Roger Waters à Anvers : "Pour les fans de Pink Floyd, j’étais le bad guy"

À 79 ans, le cofondateur de Pink Floyd fait ses adieux à la scène ce 14 mai à Anvers sur fond de controverses, de rancœur mais aussi de classiques rock qui comptent toujours.

Roger Waters
© BelgaImage

15 juillet 1987. Le bassiste anglais Roger Waters publie son deuxième disque solo “Radio K.A.O.S.” Un opéra-rock centré sur un jeune handicapé gallois. Le bide. Trois mois plus tard, Pink Floyd, le groupe qu’il a fondé en 1965 et quitté avec acrimonie en 1985, revient à l’instigation de son désormais rival David Gilmour avec l’album “A Momentary Lapse Of Reason”. Un triomphe.

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J’en ai vraiment bavé à cette époque, confiera Roger Waters à Moustique lors d’une interview réalisée en 2017 à New York où il vit. Nous tournions alors chacun de notre côté aux États-Unis. Pink Floyd remplissait les stades. Moi, je peinais à attirer les gens dans des petites salles. Non seulement tout le monde se foutait de mes chansons, mais en plus, pour les fans de Pink Floyd, j’étais le bad guy. Le sale type qui avait tout sabordé et foutu la merde en intentant un procès (qu’il perdra - NDLR) à ses anciens potes.

Ajoutée à un caractère teigneux et une propension à la mégalomanie, cette rancœur rendra Roger Waters de plus en plus amer au fil des années. L’échec de “Radio K.A.O.S.” lui servira pourtant de leçon. Tout en continuant à enregistrer des disques solos où il se remet en question artistiquement (l’excellent “Is This The Life We Really Want?” en 2017), Waters s’est réapproprié le catalogue de Pink Floyd pour attirer à nouveau les foules, rejouant notamment sur scène dans leur intégralité les chefs-d’œuvre “The Dark Side Of The Moon” et “The Wall”.

Psychédélisme et théâtralité

Pour le This Is Not a Drill Tour (“Ceci n’est pas un exercice”), sa tournée d’adieux qui s’arrête ce 14 mai au Sportpaleis d’Anvers, sa setlist comprend deux tiers de chansons de Pink Floyd pour un tiers seulement tiré de sa discographie solo. “Pink Floyd est devenu une marque, c’est comme ça. Les gens veulent entendre des classiques. Et ces morceaux de Pink Floyd que j’interprète sur scène, c’est moi qui les ai écrits. Les nouvelles générations ne sont pas toujours au courant. Sur le site officiel du groupe, qui compte 30 millions d’abonnés, ce n’est pas toujours clair de savoir quelle a été ma contribution. Même David Gilmour ne le sait pas”, nous expliquait-il lors de notre rencontre new-yorkaise.

Waters a bien sûr tort de tout ramener à sa personne et de réécrire l’histoire. Qu’il le veuille ou non, les disques de Pink Floyd sont des œuvres collectives qui doivent aussi beaucoup à Syd Barrett (jusqu’en 1968), aux guitares de son remplaçant David Gilmour, à la batterie de Nick Mason et aux claviers de Richard Wright. Mais il est indéniable que son approche artistique personnelle a eu une influence indéniable sur le rock. Après des débuts en 1965 marqués par le Swinging London et le psychédélisme, Pink Floyd imposera sous l’impulsion de Waters des albums aux thématiques sociétales très fortes. Celles-ci étant sublimées par des morceaux aux structures complexes, loin des formats pop alors en vigueur dans les années 70.

“The Dark Side Of The Moon” (1973) a ainsi pour toile de fond la pression capitaliste et l’aliénation. “Animals” (1977) est une virulente critique sociale inspirée par la fable dystopique de George Orwell, La ferme des animaux. Symbolisé par son célèbre mur de briques blanches, “The Wall” (“Le Mur”) a pour thèmes l’abandon. Ces disques majeurs, inspirés par des failles mentales qui remontent à l’enfance de Waters, font l’objet de tournées où, chose rare à l’époque, les musiciens s’effacent derrière le gigantisme des décors et une mise en scène théâtrale. “La première mégatournée de Pink Floyd a eu lieu en 1977 dans la foulée d’Animals. On utilisait sur scène des personnages géants - un homme d’affaires, un banquier et aussi le fameux cochon volant. À cette époque, c’était révolutionnaire. Mais pour nous, c’était clair qu’il fallait offrir autre chose que quatre mecs en t-shirt noir avec des cheveux longs qui faisaient des solos d’un quart d’heure en fermant les yeux.

Polémiques et convictions

Roger Waters a aussi des convictions politiques très affirmées. Objecteur de conscience à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, son père Éric Waters, finalement incorporé dans un bataillon anglais, périra sous le feu nazi durant la bataille d’Anzio en 1944. Cet épisode, alors que Roger Waters n’a que quatre mois, nourrit “The Wall” (l’album et le film qu’en a tiré Alan Parker) et va faire de Waters un antimilitariste acharné, et parfois maladroit, qui se met toujours du côté des civils. Il a toujours été un fervent défenseur du peuple palestinien. Si ses critiques envers le régime de l’apartheid dans les années 80, sa diatribe contre le leader russe Léonid Brejnev sur l’album de Pink Floyd “The Final Cut” en 1983 (lors de l’invasion russe en Afghanistan) et ses propos anti-Trump en 2017 n’avaient pas fait tache dans l’opinion publique occidentale, ses récentes sorties ont suscité des réactions plus tranchées.

Accusé d’antisémitisme par l’État d’Israël et de nombreuses personnalités (y compris Polly Samson, l’épouse de David Gilmour), Roger Waters est aussi sous le feu des critiques pour un discours prononcé à l’ONU en février dernier. Invité à la tribune par la délégation… russe, Waters a condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie tout en soulignant que cette invasion “n’a pas eu lieu sans provocations”. Suite à ces déclarations et “à son comportement anti-israélien persistant”, la municipalité de Francfort a décidé d’interdire le concert de Roger Waters prévu à la Festhalle le 28 mai. En septembre 2022, la ville de Cracovie, en Pologne, grande alliée de l’Ukraine l’avait déjà déclaré persona non grata. Le concert d’Anvers, lui, est sold out.

Le 14/5, Sportpaleis, Anvers (complet).

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