
Les usagers culturels ont des droits : quel est ce Code que personne ne connait ?

Le public a des droits. Ça paraît logique, mais depuis 2006, ils sont officiellement reconnus par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Cela fait presque 17 ans qu’un “Code de respect des usagers culturels” est censé régir le rapport entre les organisateurs et les visiteurs. Vous n’en avez jamais entendu parler? C’est normal, son utilisation est marginale. Mais cela pourrait bientôt changer…
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Pour comprendre ce qui s’est joué ces dernières semaines, revenons aux bases avec Bernard Hennebert, ancien journaliste devenu blogueur et fondateur de la Ligue des usagers culturels (LUC). “En 2006, un long combat a mené à ce que le ministère de la Culture et le gouvernement décident de créer un Code des usagers culturels, qui a défini 15 points prioritaires. Notamment, celui qui dit que l’organisateur doit afficher le Code à l’entrée et à la sortie des lieux culturels (musées, bibliothèques, salles de spectacles…) et pouvoir donner un exemplaire aux visiteurs. Tu as déjà vu une feuille à l’entrée? Sur les plus de 3.000 lieux culturels de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le nombre de ceux qui affichent le Code est extrêmement faible, voire nul.”
En couveuse
Ce fameux Code est longtemps resté en couveuse. Après un an, la ministre de la Culture de l’époque, Fadila Laanan, signale qu’aucune plainte n’a été déposée par les usagers. Les lieux culturels de la FWB seraient-ils donc parfaits? Non. On se rend compte que les inspecteurs prévus pour vérifier le respect du Code n’avaient pas fait grand-chose. Chaque année, le ministère et le médiateur de la FWB devaient également remettre un rapport au gouvernement. Il y en a eu, tout au plus, trois. Depuis, plus rien.
Récemment, le coordinateur d’un grand théâtre bruxellois a réalisé une enquête sur le degré de connaissance du Code par son personnel. Aucun employé n’était au courant de son existence. Même son de cloche du côté de Pierre Paquet, directeur des musées pour la Ville de Liège. “On ne le savait pas et clairement, ce n’est pas normal. C’est une obligation imposée par la FWB et toutes les institutions culturelles doivent avoir connaissance de ce Code. Mais ça nous avait effectivement échappé. À notre décharge, on a vraiment beaucoup de contraintes de la part de la FWB. Je suis arrivé à la tête des musées il y a trois ans et demi et je n’ai pas intégré tous les textes. Mais nul n’est censé ignorer la loi, donc on devait le savoir.” En 2022, le ministère de Culture a décidé, appuyé par la LUC, de réactiver le Code auprès des institutions culturelles.
Pour dix euros
Quelle est la procédure en cas de plainte? “Vous pouvez déposer une plainte écrite à tout organisateur culturel subsidié, et l’organisateur doit vous répondre de manière détaillée dans le mois, explique Bernard Hennebert. Dans un deuxième temps, si vous n’êtes pas satisfait, vous pouvez lui réécrire et il doit rerépondre. Si l’usager est insatisfait ou s’il ne reçoit pas de réponse dans le mois, il peut déposer une plainte au ministère. C’est là que par la suite, ça a merdé.” À cette étape, la réponse de l’administration se complétait d’un “mode d’emploi très restrictif”. Il fallait par exemple préserver la confidentialité de la plainte. “Oui mais nous, on dépose justement des plaintes pour que cela se sache et que ça évolue. Ils prévoyaient qu’on dépose plainte pour récupérer nos dix euros et pas pour faire évoluer la situation pour tout le monde.”

© Kanar
Le créneau principal de Bernard Hennebert, c’est la sensibilisation du public à la différence de traitement entre les services culturels et les produits du quotidien. “Sur ces produits, on a légiféré, et les gens ont le droit de savoir ce qu’ils vont acheter avant de l’acheter. Ingrédients, poids, date de fraîcheur… Ils connaissent le prix et peuvent les comparer. En culture, ce n’est pas le cas. Qu’est-ce qu’on doit dire sur une affiche ou au comptoir avant l’achat d’un ticket? Il n’y a aucune réflexion là-dessus.”
En décembre 2022, un visiteur de La Boverie contacte la LUC et se plaint du manque d’informations quant à l’absence de certaines œuvres lors de l’expo La modernité déchirée. Les acquisitions bâloises d’art dégénéré. La LUC demande une clarification à la direction de La Boverie, en plus de l’affichage du Code à l’entrée et à la sortie du musée, qui fait défaut.
Toujours sans affiche
Un mois plus tard, pas de réponse. La LUC envoie un rappel et note qu’un panneau indique désormais aux visiteurs quelles œuvres font temporairement défaut à l’exposition. Satisfait du panneau mais pas du silence du musée, une plainte est déposée au ministère de la Culture, rappelant que les affiches n’ont toujours pas été placées. Le 9 mars, une réponse arrive. Elle provient de Pierre Paquet, directeur des musées de Liège. Il précise qu’un “malheureux concours de circonstances fait que nous nous trouvons à vous répondre avec plus de deux mois de retard et nous vous prions d’accepter toutes nos excuses pour ces délais”, avant de répondre plus précisément aux plaintes et remarques.
Il explique: “Cela fait partie d’une démarche louable et si certains estiment cela bénin, nous pas. Le Code est venu formaliser des dispositifs qui existent dans la plupart des musées et rappeler à certains qui n’avaient pas conscience de tous les points à respecter. Notamment l’affichage, qui est probablement le moins bien respecté. Indiquer au visiteur qu’il peut se plaindre, c’est la moindre des choses. Pour moi, ce Code ne coûte rien et n’est pas un caillou dans la chaussure des institutions culturelles.”
Contre-pouvoir
La FWB précise que “les sanctions appliquées seront proportionnelles à la gravité et la récurrence des manquements aux engagements (par ex.: suspension temporaire ou diminution d’une partie ou de la totalité de la subvention accordée, résiliation de la convention ou du contrat-programme). La FWB ne sanctionnera les opérateurs culturels défaillants qu’après un avertissement et un rappel à l’ordre”.
On peut s’interroger sur la nécessité de créer une association de consommateurs dédiée aux services culturels, la LUC étant le travail du seul Bernard Hennebert. “J’ai 77 ans, je voudrais que des jeunes prennent le relais et gagnent leur vie avec ça”, dit-il. Ce ne serait pas une priorité pour Pierre Paquet. “La législation existe, l’administration fait son travail. Et des personnes comme monsieur Hennebert sont très attentives, et il n’y a pas que lui. Beaucoup de visiteurs nous font des recommandations et les musées en tiennent compte. Je ne vois pas trop l’intérêt d’un outil de contrôle supplémentaire.”
Pour son interlocuteur dans le dossier de La Boverie, c’est pourtant bien vers cela qu’il faut tendre. “Il faut inventer une sorte de contre-pouvoir contre les abus d’une trop grande industrialisation de la culture, qui la transforme en simple produit sans supplément d’âme. Ce qui est sain dans la vie sociale, c’est quand il y a Test-Achats, la Ligue des droits humains… Tout cela n’existe pas en culture. À chaque problème, on revient à zéro.”
Le Code
Voici les 15 droits des usagers de la culture de manière simplifiée.
1. Afficher le Code en évidence.
2. Fournir aux usagers une information complète.
3. Informer les usagers en cas de modification substantielle ou d’annulation de l’activité.
4. Indiquer le nombre initial de places disponibles.
5. Indiquer tous les tarifs à l’entrée.
6. Afficher les conditions générales.
7. Proposer spontanément le meilleur tarif.
8. Proposer des prix et réductions identiques, quels que soient le support et le moyen de réservation.
9. Ne pas surréserver.
10. Ne pas recourir à un système payant pour informer les usagers.
11. Diffuser une information ciblée.
12. Assurer un accueil minimum aux personnes à mobilité réduite.
13. Donner une copie du Code aux usagers.
14. Indiquer de manière visible ses coordonnées complètes.
15. Répondre de manière circonstanciée aux plaintes écrites dans les trente jours.