Francis Lai avait utilisés au début du thème Aujourd’hui c’est toi. Nous souhaitions lancer “How To Replace It” avec un morceau épique “à la dEUS” qui plante le décor et donne un peu le climax général. Le morceau Bad Timing avait déjà la même fonction sur notre album “Pocket Revolution” en 2005.

La “tempête de feu” évoquée dans le single Must Have Been New relève-t-elle de l’intime?
Oui, mais elle n’a rien à voir avec le groupe. C’est plutôt personnel. Je suis passé par beaucoup d’émotions: des choses très passionnelles, de l’ordre du privé, une grosse crise familiale et une rupture sentimentale après une longue relation. La séparation s’est bien déroulée, si tant est que cela puisse bien se passer, mais elle a laissé des traces. J’étais en studio, avec des chansons à enregistrer. Avec ce que je ­traversais dans ma vie, j’avais de quoi écrire.


L’album “The Ideal Crash”, dont vous avez célébré le 20e anniversaire avec une tournée euphorique, s’inspirait également d’une rupture amoureuse. Vous avez fait le parallèle?
La tournée anniversaire The Ideal Crash a eu clairement une influence sur “How To Replace It”. Nous avons fait une soixantaine de concerts où on jouait l’intégralité de ce disque. Sur scène, nous nous rendions compte de l’énergie et de l’intensité qui s’en dégageaient. À la fin de la tournée, nous étions tous d’accord pour insuffler la même dynamique sur notre nouvel album. Pour l’écriture, ce n’est pas du tout la même chose. “Ideal Crash” racontait un premier chagrin amoureux. J’avais vingt-sept ans, j’en faisais quelque chose de très romantique. La cassure que je relate sur “How To Replace It” est beaucoup plus profonde.

Dans la chanson 1989, vous dites devoir “mener les batailles qui sont les vôtres”. De quoi s’agit-il?
1989, c’est l’année où mon père est mort. C’est une chanson sur le jeu de la mémoire, la nostalgie et les mensonges. Quand tu es jeune et que ton père est malade, tu donnes une version à tes amis, à ta petite copine et puis, plus tard, aux journalistes. Mais quid de tes vrais sentiments, de la relation que tu aurais voulu avoir avec lui, des actes manqués, du manque d’une figure paternelle? Voilà ce que sont mes batailles. Je n’ai pas encore toutes les réponses. On a voulu en faire un titre qui sonne musicalement “années 80”. Il y a du synthé, un beat programmé plutôt qu’une vraie batterie. En studio, j’évoquais la rythmique de Streets Of Philadelphia de Bruce Springsteen. Ce n’est pas une référence à laquelle on pense forcément pour dEUS. C’est nouveau.


Le Tom Barman de 1989, il rêvait de quoi?
À dix-sept ans, je ne rêvais pas. Je faisais. Je venais de prendre la guitare. Je m’amusais, je découvrais. Je me suis rendu compte très vite que je n’allais jamais devenir un grand guitariste ni un grand chanteur, mais qu’en faisant les deux et en m’appliquant à écrire, ça pourrait peut-être mener à quelque chose.

À partir de quand vous avez compris que ça devenait sérieux avec dEUS?
Ce n’est arrivé qu’après notre troisième album “Ideal Crash” en 1999. Avant, nous faisions des jams et on enregistrait des chansons sans trop réfléchir au futur. Il n’y avait pas de modèle auquel s’identifier en Belgique, rien qui indiquait que c’était possible. C’était du fun. La seule ambition “sérieuse” pour moi, c’était le cinéma. Et puis la musique a pris le dessus. Après la tournée “Ideal Crash”, j’ai pu me poser un peu chez moi à Anvers. J’ai commencé à réfléchir sur ce qui nous était arrivé durant les dix dernières années: la reconnaissance, les tournées internationales, nos clips sur MTV… Je me suis rendu compte de ce que nous avions accompli et j’ai pu alors m’occuper de mon premier film (Any Way The Wind Blows, en 2003 - NDLR).

Chaque fois qu’un nouveau groupe à guitares fait un petit buzz en Belgique, on parle de “nouveau dEUS”. Un peu comme avec Eddy Merckx en cyclisme.  Ça vous touche?
Ce genre de réflexion n’arrive pas toujours à mes oreilles, mais ça me touche. Pour dEUS, c’était le nom de TC Matic et d’Arno qui revenaient, voire celui de Front 242. Ce n’était pas le style de musique qu’on faisait mais la comparaison était flatteuse en termes de qualité artistique.

L’été dernier, dEUS a donné une poignée de concerts, notamment au Ronquières Festival, sans album à défendre ou anniversaire à célébrer. Quel était l’enjeu?
Nous terminions “How To Replace It”. J’étais épuisé et nerveux, mais il y avait beaucoup de plaisir à jouer cet été. On a fait effectivement un très bon concert à Ronquières. C’était une manière pour nous de tourner la page. Dans le groupe, nous sommes tous d’accord pour dire qu’on en a marre de jouer notre best of sur scène, ce qu’on a fait beaucoup ces dernières tournées. On commence seulement les répétitions, mais on aimerait bien proposer un maximum de ­nouvelles chansons et quelques “nouvelles” anciennes que les gens ont oubliées.

Après le record de huit concerts sold out en 2019, ce sont quatre autres dates complètes qui vous attendent en mars à l’Ancienne Belgique. Que se passe-t-il avec cette salle?
Des journalistes flamands ont écrit que dEUS avait peur de jouer dans des grandes salles. C’est faux, hormis le Sportpaleis d’Anvers que nous ferons peut-être un jour, dEUS s’est produit partout en Belgique. Mais l’AB a quelque chose de particulier, on s’y sent bien. Ce n’est pas trop petit comme jauge, pas trop grand. Et puis enchaîner les concerts, ça veut dire que je peux dormir sur place dans un hôtel à Bruxelles. Et j’aime ça.

Au final, pensez-vous avoir enregistré “How To Replace It” pour les mêmes raisons que votre premier album “Worst Case Scenario” en 1994?
Je me suis posé cette question pendant l’enregistrement et la réponse est oui. La raison est ­simple. C’est parce que j’adore faire ça. J’adore dEUS, j’adore partir en tournée avec ce groupe. En studio, l’intensité, la concentration et l’excitation sont identiques à ce que je ressentais voici trente ans. Et si ce n’était pas le cas, j’arrêterais dEUS et je ferais autre chose, car il y a déjà ­beaucoup trop d’autres artistes qui sortent des disques pour des mauvaises raisons.

La critique ****

Exigeant mais passionnant de bout en bout, “How To Replace It” est un grand disque de dEUS. On reconnaît la signature du groupe sur How To Replace It et Never Get You High, deux chansons où la mélodie finit par naître du chaos organisé entre guitares et section rythmique. Il y a aussi du jazz expérimental (Simple Pleasures), un Tom Barman crooner façon Leonard Cohen sur Faux Bamboo, un tube feelgood rétrofuturiste (1989), du “parlando” français comme on en retrouvait sur Quatre mains ou chez Magnus avec Le blues polaire, titre construit comme un scénario de film de la Nouvelle Vague. Beaucoup de chœurs féminins dans ce mur(mure) du son et donc, des chansons de rupture. Sommets du disque, le poignant Dream Is A Giver et la ballade piano/voix Love Breaks Down. Très fort.

Du 14 au 17/3, Ancienne Belgique (complet).
Le 25/6, Live Is Live, Anvers.
Le 15/7, Dour Festival.

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