
Cannes: ces sept Palmes d'or qui ont fait scandale

L'année 2023 figurera-t-elle parmi les plus controversées de l'histoire du festival de Cannes? Il a en tout cas commencé sur quelques mauvaises notes. Premier faux pas: au casting du film d'ouverture, "Jeanne du Barry" de Maïwenn, on trouve Johnny Depp, qui marque ainsi son grand retour après la très polémique affaire Depp-Heard. La gronde promet d'être encore plus grande si Catherine Corsini remporte la Palme d'or avec "Le Retour". Le long-métrage avait un temps été retiré de la sélection officielle suite à des allégations d'agressions sexuelles sur le tournage du film, le tout sans compter une scène explicitement sexuelle à laquelle aurait participé une actrice mineure. Finalement, il figure quand même au planning de l'événement, ce qui constitue selon le collectif 50/50 "un signal dévastateur envoyé aux victimes de violences sexistes et sexuelles". Dans un contexte électrique, où Adèle Haenel s'est mise en grève pour dénoncer "la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels", l'affaire promet d'être retentissante. Le festival de Cannes a toutefois déjà connu diverses querelles depuis sa création, certaines ayant créé de sérieuses turbulences.
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1960: les débuts tumultueux de "La dolce vita"
Aujourd'hui sacré monument de l'histoire du cinéma, "La dolce vita" de Fellini a pourtant été sérieusement malmenée à sa sortie. Projeté à Milan, le film est hué par des spectateurs présents, dont une partie sortira de la salle de cinéma. Le Vatican s'insurge contre ce qui est perçu comme une parodie de la seconde venue de Jésus, tandis que la gauche y voit justement un récit représentant une Italie trop conservatrice. Lorsque le réalisateur arrive à Cannes pour défendre son œuvre, le long-métrage continue à faire l'objet de polémiques. Un des acteurs principaux, Alain Cuny, est exclu du festival après avoir comparé le chanteur Dario Moreno au "poisson énorme et visqueux" du film suite à une dispute. Cela n'empêche pas Federico Fellini de remporter la Palme d'or mais cela ne calme pas l'Église catholique, au contraire. Le film sera censuré dans certains pays, dont la très conservatrice Espagne franquiste et ce jusqu'à la mort du dictateur.
1966: la Palme bicéphale
Lors de l'ouverture du festival de Cannes de 1966, l'ambiance est déjà tendue. Sous pression du régime franquiste, les organisateurs acceptent de retirer de la compétition le film "La guerre est finie", réalisé par Alain Resnais. Ce dernier n'aura pour lot de consolation que le prix Luis-Bunuel, créé pour l'occasion par des journalistes espagnols présents sur place. Mais le véritable coup de tonnerre de cette édition, c'est le résultat inédit pour la Palme d'or. Le jury n'arrivant pas à départager deux long-métrages, "Un homme et une femme" de Claude Lelouch et "Ces messieurs dames" de Pietro Germi, il décide de les déclarer vainqueurs à ex-aequo. Il n'y a donc pas eu une mais deux Palmes d'or cette année-là. Un résultat critiqué par certains journalistes qui n'ont pas bien reçu cette indécision du jury.
1968: le festival avorté
Comme deux ans plus tôt, le festival de Cannes de 1968 a mal commencé. Il a en effet lieu dans le contexte de l'Affaire Langlois, du nom du directeur administratif de la Cinémathèque française, limogé par le gouvernement avant que le ministère Malraux ne lui rendre son poste suite à de vives protestations du secteur. Comme si cela ne suffisait pas, le festival s'ouvre alors qu'ont lieu les manifestations de mai 68. Un collectif de professionnels appelle à interrompre l'événement mais le délégué général Robert Favre Le Bret refuse catégoriquement. Plusieurs cinéastes se pressent alors à Cannes pour protester. "Je vous parle solidarité avec les étudiants et les ouvriers et vous me parlez travelling et gros plan ! Vous êtes des cons !", clame Jean-Luc Godard, présent sur place. Ensemble, ils perturbent la projection de "Peppermint frappé" de Carlos Saura, ce dernier rejoignant le mouvement et s'accrochant même aux rideaux de la salle en signe de protestation. Les organisateurs finissent par plier et la Palme d'or ne sera finalement pas remise.
1987: le jury en guerre contre les journalistes
Dans les années 1980, la carrière de Gérard Depardieu est sur une pente ascendante et cela se confirme lorsqu'il participe au film "Sous le soleil de Satan" avec Sandrine Bonnaire. À Cannes, le jury décidé à l'unanimité de décerner la Palme d'or au réalisateur, Maurice Pialat. À ce moment-là, certains applaudissent mais beaucoup d'autres sifflent copieusement la décision, notamment du côté des journalistes qui avaient préféré "Les Ailes du désir" de Wim Wenders. La riposte de Maurice Pialat ne se fait pas attendre: "Je ne vais pas faillir à ma réputation: je suis surtout content ce soir pour tous les cris et les sifflets que vous m'adressez. Et si vous ne m'aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus".
1994: Tarantino et son doigt d'honneur
Un scénario similaire à celui de 1987 se répétera sept ans plus tard, lorsque le jury décerne la Palme d'or à un outsider, Quentin Tarantino, pour son film "Pulp Fiction". Cette fois-ci, tout le public applaudit à l'exception d'une femme qui crie son mécontentement. "Quelle daube ! Quelle daube ! Putain fais chier !", hurle-t-elle dans la salle. Après un moment de flottement, le réalisateur lui répond avec un doigt d'honneur qui ne manquera pas de choquer le public et qui fait encore parler de lui aujourd'hui.
1995: quand la guerre s'invite au festival
L'année suivante, en 1995, la cérémonie semble plus calme. Le jury décerne la très convoitée Palme d'or à Emir Kusturica pour "Underground" et ne provoque qu'un seul "incident": la colère de Theo Angelopoulos. Déçu de ne pas voir son film "Le regard d'Ulysse" gagner, il a déclaré avant de partir: "J'avais préparé un speech pour la Palme d'or. Je l'ai oublié maintenant. Je vous remercie pour votre accueil". Mais a priori, il ne devait pas y avoir d'autres remous. C'était sans compter l'intervention d'Alain Finkielkraut qui accusera ensuite le Franco-Serbe d'avoir soutenu la propagande de Belgrade, alors que la guerre sévit encore en Bosnie. Le réalisateur n'a pas manqué de contrattaquer, se défendant d'être fasciste et accusant en retour le philosophe de n'avoir pas vu le film. Il s'avéra ensuite qu'en effet, Alain Finkielkraut n'avait pas assisté à la projection, ce qui ne l'empêcha pas de rester sur ses positions.
2004: du favoritisme à Cannes?
Une fois n'est pas coutume: en 2004, c'est un documentaire, "Fahrenheit 9/11" de Michael Moore, qui a remporté la Palme d'or. C'est l'un des deux seuls à avoir accompli cette performance, avec "Le Monde du silence" de Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle en 1956. Un moment important donc mais qui a été sévèrement contesté. Le président du jury, Quentin Tarantino, est alors suspecté d'avoir pesé de tout son poids pour récompenser Michael Moore et son réquisitoire anti-Bush. Des soupçons de favoritisme existent mais le jury ne revient pas en arrière. Michael Moore peut donc partager fièrement son trophée avec un homme à l'origine d'une des plus grandes controverses de l'histoire du cinéma, le producteur Harvey Weinstein.