Temps mort, Bonne conduite... Les films à ne pas manquer (ou à éviter) au cinéma

La rédaction a sélectionné pour vous les nouveaux films à ne pas manquer... ou à éviter cette semaine au cinéma.

temps mort
© Prod.

Temps mort ***

C'est le scénario qui s’est imposé à Ève Duchemin à partir de trois anecdotes rencontrées lors de son travail documentaire, même si elle avoue d’une voix très douce en interview avoir “beaucoup bataillé avec son récit”. Et pour cause. Après son portrait d’une directrice de prison (En bataille, Magritte du meilleur documentaire en 2017), la cinéaste décide de poursuivre son exploration de la prison par la fiction, parce qu’elle lui permet de poser sa caméra là où elle ne va pas d’habitude “par pudeur sans doute, et pour ne pas voler de temps aux détenus”, en l’occurrence ici le temps de la permission et du retour aux familles.

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Porté par trois acteurs d’une grande force charismatique, Temps mort suit les parcours de Bonnard (Karim Leklou, grandiose en père de famille intranquille), Hamousin (l’impressionnant acteur burkinabé Issaka Sawadogo) et du jeune Colin (le nouveau venu Jarod Cousyns, issu de la scène rap de Charleroi), tous trois en permission le temps d’un week-end. “La grande authenticité d’Ève c’est qu’elle ne se sert pas de la prison pour ouvrir une boîte à fantasmes. Elle n’aborde pas ces hommes par leur crime ou leur délit mais par leur humanité”, confie Karim Leklou.

Scènes de retrouvailles heurtées, scènes de danse, d’amour ou d’effondrement psychique, le film encaisse tout cela avec une empathie qui rompt avec les codes virils du film de prison. Comment rester père lorsqu’on est détenu? Comment sortir des mécanismes physiques que la détention a marqués sur les corps? Comment encore aimer une femme lorsqu’on ne sait plus comment être touché? Entouré par les fantastiques Johan Leysen (grand acteur flamand qui vient de nous quitter), Babetida Sadjo ou Nicolas Buysse, le film tente aussi de responsabiliser notre regard sur la prison, avec un regard féminin qui refuse tout didactisme ou héroïsation. “On a une responsabilité collective envers ces hommes. J’ai voulu montrer cela à travers une aventure intime, sans stigmatiser. Filmer le débordement masculin, les corps qui lâchent, filmer des hommes qui pleurent, qui tombent le masque ou qui ne maîtrisent plus leur corps, c’est très politique pour moi. J’ai voulu questionner la prison en passant par les chairs, les regards. Ce qu’il y a de plus politique, c’est les émotions. Autorisons-nous à nous identifier à des gens qu’on pourrait facilement stigmatiser, en les raccrochant à l’universel. Essayons de nous regarder et de nous aimer même si c’est difficile”, propose Ève Duchemin. Pari tenu. - J.G.

*** Réalisé par Ève Duchemin. Avec Karim Leklou, Issaka Sawadogo, Jarod Cousyns - 118’. 

Toute la beauté et le sang versé ****

Dans les années 1980, Nan Goldin a travaillé à une série intitulée La ballade de la dépendance sexuelle, devenue un symbole de la contre-culture, mettant en scène la communauté queer new-yorkaise (et sa propre vie sexuelle), jusqu’ici invisible dans les galeries d’art. Le documentaire de Laura Poitras plonge tout d’abord dans la fabrique du regard de Nan Goldin au prisme de sa mémoire meurtrie. Ressurgissent ainsi son enfance suffocante dans le New Jersey, la perte originelle de sa sœur Barbara (qui se suicide à l’âge de dix-huit ans lorsqu’elle se découvre lesbienne), les amitiés fondatrices, l’expérience de la prostitution et de la drogue, la vie underground au Tin Pan Alley à Times Square (un bar new-yorkais alors tenu uniquement par des femmes), les amours toxiques et celles qui nous sauvent, restituant l’héritage blessé d’une communauté décimée par les années sida.

Le film entremêle à cette mémoire l’actuel combat de Nan contre l’addiction aux opiacés et le procès qu’elle a mené avec l’association PAIN contre la famille Sackler, mécène de lieux culturels majeurs (Guggenheim, Louvre, Met…) et responsable de la crise des opiacés aux États-Unis qui aurait fait 500.000 morts par overdose entre 1999 et 2019. D’une empathie extraordinaire, le film est un hommage à la marginalité comme résistance, à ceux qui fuient le rêve américain ou qui y survivent, “par-delà les regrets inextinguibles”. - J.G.


**** Réalisé par Laura Poitras. Avec Nan Goldin, Cookie Mueller - 177’.

Are You Lonesome Tonight? ***

Voici un premier film qui n’a pas peur de ses références. Convoquant les films de gangsters hong-kongais des années 1990 et la stylisation romanesque d’un Wong Kar-wai, le cinéaste chinois Shipei Wen s’enfonce dans les méandres de la culpabilité de Xueming, travailleur précaire à Canton persuadé d’avoir provoqué la mort d’un homme en l’écrasant par accident. En se rapprochant de la veuve de la victime, le jeune homme se perd dans un engrenage dont il ne maîtrise pas l’issue. Stylisant sans vergogne la violence urbaine sur une chanson éponyme d’Elvis Presley, le film (raconté en voix off par flash-back depuis la prison) injecte aux codes du polar une dose de mélancolie poisseuse et quasi fétichiste qui ravira les amateurs de John Woo ou Michael Mann, voire de Quentin Tarantino lorsqu’on découvre dans un final inattendu à qui profite le crime. - J.G.

*** Réalisé par Wen Shipei. Avec Eddie Peng, Sylvia Chang - 96’.

Bonne conduite *** 

Il y a certains films que l’on ne peut qu’adorer ou détester. Souvent pour les mêmes raisons. Bonne conduite est de ceux-là. Le plaisir qu’il suscite résulte du clash entre la comédie potache et un univers profondément noir, presque glauque. Et ça marche. Derrière ce projet à mi-chemin entre le Duel de Spielberg et les délires de Quentin Dupieux, il y a l’équipe du Palmashow : Jonathan Barré, réalisateur qui complète idéalement le duo formé par David Marsais et Grégoire Ludig. Ces derniers interprètent deux flics (dont l’un des deux élève la stupidité au rang des beaux-arts) enquêtant sur la découverte d’un cadavre calciné dans le coffre d’une voiture tombée d’une falaise.

Ce qu’ils ignorent, mais que le spectateur sait, c’est que l’accident a été provoqué par une psychologue complètement barrée qui travaille à la réinsertion des mauvais usagers de la route et prend plaisir à envoyer ad patres les chauffards impénitents. En justicière de la sécurité routière, Laure Calamy fait des étincelles. Drôle, folle, inconsciente et touchante, elle incarne parfaitement les névroses contemporaines qui peuvent naître derrière le volant d’une bagnole. - E.R.


*** Réalisé par Jonathan Barré. Avec Laure Calamy, Tchéky Karyo - 95’.

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