
Stromae, la fin d'un règne ?
Comme en 2015, Stromae doit s'arrêter net, épuisé par le rythme incessant des concerts, par l'exigence qu'il s'impose lui-même à ce que le show soit parfait, immense, imposant. Il est évident que la santé du chanteur est plus importante qu'une tournée. Mais la question se pose: alors que le public avait attendu six ans pour revoir son idole, Stromae remontera-t-il un jour sur scène?
Multitude marquait le retour du roi. Après la période Racine Carrée qui avait fait de lui le chanteur belge le plus populaire depuis Jacques Brel, mais qui l'avait aussi laissé exténué, sur les rotules, en proie à l'anxiété et à la dépression, Stromae était prêt à reprendre son trône. «J’ai commencé à être un peu jaloux de ce que les autres artistes faisaient», disait-il en 2022 à La Repubblica.
Et le maestro était bien parti pour s'y asseoir à nouveau, durablement, peut-être définitivement - les sept Palais 12 annoncés signifiaient un record absolu impossible à dépasser. Mais en fin de compte, il faut bien dire que, d'un point de vue strictement professionnel, ce retour laisse un goût amer d'inachevé. Or, on le sait, le show business ne fait pas dans le sentiment: Stromae aura-t-il une autre chance?
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La conquête de l'ouest à demi achevée
Pour Multitude, sa stratégie était de conquérir l'Amérique du nord. C'est là, outre-Atlantique, et particulièrement aux Etats-Unis, le plus gros marché musical et le plus difficile à conquérir, qu'il a porté ses efforts, multipliant les interviews (alors qu'il n'a donné qu'une conférence de presse pour toute la presse belge) et entamant sa tournée par deux concerts au prestigieux festival Coachella (les premiers concerts au Palais 12 en mars 2022 étaient en réalité des tours de chauffe en vue du festival).
Après une série de concerts l'été chez nous (Werchter Boutique et Les Ardentes), la tournée Multitude est lancée outre-Atlantique à l'automne 2022. Quatorze dates au Canada et dans les grandes villes américaines. Une tournée à guichet fermé. Stromae triomphe dans des salles de 8 à 20.000 places. Du jamais vu pour un chanteur belge!
C'est qu'il se passe quelque chose aux Etats-Unis. Depuis quelques années, le pays de l'oncle Sam est dans une fièvre pop latine chantée en espagnol. Des figures du reggaeton comme Bad Bunny, J Balvin, Rosalia et autres se retrouvent au sommet des charts américains. Il n'est plus nécessaire de chanter anglais pour percer! La diaspora latina fait la loi musicale. Dans ce contexte, la major Universal compte sur Stromae pour faire de même avec le français, en s'appuyant sur tous les francophones (Français, Québecois, mais surtout Africains ou Antillais) d'Amérique. Résultat? Le pari est à moitié réussi.
Si Multitude a atteint la 1ere place des charts "World Music" et que Santé et L'Enfer ont fait une apparition dans le Billboard 200, les disques ne sont restés qu'une semaine dans les tops. Des débuts prometteurs, mais qui n'ont pas, malgré le featuring avec Camila Cabello destiné au public latino, permis à Stromae de s'installer durablement aux Etats-Unis. Pour percer le marché US, il faut y être présent sans cesse, se montrer, y jouer dans tous les recoins les plus perdus, placer des titres dans des films et des séries, faire des featurings avec des stars... Stromae est, de très loin, l'artiste belge à avoir été le plus loin dans la conquête de l'ouest. Mais il restait encore beaucoup à faire pour qu'il devienne un artiste "installé" comme il l'est en Europe.
Stromae est-il grillé dans le métier?
En Europe, justement, Stromae espérait enfoncer le clou. Il n'y a pas que dans les pays francophones que Racine Carrée avait cartonné. En Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas, même en Angleterre... Mais la loi du business est dure. Il faut à chaque disque repartir de zéro pour s'assurer la place sur le trône. Malheureusement, c'est le volet européen de la tournée qui passe à la trappe. Milan, Amsterdam, Cologne, Berlin, Hambourg, Londres... Toutes ces dates ont été annulées.
La question qui se pose désormais est de savoir si Stromae n'est pas simplement grillé dans le métier. Vue de manière froide, façon business first, que note-t-on? Par deux fois, il doit abandonner sa tournée avant son terme. Et ce coup-ci, il restait pas moins de 36 dates à assurer! - on espère que son producteur Auguri est bien assuré... Un promoteur va-t-il à nouveau faire confiance à Stromae pour mettre en place une tournée internationale à gros budget comme le Multitude Tour? Rien n'est moins sûr...
Stromae lui-même en a-t-il envie? Les tournées éreintantes le pèsent plus qu'il ne veut l'admettre. A 38 ans, Multitude marquait déjà un retour. S'il prend du recul durant plusieurs années, comme ce fut le cas après Racine Carrée, on peut se demander s'il va un jour remonter sur scène? En tout cas, les tournées gigantesques comme celles auxquelles il nous a habituées semblent pour le moins compromises à l'avenir.
Bien sûr, tout cela n'est que futilité par rapport à l'état de santé de Paul. Ce qui importe le plus est de le voir remis sur pied et heureux. Mais Stromae a été un tel champion, comme la Belgique n'en a jamais connu, que son retrait forcé fait mal. Stromae a décomplexé tout un pays, décomplexé ses artistes qui sont aujourd'hui plus populaires que jamais, il a dépoussiéré et modernisé la chanson française, a instauré le show à l'américaine dans ses concerts et établi le marketing comme un art. Tous les artistes belges ou français, d'Angèle à Zaho de Sagazan, de Damso à Pierre De Maere, lui doivent quelque chose. Stromae a tracé la voie. Faut-il désormais parler de son art au passé?