La moitié des femmes scientifiques victime de harcèlement sexuel: "#Metoo n’a pas eu d’effet suffisant"

Une étude mondiale montre que dans le milieu scientifique, les femmes sont souvent victimes de harcèlement sexuel et encore plus de sexisme. Un sujet tabou qui fait l'objet d'une omertà.

Scientifique en labo
Une scientifique dans son laboratoire ©BelgaImage

49%: c'est le pourcentage de femmes scientifiques ayant été confrontées personnellement à au moins une situation de harcèlement sexuel au cours de leur carrière. Si ce chiffre vous interpelle, sachez que ce n'est que le début. La nouvelle étude Ipsos, menée pour la Fondation L'Oréal, regorge de constats alarmants sur le sexisme dans le monde scientifique. En interrogeant près de 5.200 personnes de 117 pays (hommes et femmes, dont près de la moitié en France), l'institut a pu constater l'ampleur du phénomène. Il s'avère notamment que la vague #MeToo n'a eu que peu d'impact dans le secteur. L'étude constate ainsi que 47% des femmes scientifiques victimes de harcèlement sexuel l'ont été au cours des cinq dernières années, et 24% dans les deux dernières années, soit bien après le début du mouvement féministe. Le reste du sondage montre ensuite à quel point le milieu de la science est rongé par la domination des hommes.

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Un harcèlement courant aux lourdes conséquences

L'étude d'Ipsos détaille d'abord quels sont les faits reprochés. Il est ainsi question de surnoms inappropriés et répétés assimilables à des insultes comme "minette" (situation vécue par 25% de toutes les femmes, victimes ou pas confondues), de questions intrusives, malaisantes et répétées sur la vie privée et sexuelle (24%), d'attouchements, caresses ou baisers non désirés (22%), d'une pression pour obtenir un rendez-vous hors du bureau (20%), d'une pression non désirée et répétée pour obtenir des faveurs sexuelles (9%), de l'envoi de messages à connotation sexuelle (8%), et de chantage sexuel (4%). 17% des femmes (toujours comptabilisées dans leur totalité) ont vécu au moins trois de ces situations.

Un autre volet du sondage montre ensuite que le plus souvent, les victimes de harcèlement sexuel sont jeunes. 64% d'entre elles déclarent ainsi avoir subi cela au moins une fois au début de leur carrière. Pour 26% des victimes, ces situations de harcèlement sexuel ont été subies à chaque étape de la carrière.

Au-delà des faits, Ipsos a également voulu évaluer les conséquences qui en découlent et il s'avère qu'elles sont nombreuses. 65% des victimes ont eu au moins un impact négatif sur leurs vies professionnelles. Le plus souvent, elles ont évité certains membres du personnel par la suite (52%). Beaucoup déclarent également s'être sentie en danger sur le lieu de travail (25%) et avoir perdu confiance dans la capacité de l'institution à réagir (20%). Parfois, l'impact est encore plus concret sur la carrière, certaines ayant été moins impliquées par la suite (15%), raté des occasions d'avancement (12%) voire quitté ou changé tout simplement d'emploi (9%).

Un sexisme omniprésent

Au-delà du harcèlement sexuel, il apparaît que le sexisme est généralisé. 81% des femmes scientifiques disent avoir vécu au moins une fois une situation de sexisme au cours de leurs carrières. Le plus courant, c'est le fait s'être rabaissé de façon condescendante en raison du genre (62% de toutes les femmes, victimes ou non). Suivent ensuite les préjugés sexistes dans des décisions importantes au boulot (40%), les histoires ou blagues sexistes offensantes voire des rumeurs (39%), ou encore le manque de respect vécu comme une humiliation en raison du genre (36%). 25% des femmes ont souffert d'insultes liée à leur genre. Enfin, 50% se sont retrouvées dans au moins trois situations de ce type.

Encore une fois, ce sont souvent les plus jeunes qui sont les premières visées. 54% des victimes de sexisme ont subi cela au début de la carrière. 37% ont vécu ces situations à chaque étape de leur vie professionnelle. L'étude a également demandé aux victimes de donner le statut de la ou des personnes qui se sont montrées sexistes. Parmi les personnes identifiées, c'est l'enseignant qui revient le plus souvent (36%), suivi par un membre du personnel administratif, technique ou d'entretien (26%), un étudiant (21%), un directeur de thèse (19%) ou de mémoire (14%).

La loi du silence

Ipsos fait remarquer que ses conclusions confirment le constat fait en France par le rapport du Haut Conseil à l’Egalité. Publié en janvier 2023, il observait que le "sexisme ne recule pas et qu’au contraire, il perdure ; pire, que ses manifestations les plus violentes s’aggravent".

"Cette persistance du sexisme au quotidien peut s’expliquer par le règne d’une omertà dans ce milieu", ajoute l'étude de l'institut de sondage. Si 86% des chercheurs (tous sexes confondus) "disent avoir été témoins d'au moins une situation de sexisme dans leur carrière, 56% d’entre eux ont dénoncé les faits dont ils ont été témoins". "Parmi les témoins qui ne se sont pas exprimés, la moitié (49 %) disent avoir entendu des histoires de personnes qui ont été impactés négativement pour avoir parlé et 39 % ont craint les représailles".

Cette omertà se retrouve aussi du côté des victimes de harcèlement sexuel. Seules 19% des ces femmes-là en ont parlé à leur institution.

La nécessité d'agir concrètement

En réaction à la publication d'Ipsos, la directrice générale de la Fondation L'Oréal, Alexandra Palt, a fait connaître son mécontentement. "La science n’a pas fait suffisamment sa révolution depuis #metoo", a-t-elle déclaré lors d'une conférence de presse.

La Fondation et ses soutiens appellent ainsi à ce que le milieu scientifique prenne des résolutions claires pour aller en ce sens. Ils citent notamment trois axes pour agir concrètement: une politique zéro tolérance, une sensibilisation massive et obligatoire, ainsi qu'un engagement budgétaire.

🡢 À lire aussi : Vaincre le sexisme à l’unif

"Notre mission première est de promouvoir, valoriser et soutenir les chercheuses", insiste Alexandra Palt. "Celle-ci passe donc aussi par ce travail de prévention, de sensibilisation et surtout de mobilisation, afin d’éradiquer ces comportements intolérables et de faire en sorte que chaque femme puisse exprimer pleinement son potentiel".

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