
Beau is Afraid, The Quiet Girl... Les films à ne pas manquer (ou à éviter) au cinéma

The Quiet Girl ****
Il a beau faire du cinéma depuis vingt ans, Colm Bairéad n’en réalise pas moins son premier long-métrage de fiction après un passage par le court, le documentaire, la série et le téléfilm. C’est avec une grande maturité cinématographique et une impeccable maîtrise des émotions qu’il aborde l’histoire, simple uniquement en apparence, de cette enfant considérée comme “de trop” dans une famille irlandaise qui ne croule ni sous l’argent ni sous des torrents d’amour.
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Pour les vacances d’été, les parents de Cáit la confient à un couple de parents éloignés qui cache un drame passé que la présence de la petite fille va raviver, d’autant qu’elle va trouver auprès de ces parents de substitution une place qu’elle peine à trouver dans sa vraie famille. Adapté d’une nouvelle de Claire Keegan, The Quiet Girl est un bijou, sensible sans jouer la carte de la sensiblerie, émouvant sans verser dans l’émotion facile. Il démontre que le cinéma est l’art des visages, des regards et des non-dits.
Ceux qu’ils filment ont l’intensité d’un silence dans une partition musicale. S’il y a un risque à miser la réussite d’un projet sur la force d’un visage, a fortiori lorsqu’il est enfantin, celui de la jeune Catherine Clinch (12 ans) qui interprète la petite fille silencieuse, remplit l’écran d’une force hypnotique. The Quiet Girl a loupé de peu l’Oscar du meilleur film étranger, il n’en est pas moins un grand film. - E.R.
**** Réalisé par Colm Bairéad. Avec Catherine Clinch, Carrie Crowley, Andrew Bennett, Michael Patric - 94’.
War Pony ***
Il y a quelque chose des Quatre cents coups de François Truffaut à suivre l’épopée de deux adolescents de la communauté Oglala Lakota, livrés à eux-mêmes dans une réserve du Dakota du sud des États-Unis. Bill a déjà deux enfants et une ex en prison, Matho n’a que douze ans et il survit entre un père abusif et du trafic de méthadone. Coréalisé par l’Américaine Reiley Keough - petite-fille d’Elvis Presley et par ailleurs excellente actrice vue notamment dans American Honey d’Andrea Arnold où son projet de long-métrage trouve son origine -, War Pony (“cheval de guerre”) se regarde comme un conte social qu’on saisit au galop. Les deux réalisatrices taillent leur premier film entre un naturalisme cru et la montée en puissance d’un drame social plus sombre (la prostitution des jeunes filles, l’irresponsabilité possiblement fatale des jeunes parents, l’exclusion scolaire, l’impasse de la réserve…) qu’elles sauvent d’un folklore trop misérabiliste grâce à un regard très tendre, non dénué d’humour. La plupart des scènes sont tirées d’anecdotes qu’on imagine réelles, comme le trafic de caniche royal auquel Bill s’accroche pour s’extraire de la misère, ou la grand-mère qui maintient une spiritualité ancestrale... Il ressort de War Pony une épopée amérindienne foisonnante et profondément empathique sur la force des rencontres. Un film qui traite aussi de la possibilité de l’entraide, au cœur d’une nation abandonnée à l’intérieur même de son propre territoire. - J.G.
*** Réalisé par Riley Keough et Gina Gammell. Avec Jojo Bapteise Whiting, LaDainian Crazy Thunder - 114’.
Beau is afraid **
Dans la grande famille des acteurs et actrices qui ne lésinent pas sur les transformations physiques, voire mentales, pour entrer dans la peau d’un personnage - famille qui peut s’enorgueillir de compter dans ses rangs des noms aussi prestigieux que ceux de Philip Seymour Hoffman, Cate Blanchett, Christian Bale, Jared Leto ou Tilda Swinton -, Joaquin Phoenix apparaît comme le plus insaisissable. Pas seulement parce qu’il entretient des rapports de force avec l’industrie du cinéma mais aussi parce que son appétence semble insatiable pour des rôles qui le poussent dans de nouveaux retranchements.
Ses métamorphoses ont de quoi impressionner. Qu’ont en commun le vétéran alcoolique et violent de The Master de Paul Thomas Anderson, le tueur à gages de A Beautiful Day de Lynne Ramsay qui lui vaut le Prix d’interprétation à Cannes en 2017, le Napoléon de Ridley Scott (sortie prévue en novembre 2023) ou ce Beau Wasserman qu’il incarne dans le film fleuve d’Ari Aster, réalisateur des terrifiants Hérédité et Midsommar? Et surtout quels critères président à ses choix de personnages si différents?
À la différence de ses collègues qui tracent leur route dans le cinéma indé tout en flirtant avec des blockbusters lucratifs, Phoenix donne à tous ses choix une dimension plus radicale. Même lorsqu’il s’inscrit dans une logique de franchise, il le fait à sa manière, inversant les pôles du bien et du mal, transformant le clown psychopathe du Joker de Todd Phillips en une victime d’un système broyant les plus faibles et transformant l’essai par une vingtaine de prix d’interprétation dont un Oscar et un Golden Globe.
À bientôt 50 ans, Joachim Phoenix nous surprend à nouveau en incarnant un homme fragile et parano, un enfant terrorisé par le monde qui l’entoure. À chaque fois qu’il quitte son immeuble miteux pour affronter la violence de la rue, c’est comme s’il sortait du ventre de sa mère. La comparaison n’est pas anodine. Beau Is Afraid est l’histoire d’un homme célibataire (sans doute puceau?) qui entretient une relation toxique avec une mère qui a effacé toute présence paternelle de son existence. Le voyage qu’il entreprend pour lui rendre visite sera entravé par une foule de circonstances qui vont transformer son odyssée en cauchemar, et le film en un conte baroque et onirique à la symbolique psychanalytique un peu lourde. Mais qu’à cela ne tienne. Ce film trop long est porté de bout en bout par un acteur qui nous livre une facette inattendue de son immense talent de caméléon. - E.R.
** Réalisé par Ari Aster avec Joaquin Phoenix, Patti LuPone, Amy Ryan, Nathan Lane, Denis Ménochet.
Renfield **
Renfield (le craquant Nicholas Hoult) en a ras-le-bol: voilà deux siècles qu’il est corvéable à merci au service du comte Dracula. Bien décidé à s’émanciper de ce patron qui montre un peu trop les crocs, il participe à un groupe de discussion sur les relations toxiques et fait la rencontre de Rebecca, charmante agente de la circulation. La créature vampirique créée par Bram Stoker a déjà été déclinée à toutes les sauces au cinéma, mais cette nouvelle mouture n’en est pas moins réjouissante. Nicolas Cage, qui alterne depuis quelques années le pire ou (ici) le meilleur, incarne un Dracula jubilatoire qui se voit relégué au second plan par son laquais, dans cette comédie déjantée qui joue habilement avec les codes du genre. Tout en soignant ses effets, à l’instar du générique de fin, joliment travaillé. Une bonne surprise donc. - O.C.
** Réalisé par Chris McKay. Avec Nicholas Hoult, Nicolas Cage - 93’.
Le cours de la vie **
Il est heureux de voir Frédéric Sojcher reprendre le cours des tournages. Le voici de retour avec un film qu’Agnès Jaoui décrit joliment comme “un ovni cinématographique” où l’on suit une scénariste de renom (Jaoui) retrouver le fil de sa vie lors d’une master class dans une école de cinéma de province dont le directeur (toujours séduisant Jonathan Zaccaï) n’est autre que son amour de jeunesse.
Le dispositif de la comédie romantique est surtout l’occasion d’une mise en abyme de la personnalité d’Agnès Jaoui qui semble se confondre ici avec celle de son personnage dans cette réjouissante leçon de cinéma qui convoque Gilles Deleuze ou Paul Schrader. À la regarder parler d’amour et de cinéma à ses jeunes étudiants (sur une musique de Vladimir Cosma), on pense à Jean-Pierre Bacri, aux deuils de nos vies et à ce qu’il est encore permis d’espérer ou de recommencer, grâce à l’écriture. Une jolie surprise. - J.G.
** Réalisé par Frédéric Sojcher. Avec Agnès Jaoui, Jonathan Zaccaï, Géraldine Naccache - 90’.