
Magic Mike's Last Dance, The Chapel, Dounia et la princesse d'Alep... Les films à ne pas manquer (ou à éviter) au cinéma

The Chapel
La Belgique est réputée pour son chocolat, ses gaufres et le Concours Reine Élisabeth. Qui en remporte le premier prix est assuré d’une carrière internationale. Pour les finalistes, les conditions sont contraignantes: confinés à la Chapelle Musicale, sans aucun lien avec l’extérieur, ils disposent de sept jours pour préparer leur prestation sur une œuvre imposée et une œuvre de leur choix. Pour Jennifer (Taeke Nicolaï), ce sera le Concerto n°2 de Rachmaninov, une pièce qui la ramène à un épisode douloureux de son passé.
Le projet de The Chapel est né il y a plus de trente ans. “Je travaillais avec Erik Orsenna sur un projet qui ne s’est jamais fait, nous confie Dominique Deruddere. Un soir, on regardait le Concours et Erik m’a dit qu’il trouvait ça marrant que personne n’ait encore fait de film sur ce sujet. Enfermer 12 personnes dans un château pour étudier un concert, c’est quand même très belge! Il avait raison. Mais je ne trouvais pas d’angle. Les années passent et en 2014, mon fils commence à faire du piano. Je voyais son désir de perfection et je me suis demandé si le talent, c’était un enfer ou le paradis. C’est la question à la base du film.” Un film qui n’a pas été tourné dans la vraie Chapelle (“J’avais plutôt besoin d’un bâtiment gothique, un peu angoissant, avec du vent qui souffle dans les couloirs”) et qui joue subtilement sur deux tableaux: la concurrence entre les finalistes et les tourments causés par le passé de l’héroïne, dont la clé ne nous sera révélée qu’au moment de sa prestation. “La difficulté, poursuit Dominique Deruddere, était de trouver un équilibre entre les deux récits qui se croisent. C’est un film très personnel et je ne dirai pas pourquoi sinon je révèle trop. Une expression en anglais dit qu’une jeunesse malheureuse est une mine d’or pour un auteur. Je me sers de choses que j’ai vécues, même si je n’ai pas été malheureux. Mais une vie sans histoire ne fait pas un film.”
Voici trente ans, Dominique Deruddere était le Felix Van Groeningen des années 90 avec des classiques comme Crazy Love ou Hombres complicados. Pourtant, malgré son statut et une reconnaissance internationale, faire aboutir un nouveau projet reste compliqué. “Il y a des paramètres qui font que c’est plus difficile. Il y a plus de cinéastes talentueux mais pas plus d’argent! Je sens que l’âge dans ce métier et dans ce pays n’aide pas beaucoup. À chaque nouveau projet, j’ai l’impression de faire un premier film.” - E.R.
*** Réalisé par Dominique Deruddere. Avec Taeke Nicolaï, Renée Vanderjeugd - 97’.
Dounia et la princesse d’Alep
Orpheline de mère, Dounia n’a que six ans lorsqu’elle doit quitter Alep, comme les six millions de réfugiés qui ont fui la guerre en Syrie depuis 2011. Conteuse et poétesse née en Syrie et vivant au Québec, Marya Zarif livre ici une autobiographie de l’exil en version animée, nourrie des flash-back de son enfance syrienne. Les odeurs, les épices ou les graines de nigelle que cuisine sa grand-mère permettent à Dounia de supporter la traversée en bateau vers la Grèce et l’arrivée difficile à Budapest où ses grands-parents cherchent asile avant de partir vers le Canada. Coréalisé par André Kadi (et d’abord paru sous forme de websérie pour enfants), le film restitue un univers sensoriel en forme d’hommage à la culture syrienne, dans une beauté formelle à la fois très quotidienne et poétique, où l’exil prend la forme rêvée d’une princesse aux cheveux de nuit. À partir de six ans. - J.G.
*** Réalisé par Marya Zarif et André Kadi - 72’.
No Bears
Dans Red Rose (2014), Mina Kavani apparaissait dénudée et sans voile. Elle a fui le régime iranien qui la taxait d’artiste “pornographique”. Dans le film de Jafar Panahi, condamné à une peine de 6 ans de prison en juillet mais libéré après avoir entamé une grève de la faim pour protester contre ses conditions de détention, elle joue Zara, comédienne forcée à l’exil qui interprète une femme attendant son passeport pour quitter le pays.
”Que ce film soit arrivé dans ma vie est assez magique, confie-t-elle. J’ai toujours cru que les rôles choisissaient les interprètes. Et c’est le cas ici. Zara m’a choisie. Nous avons la même âme. Monsieur Panahi ne me connaissait pas. Je suis sûre qu’il a senti que j’étais faite pour ce rôle.” Le réalisateur de Taxi Téhéran et de Trois visages a tourné No Bears par Zoom. Lui en Iran, son équipe en Turquie. À travers deux récits parallèles, son film dénonce le mensonge, la peur, le poids d’un régime et d’une tradition qui soumettent les femmes. Les femmes artistes en particulier. “J’aurais pu continuer à faire mon métier en Iran, poursuit Mina Kavani, mais je n’avais pas envie d’être une actrice censurée. Petite, je rêvais de Gena Rowlands, d’Isabelle Adjani. Il y a beaucoup d’actrices iraniennes que j’admire mais c’était impossible pour moi de devenir prisonnière d’un régime.”
Aujourd’hui, la révolte gronde en Iran. Mais le régime réprime durement ses opposants. Et la peur subsiste chaque fois que Mina Kavani pense à sa famille restée au pays. “Je ne crée pas pour poser un acte engagé. Je déteste la politique. Elle m’a pourri la vie. J’ai écrit une pièce autobiographique qui peut être considérée comme politique mais je préfère être vue d’abord comme une artiste. Les artistes ne salissent pas les choses. On ne recherche pas le pouvoir. Juste l’art et la beauté.” - E.R.
*** Réalisé par Jafar Panahi. Avec Jafar Panahi, Mina Kavani, Naser Hasheimi, Vahib Mobasheri - 107’.
Retour à Séoul
Parfois des personnages intenses surgissent dans le paysage cinématographique et dépassent l’écran. Freddie est de ceux-là, magnifiquement incarnée par la viscérale Park Ji-min, jeune plasticienne qui a elle-même connu le déracinement (née en Corée elle est arrivée à Paris à neuf ans avec ses parents artistes). Après un vol annulé vers Tokyo, Freddie décide de partir impulsivement à Séoul, et débute pour elle un voyage de presque dix ans qui explore le “trou noir de ses origines”, selon Davy Chou, cinéaste franco-cambodgien qu’on a pu rencontrer aux journées Unifrance à Paris. Débarque sous nos yeux une héroïne en guerre, autodestructrice et provocatrice, à la recherche d’une réconciliation intime que nous raconte son réalisateur: “J’ai voulu me détacher des fictions réconciliatrices un peu dangereuses autour de l’adoption. Freddie refuse ce mensonge-là. On est parti d’un personnage hors norme qui met le chaos un peu partout, un personnage mal aimable qui peut aussi être libérateur pour le spectateur”. Il en ressort un film comme un voyage intérieur, influencé par le cinéma coréen de Hong Sang-soo comme par le cinéma new-yorkais qui explore la ville comme un paysage mental. - J.G.
*** Réalisé par Davy Chou. Avec Park Ji-min, Yoann Zimmer, Louis-Do de Lencquesaing - 119’.
Magic Mike’s Last Dance
Steven Soderbergh tourne vite : près de 40 films en un peu moins de 4 décennies. Une filmographie abondante certes, mais sans aucune logique apparente. Quel lien entre Side Effects, Contagion, Let Them All Talk, Che ou Behind the Candelabra ? La seule récurrence que l’on peut débusquer dans un parcours où il saute allègrement d’un genre à l’autre est son goût certain pour les trilogies. Celle des Ocean’s l’a tenu en haleine entre 2001 et 2007, avant qu’une autre ne l’occupe à partir de 2012. Après avoir réalisé Magic Mike inspiré par le passé de stripteaseur du sculptural Channing Tatum, il a produit Magic Mike XXL, la suite moins réussie, et se retrouve à nouveau dans le fauteuil du réalisateur pour ce Magic Mike’s Last Dance. Un scénario post-COVID qui voit le bel entrepreneur ruiné et obligé de jouer les barmans dans des soirées philanthropiques pour milliardaires en manque d’activité. C’est là que Mike rencontre Max (Salma Hayek) qui l’emmène à Londres pour dépoussiérer le vieux théâtre à l’anglaise dont elle est la propriétaire.
Perfide Albion oblige, le show reste dédié au corps masculin mais dans une version moins déshabillée, comme c’était le cas dans les deux premiers volets, que chorégraphiée. L’ancienne équipe est restée aux Etats-Unis et c’est une nouvelle moisson d’apollons qui est recrutée pour l’occasion. Détail qui a son importance : aucun billet n’a été maltraité en étant chiffonné puis glissé dans un string pendant le tournage. C’est dire que chez les Grands Bretons, le striptease masculin se pratique sans l’once d’une vulgarité. À part cela, rien de neuf sous les tablettes de chocolat : cette « Dernière Danse » n’est ni meilleure ni pire que les deux autres. Les amateur·ices y trouveront leur compte. Les autres prieront pour que Soderbergh entame vite une nouvelle trilogie. - E.R.
** Réalisé par Steven Soderbergh. Avec Channing Tatum, Salma Hayek, Ayub Khan-Din. - 112'