Vicky Krieps en Sissi l'Impératrice : «Corsage a été mon tournage le plus difficile»

Succédant à Romy Schneider, Vicky Krieps est grandiose dans Corsage, version féministe et rock de Sissi pour laquelle elle a remporté le prix de la meilleure actrice européenne. Rencontre exclusive.

Vicky Krieps en Sissi l'impératrice dans Corsage
Vicky Krieps reconstruit l’image de Sissi l’impératrice. © Prod.

Cinq ans après sa révélation dans Phantom Thread face à Daniel Day-Lewis, même si son nom reste peu connu du public, Vicky Krieps est devenue l’une des plus grandes actrices d’aujourd’hui. Elle nous a bouleversés dans Serre-moi fort de Mathieu Amalric et dernièrement dans le déchirant Plus que jamais auprès de Gaspard Ulliel qui livrait là sa dernière apparition au cinéma. Son nouveau film, Corsage, s’attarde sur l’année des quarante ans de l’impératrice Élisabeth d’Autriche (1837-1898), une année de voyages et de désillusions libératrices. Un moment ponctué de poèmes désenchantés et de doigts d’honneur au protocole, dansant sur des chansons de Marianne Faithfull, dans une forme d’anachronisme rock qui rappelle Marie-Antoinette de Sofia Coppola. “Je me suis intéressée aux injonctions que subissait Sissi, confie la cinéaste autrichienne Marie Kreutzer, et à la manière dont elle a essayé de se rebeller et d’échapper à sa cage dorée. En ce sens, c’est une héroïne très moderne.

En interview exclusive pour Moustique à Luxembourg où elle a grandi (son grand-père était le résistant Robert Krieps), Vicky Krieps, qui vit désormais à Berlin, nous reçoit en tailleur et pieds nus sur le sofa d’un hôtel. Il se dégage d’elle une liberté physique rare, une liberté d’être. Sur son compte Instagram, elle poste des poèmes, des photos de voyage et des textes de chansons - soit exactement l’inverse d’une promotion formatée. À 39 ans, elle ne s’intéresse pas à la célébrité mais “au fait de vivre”. Rencontre avec une actrice d’exception qui sera bientôt Anne d’Autriche dans Les trois mousquetaires, nouvelle adaptation signée Martin Bourboulon.

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Vous avez souvent incarné des personnages historiques. Vous avez été Jenny von Westphalen, l’épouse de Marx dans Le jeune Karl Marx. Vous êtes à présent Élisabeth d’Autriche, vous serez en 2023  Anne d’Autriche. Avez-vous la passion de l’Histoire?
Vicky Krieps  -
Ma fascination pour l’Histoire me vient de mon grand-père résistant qui a survécu aux camps de concentration pendant la Seconde guerre mondiale. Toute sa vie il a lutté pour la paix en Europe. Je vois le monde avec ses yeux. Et puis, l’Europe s’est vraiment penchée sur mon berceau, je me sens avant tout comme une Européenne, politiquement et symboliquement. Je ne dirais pas que l’Histoire me hante mais depuis que je suis toute petite, je me demande comment le passé continue d’être connecté à nous à travers les âges. D’une certaine manière je vois l’Histoire comme un miroir.

Comment vous êtes-vous préparée à être Sissi?
J’ai d’abord fait toute une préparation historique, j’ai lu des livres autour d’elle, les poèmes qu’elle écrivait sous le nom de Titania, ses lettres… Et puis, à un moment je quitte les rails et je commence à rêver à qui elle était. J’entre dans une situation de flottement qui fait très peur mais qui me donne une autre force dans le jeu. Dans mes rôles je cherche l’approche la plus honnête, pas forcément celle qui va me donner le plus de sécurité.

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Pourquoi vouliez-vous incarner Sissi?
Enfant, je voyais les films avec Romy Schneider, j’adorais les robes, je voulais être une princesse moi aussi. Et puis, à quinze ans j’ai lu la biographie de Sissi par Brigitte Hamann… J’ai refermé le livre avec un sentiment de mélancolie familier. Pourtant je vivais dans une époque très différente de Sissi, avec des parents aimants et libres qui étaient plutôt des hippies. Mais à quinze ans, j’ai compris ce que ça signifie d’être une femme et d’entrer dans un rôle social avec tout ce qu’on attend de vous quand vous êtes une femme. J’avais le droit de dire non, mais en disant non, je n’avais pas de petit copain, je ne faisais pas partie du jeu et ça me rendait triste. Alors à Vienne j’ai dit à Marie (Kreutzer, la réalisatrice - NDLR): “Faisons un film sur Sissi”. J’avais l‘impression que ça n’avait jamais été vraiment raconté. Au départ, Marie trouvait ça kitsch. Trois ans plus tard, j’ai trouvé un scénario dans ma boîte avec un simple mot: “Je suis allée aux archives. Tu avais raison”. C’était tellement classe de sa part.

Pourtant Corsage est un peu l’anti-Sissi des films de jeunesse de Romy Schneider. Qu’avez-vous découvert sur elle?
Romy Schneider a eu un destin comparable à celui de la princesse. Elle aussi a souffert de l’image à laquelle on voulait la conformer. Romy Schneider est une des actrices les plus incroyables et les plus naturelles qui aient jamais existé. Pourtant on a voulu l’étouffer avec sa beauté, comme si elle devait être punie. De mon côté, plus je faisais de films plus je comprenais le rapport difficile à la célébrité. Après Phantom Thread, je suis devenue un objet à photographier, une actrice dont on parle. Je me sentais alors capable d’interpréter Sissi… Mais j’avais aussi très peur de ne pas être à la hauteur ni d’Élisabeth ni de Romy Schneider. Et puis, je me suis dit que ça n’était pas mon but.

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Est-ce un film sur la condition féminine?
C’est un film qui donne voix aux blessures féminines que nous portons depuis si longtemps, et dont nous devons nous soigner. Corsage a été mon tournage le plus difficile. Ce qui me donnait la force d’y aller chaque jour, c’était imaginer prendre Élisabeth et Romy par la main et leur dire: “Voilà, on va faire tout ce que vous n’avez jamais eu le droit de faire”. C’est pour ça que j’ai fait le doigt d’honneur, avec l’intuition que Romy et Élisabeth auraient tellement eu envie de faire ça sur un écran.

Catherine Deneuve dit que les films appartiennent plus aux acteurs qu’on ne le croit…
Liv Ullmann m’a dit un jour: “Un bon metteur en scène sait que l’acteur sait”. C’est une chose que les metteurs en scène français ont du mal à comprendre. Car certaines choses ne peuvent être connues que de l’acteur, comme la justesse. Exemple: dans Corsage, à un moment donné, j’enjambe une fenêtre. Ce n’était pas dans le script mais c’était alors pour moi l’unique sortie possible pour Sissi, le seul moyen de la dégager de la frustration avec son mari. Marie a utilisé la scène au montage et ça a influé le reste du film. Comme la moustache à la fin… Je voulais danser avec cette moustache pour brouiller les pistes et les genres. Je suis allée voir les maquilleuses en cachette et je suis arrivée sur le plateau comme ça. C’était une surprise pour Marie et la chef opératrice. Les bons acteurs ont l’intuition des rôles.

**** Réalisé par Marie Kreutzer. Avec Vicky Krieps, Florian Teichtmeister - 113’

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