"Le Botanique emmerde les algorithmes" : passation de flambeau entre Paul-Henri Wauters et Frédéric Maréchal

Après 35 ans, Paul-Henri Wauters quitte ses fonctions de directeur du Botanique. Frédéric Maréchal le remplacera en août. Passage de témoin dans nos colonnes avec ce dialogue de passionnés.

Botanique
© JC Guillaume

Paul-Henri Wauters, 63 ans, a éteint les lampions des Nuits Botanique ce 12 mai. Quelques heures plus tard, il entamait “le premier jour du reste sa vie”, ­quelque part au milieu des vignes en Toscane. Quasi au même moment, Frédéric ­Maréchal, 57 ans, démontait pour la ­dernière fois les chapiteaux du Roots & Roses, le festival qu’il a créé à Lessines où il dirigeait aussi le Centre René Magritte. “Fred”, comme tout le monde l’appelle, a été choisi à l’unanimité par le conseil d’administration du Botanique pour succéder à Paul-Henri Wauters comme directeur général et artistique de l’institution. Les deux hommes se sont rencontrés à la fin des années nonante “on ne sait plus très bien où mais ça devait être à un concert” et ont ­commencé à collaborer dans les années 2000. “Chaque fois qu’on se voit, il est difficile de dire quand s’arrêtent les conversations de professionnels et quand débute le simple échange amical”, explique Paul-Henri Wauters. Moustique les a réunis pour une conversation à bâtons rompus. Souvenirs, ­sourires et même fous rires…

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Quel est le premier acte que vous allez poser dans votre nouvelle vie?
Paul-Henri Wauters -
J’ai quitté le Botanique le 12 mai. Quand je marchais rue Royale, j’ai posé un dernier regard sur les bâtiments en essayant de me souvenir du premier regard que j’avais eu ­lorsque j’ai investi les lieux en mars 1988. À l’ultime seconde de mon mandat, j’étais à 200 % “dans” le Bota. Une seconde après, j’étais à 200 % dans autre chose que j’attends de vivre de manière tout aussi intense.

Frédéric Maréchal - Je fais le chemin inverse de Paul-Henri. En août prochain, lorsque je prendrai officiellement mes nou­velles fonctions, j’aurai un dernier regard “extérieur” sur le Botanique. Celui du spectateur qui y a vu des tas de ­concerts et a vibré. J’aimerais garder cette sensation en y travaillant.

Quelle est la première chose qui vous vient à l’esprit quand on évoque le Botanique?
F. M. -
Pour moi, c’est le lieu de toutes les excellences au niveau des musiques actuelles et des arts plas­tiques. Le Botanique est le précepteur de ce qui se fait de mieux en Fédération Bruxelles-Wallonie.

P.-H.W. - Récemment, mon équipe a ressorti en format A4 la liste de tous les artistes qui sont venus jouer au Botanique. Il y avait entre 12.000 et 13.000 noms. J’ai eu un sentiment de vertige. Quand je ferme les yeux aujourd’hui, je vois cette liste et je me dis: “Wouah, on a fait tout ça! C’est passé tellement vite”.

Les Nuits Botanique 2023 dévoilent leur programme

© BELGAIMAGE

Quand on gère une institution ayant pour mission de favoriser l’émergence culturelle, faut-il se dire en permanence que la seule certitude vient du changement?
P.-H.W. -
Non. Je ne le crois pas. Pour un directeur, la réussite d’un tel lieu consiste justement à ne pas changer. Il faut garder le cap. Rester curieux comme au premier jour, être attentif, prendre le temps d’écouter ou d’aller voir tous les projets émergents, se nourrir de son expérience pour faire les bons choix. Nos choix. Fred est d’accord avec moi, le Botanique emmerde les algorithmes. C’est en ­gardant la même approche qu’on peut proposer à chaque fois des choses nouvelles et pertinentes.

F.M. - Quand on reprend la direction générale d’une telle institution, trois cas de figure peuvent se ­présenter. Soit ça ne fonctionne pas et il faut tout chambouler, soit on part de zéro et il faut tout construire, soit c’est un cinq étoiles et le challenge est plus délicat. Le Botanique est un cinq étoiles. Ma mission n’est pas de changer mais de pérenniser l’action qui a été faite. En musique et dans le domaine culturel, les circonstances changent, mais la manière de les appréhender doit rester identique.

Vous abandonnez chacun votre bébé. Les Nuits Botanique pour l’un, le Roots & Roses pour l’autre. Vos réactions?
P.-H.W. -
Pour l’équipe du Botanique, les Nuits sont un marqueur temporel dans l’année, une période où on travaille de manière plus intense. Ce qui me rend le plus fier, c’est que nous avons réussi à faire de ce festival un rendez-vous pour les artistes de la Fédération Bruxelles-Wallonie. Ils calent leur agenda de sortie d’un album ou d’un EP en fonction des Nuits. Pour cette édition 2023, quelque vingt artistes/groupes de la Fédération sont venus présenter leur nouveau disque. Personne ne peut nous enlever ça.

F.M. - Le point commun entre les Nuits et le Roots & Roses, c’est le travail artisanal dans le sens noble du terme. Il y a, certes, du chiffre et du volume. Mais ce sont deux événements qui ont un parfum particulier. Les artistes et le public savent qu’ils vont y être accueillis de manière bienveillante. Ils savent qu’ils ne sont pas des numéros ou des statistiques calculées sur la base des réseaux sociaux. À la base de ces deux propositions culturelles, iI y a une démarche humaine et une passion musicale. Je quitte le Roots & Roses avec le sentiment d’avoir réussi une magnifique dernière édition. Ceci dit, je ne suis pas nostalgique. Je n’ai pas versé une larme. Un tel festival n’est pas le projet d’une seule personne. Il y a une équipe en place qui va faire du bon boulot sans moi.

 

Votre plus beau concert vu au Botanique?
F.M. -
Le groupe australien Tropical Fuck Storm. Je ne l’ai pas vu au Botanique quand il s’y est produit en septembre dernier mais le lendemain à Tourcoing. C’était une claque, un des meilleurs concerts de toute mon existence. C’est ce genre d’émotion que je veux ressentir quand je me rends dans une salle.

P.-H.W. - Vic Chesnutt en 2005 aux Nuits Bota­nique. Je l’ai vu débarquer seul en chaise roulante sur scène. J’étais dans un coin, appuyé contre la paroi du chapiteau. Je comptais m’éclipser quelques minutes plus tard car j’avais pas mal de choses à gérer ce soir-là, mais je suis resté jusqu’au bout sans bouger.

Quelle qualité particulière appréciez-vous chez l’autre?
F.M. -
J’ai toujours admiré chez Paul-Henri cette capacité à apprécier tous les styles de musique de qualité. C’est une caractéristique très inspirante dans notre métier. J’y ai beaucoup travaillé et j’y travaille encore. Même si je m’intéresse à beaucoup de ­choses, j’ai cette étiquette “musique roots” qui me colle à la peau et je sais que je dois m’en libérer.

P.-H.W. - Pour le connaître depuis longtemps, je peux dire que les qualités humaines de Fred sont les mêmes que ses qualités professionnelles. J’admire sa capacité à se lancer dans un projet et d’aller jusqu’au bout. Moi quand je suis arrivé au Botanique, il y avait des gens en place, des salles et une réputation. Fred, il a créé le Roots & Roses à partir d’un terrain vague et il en a fait une référence.

Qu’avez-vous envie de vous souhaiter mutuellement?
F.M. -
J’aimerais que Paul-Henri puisse enfin assister à un concert pour son pur plaisir et sans devoir se poser des questions de ”professionnel”. J’ai aussi envie de lui dire que le Botanique va continuer à naviguer dans de belles eaux.

P.-H.W. - Je n’ai que des messages d’amitié à trans­mettre à Fred. L’équipe du Botanique allie passion et travail. Je lui souhaite de garder cette adhésion et je serai toujours disponible s’il a besoin d’un conseil.

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