Le chômage en Belgique est-il trop généreux ? Voici ce que gagnent les chômeurs chez nos voisins

Notre système de chômage sera au centre de la campagne électorale de 2024. De plus en plus de partis, même à gauche, voudraient le limiter comme chez nos voisins.

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Actiris Bruxelles. En 2022, sur 291.000 chômeurs complets indemnisés, 155.000 l’étaient depuis deux ans ou plus. © PhotoNews

La première chose à faire, c’est de s’inscrire à l’Onem.” Il n’y a pas si longtemps, c’est ce qu’on conseillait dès la sortie du secondaire. Ambiance. Les temps ont changé et le système de chômage a évolué. S’il fallait s’inscrire à l’Onem le plus tôt possible, c’est qu’à l’époque le droit au chômage s’ouvrait après un “stage d’attente” de quelques mois. “Six, je m’en souviens bien”, confirme Frédéric Viseur, qui fut longtemps permanent CSC des travailleurs sans emploi. “Mais ces six mois vous permettaient de toucher le chômage, de façon illimitée. C’était potentiellement un chômage à vie.” La situation a été modifiée, notamment par la réforme de 2015 stigmatisée alors par la fameuse sortie d’Elio Di Rupo, pourtant Premier ministre: “J’ai le cœur qui saigne”.

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Au sortir des études, plus de stage d’attente de six mois mais un “stage d’insertion professionnelle” - la même chose sous un autre nom - d’un an; ensuite, des allocations d’insertion allouées pour trois ans maximum, à condition d’avoir un diplôme et moins de 25 ans. “Mais si vous êtes chef de ménage, le compteur de ces trois ans se met en route lors du 30e anniversaire. À 33 ans maximum, si la personne n’a toujours pas ouvert ses droits sur base de jours de travail prestés, elle est exclue”, fait remarquer Frédéric Viseur. À partir de 25 ans sauf quelques exceptions, il faut avoir travaillé un certain ­nombre de jours endéans une certaine période - par exemple, pour les moins de 36 ans: 312 jours sur les 21 derniers mois - pour ouvrir ses droits au chômage. Les jours de travail devant être prestés évoluent avec la tranche d’âge et peuvent l’avoir été dans certains pays (notamment de l’UE).

Dégressivité en trois périodes

Une fois les droits au chômage ouverts par une période de travail suffisante, le chômeur touche pendant les trois premiers mois 65 % du dernier salaire perçu (plafonné à 3.200 euros). Du quatrième au sixième mois de chômage, 60 % du dernier salaire perçu. Du septième au douzième mois de chômage, 60 % du dernier salaire perçu (mais cette fois limité à 2.982 euros). Il y a donc assez rapidement une dégressivité des allocations durant la première année de chômage.

Cette dégressivité va augmenter durant une ­deuxième période d’indemnisations. Enfin, il y a une troisième période d’indemnisation et qui n’est pas limitée dans le temps. Une allocation journalière de 63 euros est versée à un cohabitant ayant charge de famille, de 51 euros à un isolé, de 27 euros à un cohabitant n’ayant pas charge de famille. Les première et deuxième périodes peuvent être prolongées notamment par une participation à une formation professionnelle. Voilà pour l’essentiel des principes du modèle de chômage belge. Il y a ­évidemment de multiples exceptions. Du reste, le service de communication de l’Onem se garde bien de répondre directement à une question précise tant la matière est complexe.

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Le chômage de longue durée serait favorisé par notre système “illisible”. © PhotoNews

Trop compliqué pour être efficace?

Les règles d’indemnisation du chômage belge sont particulièrement ardues… surtout durant la “deuxième période”.

La dégressivité des allocations de chômage va augmenter durant une deuxième période d’indemnisation “équivalente à 2 mois, prolongée de 2 mois par année de travail”. Cette deuxième période est de maximum 36 mois. Un cohabitant ayant charge de famille touchera 60 % du dernier salaire perçu limité au plafond salarial inférieur (2.786 euros maximum). Un isolé, 55 % du dernier salaire limité au plafond salarial spécifique (2.726 euros maximum) et un cohabitant sans charge de famille, 40 % du dernier salaire perçu limité au plafond salarial inférieur. Ce manque de lisibilité est souvent pointé par les observateurs comme l’une des raisons pouvant expliquer le chômage de longue durée.

Modèle britannique: sans amortisseurs

Certains partis politiques pointent pourtant depuis quelques mois la “générosité” du modèle. Parfum de campagne… Vooruit, descendant du parti socialiste flamand, a rejoint depuis le 1er mai la N-VA, le CD&V, l’Open VLD ainsi que le MR et Les Engagé.e.s dans le camp des partisans d’une limitation dans le temps des allocations de chômage. On notera que depuis 2004 et la réforme créant le ­processus d’activation des demandeurs d’emploi, il est permis de suspendre, voire de mettre un terme au droit aux allocations de chômage en cas d’évaluations négatives de la recherche d’emploi.

L'Angleterre compte 3,7% de chômeurs. Ils touchent au maximum 390 euros par mois.

Les largesses même racornies de notre système ont des conséquences statistiques. Selon les chiffres de l’Onem, en 2022, sur 291.000 chômeurs complets indemnisés, 155.000 l’étaient depuis deux ans ou plus. Le taux officiel de chômage est de 6 %. La Belgique présente, par ailleurs, un taux de demandeurs d’emploi indemnisés supérieur (55 %) à la moyenne européenne (35 %). Lorsqu’on s’enquiert de la situation chez nos voisins, on constate que si notre système n’est pas parfait, il est, sur les principes du moins, bien plus confortable que ce qui se passe ailleurs. Prenons le modèle de chômage britannique. Pas de stage d’attente ni de stage d’insertion professionnelle. Seul moyen d’ouvrir des droits au chômage: avoir travaillé et contribué à l’assurance chômage les “deux à trois dernières années”. Le chômage est d’une durée maximale de 6 mois et il est payé toutes les deux semaines. Combien? Accrochez-vous. Jusqu’à 24 ans: 154 euros. À 25 ans et plus: 195 euros. Donc, par mois, de 308 à 390 euros. Il est à noter que ces montants sont les mêmes pour le revenu d’insertion de base. La seule différence entre les deux, c’est que le revenu d’insertion de base peut être moindre si vous avez quelques économies. Taux de chômage britannique: 3,7 %.

Modèle français: plus généreux mais limité

En France, il faut avoir travaillé au moins six mois pour pouvoir prétendre à une indemnisation en période de chômage. On y applique, grosso modo, un principe équivalant à “un jour travaillé, un jour indemnisé”. Mais la durée d’indemnisation ne peut pas être inférieure à six mois et ne peut être supérieure à 18 mois pour les allocataires âgés de moins de 53 ans, 22,5 mois pour les 53/54 ans et 27 mois pour les plus de 55 ans. L’indemnité se monte à un ­pourcentage du dernier salaire perçu en carrière (à hauteur de 56 %) avec un maximum de 275 euros brut par jour (8.250 euros/mois). Mais la dégressivité est effective à partir du septième mois de chômage.

Mais dans tous les cas, l’allocation ne pourra pas être inférieure à 89 € brut par jour, soit environ 2.679 € brut pour un mois de 30 jours. Taux de chômage français: 7,2 %. En 2022, en France, seuls 13 % des chômeurs l’étaient depuis au moins deux ans (contre 53 % chez nous).

Luxembourg: aussi pour les indépendants

Le modèle allemand (5,6 % de chômage) ressemble au modèle français si ce n’est que le principe est plutôt celui du “deux jours travaillés, un jour indemnisé”. Avec un maximum d’indemnisation de 2 ans et un plafond maximum de 7.300 euros. Aux Pays-Bas (3,5 % de chômage), il faut avoir travaillé 26 semaines sur les 36 dernières. Et les règles d’indemnisation sont strictes: une année travaillée ouvre une indemnisation d’un mois (avec un minimum de trois mois et un maximum de 3 ans et deux mois). Le montant versé est égal pendant deux mois à 75 % du dernier salaire, 70 % par la suite (plafonné à 257 euros/jour soit 7.710 euros/mois).

Au Luxembourg (4,9 % de chômage), les conditions d’accès sont presque semblables que celles qui prévalent aux Pays-Bas (26 semaines de travail mais sur les 12 derniers mois). Le principe d’indemnisation est celui du “un jour travaillé, un jour indemnisé” mais est limité à un an maximum. Le montant d’indemnisation correspond à 80 % du dernier salaire. Et le chômage est accessible aux indépendants et aux jeunes diplômés (70 % de salaire minimum). Notre pays se caractérise donc par le fait que les indemnités de chômage ne sont pas limitées dans le temps ce qui explique sans doute en partie le fait que 53 % des chômeurs belges le sont depuis deux ans et plus. Attention cependant à la tentation de solutions simplistes. Comme le rappelait récemment dans La Libre Bruno Van der Linden, professeur d’économie à l’UCLouvain: “On peut mener une réflexion sur la fin de droits, mais c’est une réforme d’une complexité rare et si on la fait à la hussarde, cela va être un désastre”…

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