
Pearl Jam à Rock Werchter 2022: humilité, bienveillance et rock and roll

Vaillant survivant du "Big Four Grunge de Seattle" (qui comprenait aussi Nirvana, Alice In Chains et Soundgarden), Pearl Jam reste, trente-deux ans après sa création, une des valeurs sûres du rock. Le groupe l’a encore prouvé ce jeudi 30 juin devant 88.000 personnes dans une plaine de Werchter traversée par une météo de Toussaint.
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De l’authentique
Voilà un groupe qui n’a rien perdu de sa foi juvénile dans le rock and roll. Voilà un groupe qui a toujours maintenu une éthique rare dans le métier. Pas d’ordinateur sur scène, pas de décor, pas de chorégraphie, de light-show extravagant, de poupée gonflable ou de setlist qui ne bouge jamais. Comme Bruce Springsteen (dont le concert programmé à TW Classic le 18 juin 2023 a été sold-out en moins d’une heure, ceci explique cela), Pearl Jam fait dans l’authentique. Le groupe joue chaque soir comme s’il s’agissait de son premier ou de son dernier concert. Il change les morceaux, évite la routine, improvise, tient compte des fans qui ont attendu longtemps pour les revoir (Pearl Jam était annoncé pour l’édition 2021) et prend un plaisir à chaque fois se remettre en question.

Pearl Jam Werchter 2022. Copyright J.C. Guillaume
C’est ainsi que quelques minutes avant le show, après avoir vu une pluie vicieuse et tenace s’abattre sur les festivaliers, qu’Eddie Vedder a décidé de lancer les débats avec Rain, reprise des Beatles qui figurait en 1966 sur la face B de Paperback Writer. Leader charismatique à la voix toujours au top, Eddie porte ce jeudi soir un t-shirt à l’effigie de la formation d’Austin Black Pumas qui jouait plus tôt au Klub C. "Mon groupe préféré du moment", a-t-il dit, assurant ainsi au duo sol un beau boost sur Spotify ce week-end. Trop cool, non ?
Des hymnes et de l’obscur
Mais revenons à Pearl Jam. On a entendu du neuf (Dance Of The Clairvoyants et Quick Escape tirés du petit dernier "Gigaton" paru en 2020) et de l’ancien. Des hymnes, de l’obscur (Whipping de leur album "Vitalogy", joué pour la première fois au cours de cette nouvelle tournée) et des reprises qui en disent long sur leurs influences. Outre le Rain des Beatles, Werchter a eu droit à I Believe In Miracles des Ramones, car oui, il n’est pas tombé une goutte pendant leur prestation, ainsi qu’à un flamboyant Rockin In The Free World de Neil Young, leur « parrain » qui avait enrôlé les musiciens de Seattle sur son brûlot "Mirror Ball" en 1995.

Pearl Jam Werchter 2022. Copyright J.C. Guillaume
Hommage aux victimes de Roskilde
Régulièrement pendant le concert, Eddie Vedder prend le pouls de l’assistance. Il demande si tout va bien. Si nous sommes heureux comme lui il l’est de pouvoir jouer à Werchter en cette première soirée du festival. Il nous invite à nous faire de nouveaux et de nouvelles amies, à bien veiller sur ses voisin(e)s éphémères de concert et à signaler aussi aux secouristes le moindre problème. Il sait de quoi il parle. En introduction de Long Road, il rappelle dans un discours chargé d’émotion cette journée dramatique du 30 juin 2000, voici tout juste vingt-deux ans, où un mouvement de foule a causé la mort de neuf fans de Pearl Jam au festival de Roskilde au Danemark. « Un drame qui a bouleversé notre existence en tant que groupe et qu’êtres humains. Jamais nous ne pourrons l’effacer de notre mémoire. Nous sommes reconnaissants d’avoir pu rencontrer les familles des victimes et de rester toujours en contact avec elles. La vie a plus de valeur que n’importe laquelle de nos chansons. » Grande émotion.
Toujours en vie
Dans la setlist, l’album fondateur "Ten" (1991) occupe toujours une belle place avec six titres interprétés. Ce qui est dingue, c’est la manière dont le groupe les jouent. Sur Even Flow, le guitariste Mike Mc Cready (56 ans), court en rond comme s’était possédé par une forcé maléfique. Il fait un solo avec sa guitare coincée contre sa nuque, se lance ensuite dans un duel rythmique et ludique avec l’impeccable bassiste Jeff Ament, le tout sous l’œil imperturbable du batteur métronome Matt Cameron. Poignante version aussi de Jeremy, récit relatant le suicide d’un jeune garçon devant sa classe. Un propos prenant une nouvelle dimension pour toute une génération d’ados qui a souffert bien plus qu’on ne l’imagine pendant ces deux dernières années Covid.
Pas de Better Man ou de Yellow Ledbetter, deux titres favoris des fans, mais bien Corduroy, la ballade acoustique Elderly Woman Behind The Counter In a Small Town, le nerveux Do The Evolution enchaîné à Given To Fly sans oublier bien sûr Alive en rappel. Chanson autobiographique d’un fils (Eddie Vedder) découvrant que son père est en réalité son beau-père, Alive s’est imposé comme l’hymne à la résilience pour plusieurs générations. Celles-ci, parfaitement représentées dans la plaine de Werchtern ont chanté en chœur "Oh oh je suis toujours en vie." Et entendre 88.000 personnes pousser ce refrain à 1h du matin dans un froid de canard, ça fait un bien fou. Nous n’étions pas seuls à repartir dans la nuit le cœur battant la chamade. C’était Pearl Jam à Rock Werchter en 2022. Magnifique et inoubliable.

Pearl Jam Werchter 2022. Copyright J.C. Guillaume