Iggy Pop: “J’ai besoin de repos, j’ai 72 ans”

Cette rentrée est marquée par le retour de l’Iguane qui publie “Free” – collection de chansons contemplatives et jazzy. L’album d’un homme libre, apaisé, loin de l’effervescence électrique de la mythologie rock and roll. Interview chez lui à Miami.

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Animal sauvage, ex-junkie et éternel loser, Iggy Pop s’est forgé une réputation d’icône punk dès les années 70. Sa discographie, chaotique et forcément inégale, doit beaucoup à David Bowie qui l’a aidé à enregistrer ses meilleurs albums. “C’était le seul qui aimait ce que je faisais”, dira souvent Iggy. Mais c’est aussi son instinct, son incroyable énergie, sa rage de vivre et son refus des concessions qui en ont fait une des personnalités les plus respectables et les plus aimées du rock. Il y a trois ans, après le très réussi “Post Pop Depression”, enregistré sous la direction de Josh Homme (Queens Of The Stone Age) et avec la complicité de Matt Helders (Arctic Monkeys), il avait annoncé qu’il ne ferait plus d’album. Depuis, il a collaboré avec le duo électronique britannique Underworld. Une expérience pour laquelle il s’est fait, selon lui, “étriller par la presse américaine”, malgré l’originalité de la collaboration. “Ils voulaient faire un album, mais si je ne m’étais pas enfui, je serais mort! Ou toujours en studio à essayer de comprendre ce qu’ils attendaient de moi”, dit-il en riant.

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Sorti vidé des dernières tournées, Iggy Pop a retrouvé un sentiment de liberté en posant sa voix sur des chansons élaborées par d’autres. Il en sort cette semaine le résultat, un album surprenant et intimiste enregistré avec de quasi-inconnus. Aux confins du spoken word, de l’ambient et du jazz, “Free” évoque les faces sombres des univers de Brian Eno, de Miles Davis et de Lou Reed dont il reprend un texte écrit en 1970. Pour évoquer cette sortie inespérée, Iggy Pop nous a reçu chez lui à Miami. C’est dans une grande maison donnant sur un des canaux du nord de la Biscayne Bay, un quartier calme à l’écart des villas de millionnaires de Miami Beach, que nous avons passé un après-midi avec lui. Jamais avare de son temps, drôle, attentif et accueillant, il nous prévient d’emblée: “Je suis un peu sourd d’une oreille, il faut me parler fort”.

Comment avez-vous découvert les jeunes artistes avec qui vous avez enregistré “Free”?

IGGY POP - En grande partie grâce à mon émission de radio sur la BBC. C’est amusant de voir ce que font tous les mecs comme moi, un peu âgés, quand on leur propose de faire de la radio. Ils fouillent dans leur vieille collection de disques pendant un an et puis ils arrêtent. J’ai fait pareil, tentant de trouver de nouvelles manières de jouer Cortez The Killer de Neil Young ou des trucs de Link Wray. Et puis quand j’ai songé à pérenniser mon émission, j’ai décidé que je voulais être dans la musique actuelle. Et j’ai commencé à écouter des tas de choses. À côté de Stockhausen ou Bill Evans, j’ai cherché dans l’underground d’aujourd’hui et j’ai trouvé du punk vraiment crasseux, du bon jazz, de la musique expérimentale électronique et des artistes comme Ewan Merrett ou Noveller qui est sur cet album. J’ai immédiatement pensé à son univers intimiste pour les poèmes sur lesquels j’avais bossé pour une opération de charité. Ils fonctionnaient bien avec sa musique et avec les productions de Leron Thomas, un excellent trompettiste de jazz à qui j’ai demandé de m’écrire cet album.

On n’attendait plus d’album de votre part. Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis?

En vérité je ne sais pas trop si “Free” est un album ou une simple collection de chansons. Une partie est inspirée d’une collaboration pour un album de Leron Thomas, une autre a été enregistrée pour une opération de charité, une autre encore, The Dawn, pour un court métrage français… Je suis fier de ces chansons et j’ai pris tellement de plaisir à faire ça que j’ai eu envie que ça sorte, tout simplement.

Un des moments forts est We Are The People, un poème de Lou Reed écrit en 1970. Avez-vous découvert ce texte récemment?

Oui. C’est Don Fleming, qui s’occupe des archives de Lou Reed, qui m’a envoyé Do Angels Need Haircuts?, le recueil de poèmes qu’il a sorti avec Laurie Anderson. J’ai ouvert le livre et la première chose que j’y ai vue est ce poème. J’étais totalement soufflé. Ça décrit exactement notre époque. C’est précisément ce que je ressens depuis 1952, depuis que je suis assez grand pour me rendre compte à quel point les États-Unis sont un endroit immonde. Par ailleurs, j’avais demandé à Leron un truc qui s’inspire d’Ascenseur pour l’échafaud de Miles Davis. Le poème et cette musique vont parfaitement ensemble. Dans l’enregistrement de 1971 où Lou Reed lit ce poème, il le récite de manière très rapide, contrairement à moi. Sa voix et la mienne sont assez différentes pour que j’ose me l’approprier.

Vous ne tentez jamais de capitaliser sur le succès d’un album. C’est à nouveau le cas ici après le triomphe de “Post Pop Depression”. Vous aimez surprendre?

En termes d’albums je n’ai jamais aimé me répéter. Sur scène c’est différent, j’aime pousser mes chansons dans leurs derniers retranchements, jusqu’a ce que je puisse “sentir leur victoire”. Et je suis têtu! Sur album en revanche, j’essaie toujours de passer à autre chose très rapidement. Mais j’étais très heureux de “Post Pop Depression”. C’était la première fois que je pouvais vraiment mettre l’accent sur les mélodies et les arrangements. Et puis Josh Homme m’a bien bousculé, il m’a aidé à devenir un meilleur chanteur. Pour Break Into Your Heart, qui ouvre l’album, il m’a envoyé la mélodie de guitare et j’ai écrit un texte. Quand je l’ai chanté, il m’a engueulé en me disant que ce n’était pas bon, que je devais être plus puissant, que c’était nul! Ça m’a pris des mois pour y arriver, je séchais, vraiment. Mais je dois reconnaître qu’il avait raison. C’était vraiment un album très important pour moi. Un des plus substantiels. Je crois que la personne que je suis y transparaît même plus que dans “Fun House” ou “Raw Power” qui sont de très bons albums mais qui ne contiennent qu’une partie de ce que je peux offrir.

Vous n’avez jamais rien fait pour qu’il en soit ainsi, mais vous êtes devenu une personnalité très aimée. Avez-vous conscience d’être quelqu’un de très aimé?

(Rire.) Wow! C’est intéressant comme observation… J’ai remarqué ça de temps à autre récemment et c’est un peu troublant. C’est mieux que le contraire évidemment, j’ai passé tellement d’années à être détesté. Je me dis qu’il y a peut-être une raison. Les gens subodorent quelque chose, je ne sais pas trop quoi, mais ils sentent quelque chose. Mais ce qui me surprend surtout, c’est à quel point la perception que les gens ont de moi a évolué. Pendant des années on trouvait horrible tout ce que je faisais. Aujourd’hui, les enfants de ces gens trouvent ça super-cool! J’ai sans doute su tenir plus longtemps que les autres.

Depuis quelques années on vous voit dans des publicités, souvent humoristiques. Vous aimez jouer avec votre image?

Ça ne me passionne pas vraiment, mais les grosses sociétés paient bien et j’aime quand c’est amusant. J’ai accepté ces propositions parce que ça m’offrait une exposition alternative. J’ai compris à quel point la célébrité aide beaucoup les artistes à survivre dans ce métier. Il y a des gens qui ne me connaissent qu’à travers des publicités, mais au moins ils me connaissent. Et tant pis pour eux! (Rire.)

Celle pour Amnesty International, où vous vous moquez de Justin Bieber, était percutante…

Oui. Mais ils ne m’ont pas demandé l’autorisation! J’étais furieux car jamais je n’insulterais quelqu’un. Jamais. J’ai vu une vidéo de ce gamin et il joue vraiment bien de la batterie. Qu’on le laisse vivre sa vie, je n’ai aucun jugement à apporter sur ce qu’il fait.

Vous avez travaillé avec Michel Houellebecq et êtes devenus amis. Qu’est-ce qui vous intéresse chez lui?

On est assez proches, mais comme je ne parle pas français, ça limite les choses. Je le respecte beaucoup et j’admire ce qu’il fait. Dans le film To Stay Alive: A Method (“Rester vivant: une méthode”, du réalisateur néerlandais Reinier van Brummelen – NDLR), j’ai adoré dire ses mots, tenter de les incarner à l’écran. Je l’ai découvert il y a quelques années à travers ce texte. Ça m’a fort impressionné. Ses nouvelles m’ont beaucoup parlé également. Les plus récentes me semblent moins personnelles, plus divertissantes, mais toujours passionnantes, comme son essai sur l’art contemporain. Et puis j’aime beaucoup son sens de l’humour.

Dans son documentaire sur le groupe, Jim Jarmusch décrit les Stooges comme le plus grand groupe de rock du monde mais aussi comme un groupe d’avant-garde et de free jazz. Selon lui, vous n’essayiez pas de copier les Rolling Stones comme la plupart des groupes de l’époque.

J’avais beaucoup de respect pour les Stones, mais l’idée était plutôt de s’emparer intelligemment de tout ce qu’ils avaient amené en prenant soin de ne pas les imiter ou les copier. Certains membres du groupe pensaient pouvoir être les “American Stones”. Sauf que non… Pour être les Stones américains, il faut avoir deux fois moins d’intelligence qu’eux et deux fois plus de technique. Et ce groupe existe, c’est Aerosmith. Ils sont moins intéressants, moins brillants, leurs chansons sont moins bonnes, de moins bon goût et ils ne sont pas aussi pertinents. Mais Steven Tyler peut chanter comme Pavarotti, le guitariste Joe Perry sort des super-riffs et leur batteur est un tueur. Mais bref… À l’époque, j’étais désireux de prendre des choses çà et là. Dans le jazz de la fin des sixties et du début des seventies, chez Lou Reed qui était une grande référence… Pour sa musique, simple et efficace, et pour ses textes directs. On savait exactement de quoi il parlait. On voyait l’aiguille entrer dans le bras, on voyait les bottes de cuir et le fouet.

Jim Jarmusch est venu à Cannes présenter The Dead Don’t Die entouré de l’impressionnant casting du film. Pourquoi n’étiez-vous pas présent?

Je n’ai pas un rôle important dans ce film. En fait je n’imaginais même pas qu’on remarquerait que j’y figure tant le casting est dingue. Au départ personne ne l’avait remarqué d’ailleurs. Et puis les gens ont capté que c’était un film de zombies et que je jouais le zombie! Mais je ne dis qu’un mot, je ne suis pas celui qui sort les punchlines (rire)… En fait, à ce moment, je bossais sur mon album. Et puis j’ai besoin de repos, j’ai 72 ans!

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