Festival de Cannes: des inégalités hommes-femmes toujours bien présentes

Le festival de Cannes a encore beaucoup de mal à corriger la sous-représentativité des femmes au sein de sa programmation.

Iris Knobloch
Iris Knobloch, présidente du festival de Cannes @Belgaimage

Les femmes représentent la moitié de l'humanité et pourtant, dans le milieu du cinéma, la parité ne suit toujours pas. Le festival de Cannes ne dérange pas à la règle. Le ministère français de la Culture reconnaît que "la parité est encore loin" mais son communiqué se veut surtout positif. "Pour la première fois, le festival de Cannes comptera sept réalisatrices en compétition, soit environ 33% des cinéastes en lice. L'an dernier, elles étaient cinq à prétendre à la distinction suprême", font remarquer les autorités, qui y voient "une avancée incontestable pour le plus grand festival de cinéma du monde". Il est vrai qu'il y a encore dix ans, en 2013, il n'y avait qu'une seule et unique femme en compétition. Mais ça, c'est le haut de l'iceberg. S'il y a une percée, relative qui plus est, dans cette catégorie noble, la programmation totale reflète encore de sérieuses inégalités.

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Un programme encore très déséquilibré

Outre les films en compétition, l'autre grande section est celle dénommée "Un certain regard". Elle est destinée à mettre en valeur des longs-métrages plus originaux et a priori, elle représente une sélection plus favorable aux femmes. C'est en tout cas ce qu'a déclaré le délégué général du festival, Thierry Frémaux, lors d'une conférence de presse l'année passée: "Quand on fait le 'Un certain regard', il y a un peu plus de femmes, parce que c'est le jeune cinéma et qu'il y a plus de jeunes réalisatrices", expliquait-il. Et c'est vrai qu'en 2022, on comptait neuf femmes pour 20 films dans cette catégorie. En 2023, le bilan est moins glorieux. Seules six femmes sont classées dans la section "Un certain regard" pour un total de 19 places, dont une qui y figure en tant que coréalisatrice auprès d'un homme.

Le reste de la programmation fait souvent encore pire. En atteste la catégorie dite "Hors compétition", où Maïwenn se retrouve seule à représenter la gent féminine parmi un panel de sept personnes. Même constat pour le "Cinéma de la Plage", Géraldine Danon se retrouvant au milieu de 12 hommes. Ce n'est pas beaucoup mieux dans les "Cannes Premières", où on compte cinq réalisateurs et deux réalisatrices. Pour les séances de minuit, c'est simple: les femmes sont totalement absentes. Idem dans les fictions des "Cannes Classics", alors que le festival rend hommage à 19 films. Les "Cannes Classics" sauvent un peu la face du côté des documentaires, où la parité est respectée mais seulement si on prend en compte une coréalisatrice.

Des prix rarement remis à des femmes

Puis n'oublions pas la preuve la plus flagrante de l'inégalité hommes-femmes: les palmarès. Depuis la première édition du festival en 1939, seules trois femmes ont reçu la Palme d'Or, et encore! La première était Bodil Ipsen en 1946, mais c'était en tant que coréalisatrice aux côtés de Lau Lauritzen Jr. Il faudra attendre 1993 pour voir une autre femme l'emporter, en l'occurence Jane Campion, mais après un ex-aequo avec Chen Kaige. Ce n'est qu'en 2021 qu'une femme aura l'honneur d'être l'unique détentrice du prix, à savoir Julia Ducournau pour "Titane".

Pour le Grand Prix, qui récompense le long-métrage jugé le plus original, seules cinq femmes ont réussi à s'imposer: Márta Mészáros en 1984, Naomi Kawase en 2007, Alice Rohrwacher en 2014, Mati Diop en 2019 et Claire Denis en 2022.

Pour le Prix du jury, il a fallu attendre l'an 2000 pour voir une femme récompensée, en l'occurence Samira Makhmalbaf (qui recevra le même prix en 2003). Depuis, les femmes sont ici plus présentes: Andrea Arnold en 2006, 2009 et 2016, Marjane Satrapi en 2007 en tant que coréalisatrice, Maïwenn en 2011, Nadine Labaki en 2018 et Charlotte Vandermeersch en 2022 à nouveau en tant que coréalisatrice.

Quant au Prix de la mise en scène, il n'a été remis qu'à deux réalisatrices: en 1961 à Ioulia Solntseva et en 2017 à Sofia Coppola. Même décompte pour la Palme d'honneur, qui a été décernée à deux réalisatrices: Agnès Varda en 2015 et Jodie Foster en 2021 (en même temps que Marco Bellocchio). Enfin, pour le Prix du scénario, il a été remis seulement quatre fois à des femmes: Agnès Jaoui en 2004 (en tant que coscénariste), Lynne Ramsay en 2017 (à ex-aequo avec Yórgos Lánthimos et Efthýmis Filíppou), Alice Rohrwacher en 2018 (ex-aequo avec Jafar Panahi et Nader Saeivar) et Céline Sciamma en 2019.

De meilleures notes au sein des instances dirigeantes (mais pas la perfection)

Il y a donc encore beaucoup à faire pour assurer l'égalité des chances entre sexes. Mais si on veut être positif, on peut regarder au niveau des instances directionnelles. Pour la première fois de l'histoire du festival de Cannes, le président de l'événement est une présidente: Iris Knobloch, une juriste allemande qui dirigeait auparavant le groupe Warner Bros France.

Au sein du fameux jury, on est également plutôt sur une bonne note puisqu'il est paritaire, à la condition toutefois de ne pas prendre en compte son président, qui est cette année le réalisateur suédois Ruben Östlund. Ce même ratio était déjà présent ces dernières années. La gent féminine n'a pu être majoritaire que lorsqu'une femme accédait au poste de présidente du jury, c'est-à-dire seulement trois fois au cours du XXIe siècle. C'était ainsi le cas lors de la présidence d'Isabelle Huppert en 2009, de Jane Campion en 2014 et de Cate Blanchett en 2018. À noter que sur toute l'histoire du festival, seules 12 femmes sont devenues présidentes du jury, dont la moitié durant les années 1960-1970. Depuis, elles se sont faites plus rares.

Le cinéma: un milieu encore profondément inégalitaire

Des efforts ont donc été réalisés pour atteindre la parité, mais il y a également parfois des retours en arrière. Interrogé sur ces inégalités, Thierry Frémaux estimait qu'à Cannes, "nous sommes la conséquence, pas la cause". Il expliquait notamment le manque de représentativité au sein de la compétition par le fait qu'on y retrouvait plus facilement "des metteurs en scène confirmés, qui viennent d'autres générations" que celle qui s'impose plus facilement dans la catégorie "Un certain regard" et qui est plus jeune.

Il est vrai que le milieu du cinéma est encore profondément inégalités et ce dans sa globalité, y compris en Europe. En Fédération Wallonie-Bruxelles par exemple, 32% des réalisateurs étaient des femmes en 2019, selon les données de l’Observatoire du Film et de l’Audiovisuel. Du côté des scénaristes, ce pourcentage s'élevait à 36%. Pourtant, en 2018, 60% des étudiants en master en études cinématographiques étaient des étudiantes, d'après les chiffres de l'ULB (mais seuls 28% des professeurs étaient des femmes).

En France, selon les chiffres publiés en mars 2023 par le CNC, 30% des films d'initiative française sont le fait de femmes (contre 23% en 2013). Cela représente un cap symbolique mais les défis restent nombreux. Les films avec un budget élevé sont par exemple pratiquement tous le fait d'hommes. En 2022, on en trouve que trois avec un budget supérieur à 10 millions d'euros et une réalisatrice à la manœuvre. Un constat problématique vu l'importance que chaque communauté a de représenter sa vision du monde via le cinéma.

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