Philippe Geluck : "Le Musée du Chat n’a aucun but commercial"

Malgré les polémiques, Philippe Geluck se prépare à l’arrivée imminente à Bruxelles de son célèbre félin quarantenaire et du musée qui lui sera consacré.

Philippe Geluck
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En mars 1983, il y a 40 ans presque jour pour jour, un Chat replet et bavard apparaissait dans la presse quotidienne. Après des milliers de gags, 23 albums - la publication du 24e est imminente - et une ­célébrité internationale, le Chat, décliné 22 fois sous forme de bronze de 2.500 kg, connaît une nouvelle étape de son périple avec une exposition qui se tient à ­Bruxelles jusqu’au 30 juin et… une nouvelle polémique.

Cette statue de Chat achetée par le Parlement bruxellois et pas visible du public, vous auriez pu trouver meilleur lancement…
Philippe Geluck - Pour être tout à fait franc, ce genre de “promotion”, je ne m’y attendais pas. Le Parlement de la Région de Bruxelles avait lancé un appel à projets pour la création d’une sculpture pour le jardin de l’institution. Le résultat ne les a pas satisfaits et ils ont eu l’idée de me demander de créer une sculpture monumentale. J’ai ­proposé plusieurs projets qui leur ont plu et ils en ont choisi un. Le budget et l’acquisition ont été votés, m’a-t-on dit, à l’unanimité. Je ne suis allé frapper à aucune porte, j’ai juste répondu à une sollicitation… Et j’ignorais qu’elle allait être ­installée dans un espace fermé au public.

Ce qui n’est pas le cas de l’exposition qui, après Paris, Genève, Monaco, Montreux, arrive chez nous. Où ça, d’ailleurs?
À Bruxelles, dans le parc Royal, ce 10 mars. De l’allée transversale qui part du “BIP” (le Brussels Info Place) et se dirige vers la fontaine qui fait face au Parlement. C’est un chemin très large bordé de jeunes arbres que les jardiniers viennent de replanter. De sorte que le projet ne sera pas obscurci par trop d’ombrage. Les 22 statues resteront exposées jusqu’au 30 juin et peut-être plus si affinités…


Ce terminus bruxellois sera suivi des pièces des acquéreurs-collectionneurs.
Oui, en fait, c’est un processus en cours. L’entièreté des bénéfices de ces ventes ira à la cagnotte qui ­servira à aménager le musée du Chat. C’était le plan de départ et il fonctionne. Il y a 25 ou 26 de ces statues qui ont déjà trouvé acquéreur (d’autres statues inédites que les 22 exposées ont été fondues): la ville d’Andenne, le Parlement bruxellois, la commune de Cologny (à côté de Genève), des collectivités, des particuliers, l’une ou l’autre entreprise. Il y a deux chaînes de casinos qui ont acheté une statue pour la mettre devant leur établissement…

Leur cote semble grimper…
Au départ, on les avait annoncées à 250.000 euros, puis, vu le succès, c’est monté, monté et ça monte toujours.

Donc, Andenne, avec 380.000 euros, a fait une bonne affaire?
Ah oui. Qui sait (rire)? En revanche, ce que je ne sais pas, c’est si une ville peut revendre les œuvres d’art qu’elle a acquises. L’État l’a fait à une époque: l’Autriche nous a acheté les plus beaux Bruegel… Vous savez, vendre des statues pour financer une infrastructure artistique a été fait bien avant moi par un illustre prédécesseur. Le sculpteur Bartholdi, pour financer la statue de la Liberté, en a vendu des dizaines de petites répliques à des villes américaines.

Philippe Geluck

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Alors, où en est-on avec le musée du Chat?
Le permis a été délivré, le bâtiment insalubre à la place duquel le musée va être construit a été démoli, les fouilles archéologiques légales ont été entreprises et sont terminées et les travaux de construction ­viennent de commencer il y a quelques jours. On m’assure que le gros œuvre fermé sera terminé en août 2024. L’ouverture était prévue en 2019… elle n’aura pas lieu! Plus sérieusement, ce que je crains, c’est que, étant donné les retards et l’inflation, ce que je vais devoir financer soit beaucoup plus cher. On m’a fait des devis en 2017 pour ces travaux et je ne sais pas si ceux-ci vont m’emmener.

Le risque que prend la Région bruxelloise, c'est de récupérer un bâtiment entièrement équipé.

Vous pouvez rappeler la manière dont le musée est financé?
La Région dépense onze millions d’euros pour construire un bâtiment qui se trouve juste à côté du “BIP” et juste en face du Parc Royal. C’est son bâtiment: elle en est propriétaire. Le musée du Chat paie un loyer pour occuper ce bâtiment dont je finance les aménagements à hauteur d’au moins 4,8 millions dès la réception du gros œuvre. Le musée ne reçoit pas de subsides et pour le faire fonctionner et l’exploiter, je dois créer des emplois. Quand je dis “je”, c’est l’ASBL créée pour l’occasion. Si le musée ne fonctionne pas, la Région récupère les aménagements: plomberie, électricité, chauffage, ascenseur…

La Région ne prend donc aucun risque?
Si ce n’est celui de récupérer un bâtiment entièrement équipé…

Que pourra-t-on y trouver?
Le musée sera divisé en trois grands chapitres. Le “musée du Chat”, axé sur mon travail, une partie exposition temporaire axée sur les grands dessinateurs humoristes (de Sempé à Siné en passant par Chaval, Kroll, Steinberg…) et enfin, une partie ­consacrée au chat, l’animal, et ses représentations dans la culture humaine depuis l’Égypte ancienne jusqu’à Internet. Du dieu Rê aux calendriers de ­chatons des postes… Ça va bouger beaucoup, avec tous les six mois de nouvelles grandes expos. On a estimé qu’avec 150.000 visiteurs par an, on ­pouvait vivre avec les entrées, le shop, le merchandising…

Être taxé de “businessman”, ça vous affecte toujours?
Les premières fois, ça m’a semblé incongru. Parce que ce n’est tellement pas moi. Alors, si les gens reprennent cela, est-ce parce que je donne cette impression? Très sincèrement, ça me surprend parce que l’argent ne m’a jamais guidé. J’ai eu la chance de rencontrer le succès. Qui peut m’en blâmer? Je n’ai jamais exploité personne. Je paie, me semble-t-il, très bien mes collaborateurs. Je prends soin d’eux. Je ne suis pas un “homme d’affaires”, je ne spécule pas, je ne place pas d’argent. Je touche des droits d’auteur. Je suis un entrepreneur, le terme me ­convient mieux. Parce que, c’est vrai: j’entreprends des projets. Mais le musée n’a aucun but commercial: ma vie est faite, je ne gagnerai pas un centime sur le musée. Je souhaite qu’il marche pour pouvoir payer les emplois qu’il générera et densifier la vie ­culturelle bruxelloise.

 

N’est-ce pas parfois difficile de porter, comme vous, des valeurs de gauche tout en étant riche?
Comme un écolo qui prend l’avion pour aller défendre l’environnement lors d’une conférence internationale? Oui, évidemment. C’est compliqué et en même temps, c’est très simple. Je ­consomme peu, j’ai une voiture d’occasion parce que je me fiche des bagnoles, je porte les mêmes jeans qu’il y a vingt ans, je ne porte pas de montre de luxe, je n’ai pas changé. Au contraire, je m’engage dans des projets solidaires…

Pour vous, avoir une “grande table” c’est pouvoir inviter plus de gens à partager son repas?
Oui, mais je n’en parle pas, je ne le fais pas savoir, je ne veux pas en faire étalage.

Tout de même, vous avez mis à disposition depuis des mois une maison pour héberger des réfugiés ukrainiens…
Je participe chaque année à plus de 40 initiatives solidaires en donnant de l’argent ou des œuvres. Mais je ne le dis pas: on pourrait me le reprocher. En Belgique, le succès est forcément mal vu. En bruxellois, il y a un proverbe qui dit: “Le clou qui dépasse appelle le marteau”.

Vous vous souvenez du 22 mars 1983, le jour où paraissait dans Le Soir le premier dessin du Chat? Sur ces 40 ans, quelles époques vous ont le plus inspiré?
C’était hier. J’avais été acheter un exemplaire du Soir et je mourais d’envie de dire au buraliste: “Regardez ce Chat, c’est moi qui l’ai dessiné!” Et, puis, c’est comme toutes les premières fois: une semaine plus tard, c’était comme si j’avais fait ça toute ma vie. Comme le Chat n’est pas un ­commentaire direct de l’actualité, les différentes périodes de ces 40 der­nières années n’ont pas eu d’influence sur mes inspirations. Il y a cependant une constante. Les moments où les choses vont mal sont plus fécondes en matière d’idées. Dans une période de zénitude, il n’y a pas beaucoup d’accroches…

Vous êtes gâté en la matière en ce moment...
Oui, mais je sacrifierais volontiers mes bonnes idées pour des temps plus apaisés…

Les 22 statues du Chat, du 10 au 30/3. Parc de Bruxelles.

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