Damon Albarn de Gorillaz : "À part la musique, je ne suis bon que pour cuisiner et regarder les matchs de Chelsea"

Avec “Cracker Island”, il emmène son groupe virtuel sous les palmiers de Los Angeles. Bienvenue dans sa pop ensoleillée et dystopique qui accueille Bad Bunny, Tame Impala et Stevie Nicks.

Gorillaz à la conquête du monde
Gorillaz à la conquête du monde

Dimanche 19 juin 2022. C’est jour de fête pour tous les fans de pop. Gorillaz et notre Stromae doivent se produire devant 60.000 per­sonnes à Werchter Boutique. Quelques heures avant le concert de son (faux) groupe virtuel dans la plaine du ­Brabant flamand, Damon Albarn a convié ­quelques journalistes aux studios ICP, à Bruxelles. “Je viens de recevoir le “master” (la copie finale - NDLR) du nouvel album de Gorillaz que nous sortirons en février 2023. J’ai envie de l’écouter dans de bonnes conditions techniques. Ça vous dit?

Oui, ça nous dit. Bonnet de hipster malgré la chaleur, baskets, tenue streetwear, Damon s’installe sur le côté de la console et découvre pour la première fois “Cracker Island”, huitième album du groupe qu’il a créé à l’aube des années 2000 avec l’illustrateur, graphiste et réalisateur anglais Jamie Hewlett. Damon tape du pied, ferme parfois les yeux pour se concentrer sur une intro ou un solo de gratte et se montre satisfait une fois arrivé au final du dernier morceau Possession Island, ballade folk hippie chantée en duo par l’Américain Beck. “Alors, qu’en pensez-vous, ça ne ressemble pas à ce qu’on a fait précédemment, non?

 

Damon Albarn rappelle qu’il avait mis à profit son passage à Bruxelles, lors de sa tournée solo les 28 février et 1er  mars 2022, pour refaire quelques voix à l’ICP, mais que l’essentiel de “Cracker Island” a été conçu à Los Angeles. Le mot “sunny” (“ensoleillé”) revient souvent dans la conversation pour qualifier le disque. Celui-ci sonne aussi beaucoup plus pop que les premières productions de Gorillaz davantage ancrées dans le hip-hop et le dub. “”Cracker Island” c’est le fruit de ma virée californienne. Le disque est indissociable de Los Angeles. J’ai complètement changé mon regard par rapport à cette ville, ­précise le musicien anglais âgé de 54 ans lors d’une conversation ultérieure à distance. Lorsque je séjournais dans la Cité des Anges à l’occasion des tournées de Blur ou Gorillaz, je me contentais d’arpenter Sunset Boulevard comme un touriste en me disant que tout était superficiel. Et puis, j’ai eu l’occasion d’y passer plusieurs semaines avec Jamie Hewlett. J’ai visité différents quartiers, je suis allé voir comment on vivait dans les collines, j’ai engagé des relations sociales, parlé avec les musiciens locaux et je me suis finalement rendu compte que cette ville était très créative au point de vouloir faire un disque ici.

Des invités et encore des invités

C’est à Los Angeles que Damon et Jamie ont ­rencontré Greg Kurstin, musicien et producteur de 53 ans au C.V. impressionnant. Son nom figure dans les notes de crédit pour Lily Allen, Kylie Minogue, Sia, Pink, Beck ou encore ­Britney Spears. Du très lourd, mais aussi souvent du très mainstream. “Nous sommes de la même génération. Outre ses activités de producteur, Greg a aussi son propre groupe (The Bird And The Bee - NDLR) et a traîné durant sa jeunesse sur les bancs d’écoles artistiques. Nous avons un background similaire. C’est un vrai nerd. Comme moi, il collectionne les synthés analogiques mais les siens fonctionnent mieux. De plus, il connaît tout le monde à Los Angeles. C’est lui qui m’a présenté Bad Bunny, avec qui on a enregistré Tormenta, la première chanson écrite pour ce disque.

Un accident heureux. Surnommé le roi portoricain du reggaeton, Bad Bunny a fait exploser les compteurs en 2022, au point de devenir l’artiste le plus écouté de l’année écoulée sur Spotify avec 15,8 milliards de streams. Ballade easy-listening nonchalante invitant à boire un cocktail sous les palmiers, Tormenta devrait permettre à Gorillaz de toucher une nouvelle communauté de fans et pourrait déboucher sur une rencontre au sommet lors du très glamour festival californien Coachella (les week-ends du 14 au 16 et du 21 au 23 avril), où Gorillaz et Bad Bunny sont programmés. Parmi les autres invités de “Cracker Island”, on pointera la formation australienne Tame Impala sur New Gold, chanson qui croise effluves ­psychédéliques et flow rap, le chanteur/bassiste Thundercat qui insuffle son groove jazz sur la plage titulaire ainsi que l’icône Stevie Nicks (Fleetwood Mac) sur le magnifique Oil.

Dimension visuelle

Avoir Bobby Womack, Grace Jones, Robert Smith, Elton John, Noel Gallagher ou encore Jean-Michel Jarre dans le casting des albums précédents de Gorillaz constitue déjà quelque chose d’exceptionnel, mais Stevie Nicks c’est complètement dingue. Pour être honnête, quand j’ai écrit Oil, j’avais en tête Julian Casablancas, le chanteur de The Strokes, pour l’interpréter. Mais Greg Kurstin, qui adorait la chanson, m’a dit:Je bosse avec Stevie Nicks la semaine prochaine, je vais lui faire écouter Oil”. Stevie a adoré et accepté de poser sa voix sans rien toucher au texte. Quand j’ai entendu sa première prise, c’était clair que Oil était pour elle.  Désolé Julian…” Aussi feelgood et californien soit-il, “Cracker Island” reste pourtant un album de Gorillaz. Avec toute sa dimension visuelle et les messages subliminaux cachés dans les textes de Damon Albarn ou les clips signés Jamie Hewlett.

C’est la première fois depuis “Plastic Beach” (2010) que Jamie et moi avons passé autant de temps ensemble dans la même pièce pour réfléchir au concept d’un disque, poursuit Damon Albarn. Si nous avons quitté les studios d’animation Kong Studio à Londres (berceau de la plupart des musiques et des visuels de Gorillaz - NDLR) pour Los Angeles et écrire sur cette ville, nous l’avons fait au travers du spectre de Gorillaz en créant un univers dystopique. Nous avons imaginé que Los Angeles se trouve sur une colline, elle-même située sur une île. Une société y vit en huis clos et le culte de la personnalité y est très fort, avec tout ce que cela peut signifier comme dérives et système de pensée unique. En argot afro-américain, le terme “cracker” signifie une “personne blanche”. C’est assez péjoratif. Dans le disque je donne ma propre définition de ce mot.

Fait étonnant, Gorillaz avait tourné dans le monde avant la sortie de son nouvel album. Damon l’infatigable est déjà sur d’autres projets comme la ­réactivation de son groupe Blur (voir encadré) et la recherche de nouveaux sons. “J’adore créer de la musique. Je ne suis pas très bon pour autre chose, excepté cuisiner et regarder les matchs de Chelsea à la télé. Mais là, ça me déprime car mon équipe n’arrête pas de perdre.

Crackers Island ©BelgaImage

Cracker Island ***
Gorillaz
Warner Music

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