Tac au Tac avec Didier Decoin : "Je suis allergique à l’autofiction"

Il préside l’Académie Goncourt et vient de publier Le nageur de Bizerte. Interview d’un homme à séduire...

didier decoin
© Benjamin Decoin

Vous êtes à jamais lié à mes 16 ans. En 1977, j’ai reçu votre livre John l’enfer qui venait de décrocher le Goncourt et j’ai adoré…
Mais vous me faites une joie folle! En même temps, je prends note de la responsabilité que cela me donne d’avoir touché vos 16 ans…

Votre nouveau livre relate la rencontre en 1921 à Bizerte d’un docker et d’une jeune ukrainienne. C’est si romanesque qu’on se dit que le roman français n’a pas tout à fait sombré dans le minimalisme et l’autofiction…
J’espère que vous avez raison car l’autofiction est une chose qui m’insupporte. Mais vraiment! Je suis allergique à ça, je considère que ce n’est pas de la littérature - en tout cas, ce n’est pas la littérature que j’aime. Donc, si je peux contribuer à contrer l’autofiction, j’en serai très heureux.

C’est difficile d’écrire quand on est le président de l’Académie Goncourt?
On se dit quand même “Je me permets de porter un jugement sur les autres, mais qu’est-ce que j’ai écrit, moi ?” Cela dit, je trouve plutôt les livres bons, je n’aime pas dire du mal des livres… Je sais le mal que l’auteur s’est donné, la sincérité et le boulot que ça représente. Après, quand il faut voter, il faut juger, mais j’aurais tendance à être moins sévère que certains. C’est tellement dur d’écrire un livre…

Mais écrire un livre c’est presque du masochisme!
(Rire.) C’est tout à fait du masochisme.  Quand je commence un livre, je me dis toujours que je n’arriverai pas au bout, que ce sera de la merde…

Vous vous dites ça encore aujourd’hui? Après tout ce temps?
Houlala, oui… Aujourd’hui, plus qu’hier et bien moins que demain… Je vois quels sont mes défauts, je les vois plus nettement maintenant qu’à 40 ans où j’étais le roi de la piste. Plus j’avance, et plus je suis angoissé et désespéré. Ce n’est pas confortable d’avancer en âge…

Avec votre position, tout le monde doit trouver vos bouquins super…
Ah, non, je ne crois pas. Les gens sont plus vaches avec les gens qui ont une position - même si président de l’Académie Goncourt, c’est rien du tout dans le monde d’aujourd’hui…

Les gens se fichent du Goncourt?
Ça ne les empêche pas de respirer, ça ne les empêche pas d’être furieux sur la réforme de l’âge de la retraite, ça ne joue pas sur leur vie quotidienne…

Vous êtes d’une grande lucidité…
Comment voulez-vous ne pas être lucide quand vous vous voyez le soir en pyjama. On regarde ses fesses, on se dit “C’est ça, le président du Goncourt?”

Oui, mais tout le monde doit vous flatter toute la journée …
C’est pas faux, mais on sait très bien quelle est la part de sincérité. Ceux qui le font parce qu’ils veulent quelque chose en échange, ceux-là, on les sent tout de suite. Quand c’est sincère, c’est formidable, mais c’est rarissime.

Un membre de votre jury, Tahar Ben Jelloun, a dit que Vivre vite de Brigitte Giraud qui a remporté le dernier Goncourt était un petit livre. C’est pas très sympa…
C’est pas sympa, je suis d’accord, mais il s’est excusé publiquement, en disant que cela avait dépassé sa pensée…

Le Goncourt que vous adorez?
La condition humaine. Il m’a fait voyager à l’âge où je ne voyageais pas.

Si vous rencontriez les frères Goncourt, qu’auriez-vous envie de leur dire?
Merci, les mecs.

Le nageur de Bizerte, Stock, 350 p. 

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