Imposer un «job de base» aux chômeurs, comme le veut Conner Rousseau, favoriserait-il leur réinsertion à l’emploi ?

Les chômeurs n’ayant toujours pas retrouvé de travail au bout de deux ans devraient accepter un «emploi de base», sous peine de perdre leurs allocations, a proposé le président de Vooruit, Conner Rousseau.

Conner Rousseau, président de Vooruit
Conner Rousseau, président de Vooruit @BELGAIMAGE

«Moins de 5% des demandeurs d'emploi ont suivi une formation au cours de l'année écoulée et seuls 13% d'entre eux ont dû se soumettre à une obligation de recherche d'emploi au cours de l'année écoulée(...)». Les chômeurs sont généralement accompagnés, du moins lorsqu'ils sont néerlandophones, par le VDAB (l’équivalent d’Actiris ou du Forem). Du moins en théorie. Selon Conner Rousseau, c’est loin d’être le cas en pratique.

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À l’approche du 1er mai, fête du travail, le président de Vooruit (socialistes flamands) a donc dégainé une propositionv, pour le moins tranchante, pour ramener les chômeurs sous le chemin de l’emploi (on le rappelle, le gouvernement fédéral s’est fixé un taux d’emploi de 80% à l’horizon 2030).

Rien qu’en Flandre, près de 75.000 postes sont vacants auprès du VDAB, alors que près de 194.000 Flamands ne trouvent pas d’emploi. Et plus de 30.000 d’entre eux sont au chômage depuis 5 ans. «Tous ceux qui peuvent travailler doivent contribuer à renforcer l’État-providence, à maintenir la sécurité sociale à un niveau abordable et à assainir le budget», a estimé Conner Rousseau.

Qui propose que les chômeurs soient guidés de manière beaucoup plus active vers un emploi, et que ceux qui, au bout de deux ans, n’en ont toujours pas trouvé, doivent accepter un « job de base », sous peine de perdre leurs allocations.

Formation puis sanction

Dans le détail, selon la proposition du président de parti, les demandeurs d'emploi devraient pouvoir bénéficier d'une formation linguistique ou numérique dès le premier jour - si nécessaire - et recevoir de l'aide pour préparer un CV anonyme en ligne dans un délai de deux semaines. Ils devraient également recevoir une offre d'emploi par mois de la part du VDAB et postuler deux fois d'initiative.

Une évaluation suivrait tous les quatre mois, à l'issue de laquelle le VDAB pourrait imposer une formation. Un refus pourrait entraîner une sanction, comme la perte de l'allocation de chômage pendant plusieurs semaines.

Au bout de huit mois, une formation à un métier en pénurie peut être imposée. Si tout cela ne débouche toujours pas sur un emploi au bout de deux ans, le VDAB proposerait alors un "emploi de base" que le demandeur d'emploi serait tenu d'accepter. Dans le cas contraire, l’allocation de chômage prendrait fin.

 

 

De quel «emploi de base» parle-t-on?

Pour Conner Rousseau, il peut s’agir de toute sortes de fonctions, notamment au sein du service des espaces verts des communes, des clubs sportifs ou de loisir, dans l’enseignement ou dans les soins. Les demandeurs d'emploi y débuteraient avec un salaire minimum, mais une formation en cours d'emploi leur serait également proposée. Pour les inciter à collaborer au système, les employeurs recevraient une subvention.

À noter qu’actuellement, la législation permet de sanctionner un chômeur ayant refusé un emploi dit convenable (une série de critères sont établis) sans justification jugée suffisante. Une exclusion du bénéfice des allocations de 4 à 52 semaines peut être décidée ; une exclusion pour une durée indéterminée est aussi possible, si le refus d'emploi ou la non-présentation a eu lieu dans l'intention délibérée de continuer à bénéficier des allocations.

 

 

Selon les chiffres relayés par Le Soir, entre 2017 et le premier semestre de 2022, 45 Wallons ont été sanctionnés pour cela par le Forem ; un Bruxellois l’a été par Actiris ; et 1.086 Flamands par le VDAB.

"Se prétendre de gauche et proposer une politique de droite…"

La droite de l’échiquier politique a favorablement accueilli la proposition du socialiste flamand, puisqu’elle rejoint notamment celle défendue par le boss de l’Open VLD, Egbert Lachaert, de limiter l’octroi des allocations de chômage à deux années.

Côté francophone, Georges-Louis Bouchez, président du MR, a également applaudi : «Je suis très heureux que Conner Rousseau soutienne nos propositions sur le travail et l’activation. Parce que le travail est la meilleure politique sociale ! Est-ce que le PS est d’accord ? Ou les socialistes francophones resteront-ils le Parti de la sieste ?», a-t-il tweeté.

«Se prétendre de gauche et proposer une politique de droite… La politique de l’emploi, ce n’est pas la promotion du travail obligatoire. Ajoutez à ça le mépris que porte l’expression emploi de base», a par contre réagi Ahmed Laaouej, président de la Fédération bruxelloise du PS. «Ça a changé, le socialisme», a quant à elle pointé Rajae Maouane, coprésidente d’Ecolo.

 Disparaître "des radars"

Une telle proposition soulève en tout cas des questions, autant sur le plan organisationnel que politique et économique. «Le grand problème de la Belgique n’est pas le chômage, mais le fait que plus d’un million de Belges sont inactifs et ne veulent pas travailler, jugeait l’économiste Stijn Baert (UGent) dans De Morgen (propos relayés par Trends Tendance).

Si l’on met fin brutalement à une allocation de demandeur d’emploi, ces personnes disparaissent tout simplement des radars et sont beaucoup plus susceptibles de se retrouver en situation d’inactivité. Il est encore plus difficile de les faire travailler que de faire travailler les demandeurs d’emploi. Je pense donc qu’il vaut mieux les activer plus rapidement ou obligatoirement plutôt que de sortir immédiatement la hache de guerre».

Reste aussi à voir si la menace d’une coupure des allocations s’avère efficace pour ramener les chômeurs sur le chemin de l’emploi. Questionné dans Le Soir sur la limitation des allocations de chômage dans le temps, Jean-François Tamellini, patron de la FGTB wallonne, s'était opposé à la politique du bâton, en s’appuyant sur une étude menée par le Forem en 2019.

 

 

Celle-ci montrait que 55% environ des chômeurs ayant conservé leur allocation avaient retrouvé un job d’au moins une journée dans les deux ans, contre seulement 27% de ceux qui en avaient été privés. «À profil équivalent, il y a deux fois moins de chance d’insertion pour les exclus du chômage», pointait Jean-François Tamellini.

Or, renvoyer des personnes du chômage (dont le financement est supporté par le fédéral) pourrait les entraîner à pousser les portes des CPAS (dont le financement est notamment supporté par les Régions et les communes). De quoi un peu plus accentuer le fossé économique entre le sud et le nord du pays, et ainsi faire le jeu des nationalistes ?

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