Explosion de burn out au travail : les leçons à tirer

Faire le gros dos au boulot est devenu le lot de la majorité des travailleurs. Mais cela ne suffit plus. Le nombre de burn-out explose depuis la crise sanitaire.

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Le burn out, une maladie souvent reprochée à l’employé et rarement rapprochée de sa vraie cause: le cadre de travail. © Adobe Stock

Environ 500.000 personnes sont en maladie de longue durée en Belgique, principalement en raison de troubles psychosociaux. Le nombre de burn out a augmenté de 66 % entre 2018 et 2021. Un raz-de-marée qui n’est pas près de s’arrêter. “L’incertitude actuelle n’aide pas alors que le Covid a tout ­bouleversé en instaurant le travail hybride. Il y a plus de distance entre collègues et moins de discussions de couloir et de tasses de café qui font du bien pour nourrir notre âme, remarque Griet Deca, chief happiness et stress et burn out coach. Des entreprises ont été maladroites et parfois brutales dans leur exigence de retour au bureau, ce qui a été perçu comme un manque de confiance.

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Avec les crises, beaucoup de questions existen­tielles se sont bousculées dans la tête des ­travailleurs sur le sens de leur vie et le boulot qu’ils menaient. Les métiers de première ligne ont été sursollicités, les enseignants ont été mis à rude épreuve avec l’enseignement à distance et ­globalement la charge mentale a augmenté pour tous les ­travailleurs. Alors, des travailleurs craquent. “On voit de plus en plus de managers s’écrouler alors qu’on vit une vague exponentielle de sur-fatigue mal gérée pendant trop longtemps. Le terme “bonheur au ­travail” est presque devenu une insulte pour ceux qui survivent au travail”, pose Laurence Vanhée, fondatrice de Happyformance et spécialisée dans les transformations positives des entreprises.

La semaine de quatre jours, cette fausse bonne idée

Pour le professeur Stijn Baert, économiste, et le chercheur Philippe Sterkens, de l’UGent, l’explosion actuelle du nombre de burn out est en fait très complexe. Plus de diagnostics sont posés que par le passé. “Tomber malade de stress existe de longue date. Mais on ne nommait pas les choses. Le terme burn out est une manière “moderne” de poser un problème ancien. Le diagnostic est d’ailleurs difficile à poser. Chacun est confronté au stress au travail. Certains sont trop tendus trop longtemps lorsqu’ils travaillent trop dur et peuvent arriver à un point de non-retour. Il est difficile de distinguer entre qui est trop stressé et qui est arrivé dans une situation extrême”, explique Philippe Sterkens.

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Bien entendu, l’augmentation du stress au travail joue mais n’explique pas complètement cette hausse gigantesque du nombre de burn out. La loi des vases communicants s’applique entre le stress subi au travail et la possibilité de recharger ses ­batteries dans un monde traversé par les crises. Et puis, une série de personnes qui étaient autrefois en prépension ou au chômage sont aujourd’hui sur le marché de l’emploi et n’y résistent pas. “Rien ne dit pour autant que ce seraient des faux burn out. Ce n’est pas si simple à simuler”, souligne le chercheur de l’UGent. Laurence Vanhée remarque aussi que depuis 2015, le contexte exige d’être heureux au travail à tout prix. Poussée par le ­mouvement New Age dans les années 80, la course au bien-être est devenue un diktat alors que l’idée devrait être de travailler dans un contexte positif. Pour Stijn Baert, les solutions commencent par de la prévention. “Mais le gouvernement prend trop facilement des décisions qui valent directement pour tout le pays comme la semaine de travail de quatre jours. Le gouvernement De Croo estime que ça va contribuer à réduire les burn out. Or, il y a des cas où c’est tout l’inverse. On devrait plutôt expérimenter des solutions à petite échelle et les améliorer comme on le fait pour un vaccin. On est trop peu innovants.” Griet Deca souligne que travailler dix heures par jour nuit en fait à la santé mentale et physique. Quant au droit à la déconnexion, on peut organiser des journées sans rencontres virtuelles, avec des pauses et un repas d’équipe.

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© Kanar

On n’est pas en manque de ressources mais ça part dans tous les sens. L’entreprise peut offrir un soutien psychologique confidentiel, une douche pour permettre de courir le midi, des cantines avec un souci de qualité… Mais le bonheur au travail, ce n’est pas une table de ping-pong et des fruits. C’est de la reconnaissance et du sens à son travail”, pose ­Laurence Vanhée. “On a une super-loi sur le bien-être au travail en Belgique. Mais trop souvent c’est une checklist que les entreprises remplissent sans aider les gens de manière humaine”, poursuit Griet Deca. Philippe Sterkens renchérit: “Les entreprises devraient beaucoup plus investir dans les analyses de risques psychosociaux, pourtant obligatoires, mais qui généralement ne sont pas menées avec grand sérieux. Un burn out, c’est une absence en moyenne de six à sept mois qui doit être financée par la sécurité sociale.” Un burn out coûte un pont à la société et un bras au ­travailleur malade.

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Pour les experts, être bien dans son job est une ­responsabilité partagée. “Il faut faire l’analyse de ses besoins et les communiquer. Et mettre en avant ce qui va bien aussi, ce qu’on ne fait pas spontanément”, conseille Griet Deca. Laurence Vanhée prône de relever tout ce qui donne de l’énergie, tout ce qui crée de l’ocytocine, l’hormone du bonheur. Le compliment d’un client, le sourire d’un collègue, la remarque positive de son chef: tous ces petits événements heureux. Les espaces de création où les solutions sont créées avec l’équipe et pas pensées au-dessus sont un must. “Ça prend plus de temps au départ mais les effets positifs sont majeurs au niveau de l’adhésion beaucoup plus rapide et plus durable”, signale Laurence Vanhée.

Stigmatisation des anciens malades

S’il faut de meilleurs diagnostics des burn out au départ, il faut ensuite aussi travailler sur le retour au travail, qui constitue une période très délicate. “Des facteurs cruciaux qui touchent à la fois la vie privée et professionnelle jouent. Le soutien que la ­personne reçoit est primordial. Cela peut consister à aménager un retour progressif, avec un temps partiel, mais aussi offrir un soutien émotionnel comme de l’écoute et de la reconnaissance des compétences de la personne. Ça, c’est une piste de solution pour le futur”, conseille Stijn Baert. Car une fois de retour, la grande question est de savoir si le travailleur reçoit encore les mêmes chances qu’un autre en termes de responsabilités et de promotions. Et là ça coince complètement. “Les personnes qui retournent à leur travail sont vues comme moins ­responsables et moins capables de résister au stress”, souligne Philippe Sterkens.

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© Kanar

Il y a aujourd’hui une véritable stigmatisation de ceux qui sont un jour tombés sur le champ de bataille de la concurrence au travail. Or, ce sont souvent les éléments les plus impliqués et perfectionnistes qui un jour se retrouvent brûlés de l’intérieur et incapables de fonctionner. Une enquête a montré qu’un employé qui a fait un burn out est vu comme quelqu’un qui ne sera plus jamais performant. Et cela persiste même cinq ans après. “Les burn out ne sont pas seulement des pro­blèmes individuels. Ils relèvent d’un système déficient. Or les travailleurs qui ont fait un burn out restent calés dans un cliché qui consiste à considérer que le travail est une charge trop lourde pour eux sans penser qu’ils ont manqué en fait de feed-back, de soutien et de reconnaissance”, analyse le chercheur de l’UGent. Deux stratégies peuvent enrayer ce cercle vicieux. Tout d’abord, sensibiliser les mentalités à ce qu’est un burn out et à quel point il est lié à l’entreprise. Ensuite, identifier les différences énormes de profils entre ceux qui font un burn out pour comprendre que ce n’est pas lié à des facteurs privés.

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Les entreprises doivent réaliser que c’est dans leur propre intérêt de trouver un fonctionnement qui protège la santé mentale de leurs travailleurs. ­Prévenir vaut mieux que guérir, rappelle Stijn Baert. “Et puis, nous sommes désormais dans une guerre des talents en Belgique dans laquelle il y a plus d’offres d’emploi que dans le reste de l’Europe. Pour les jeunes aujourd’hui, la balance entre privé et ­professionnel est essentielle. Prendre soin de cela, c’est aussi attirer des talents dans son entreprise. Attirer les bonnes personnes est un nouvel enjeu économique”, clame Stijn Baert. On peut apprendre beaucoup d’un burn out et développer de nouvelles compétences, les fameuses “skills”, des compétences recherchées comme l’intelligence émotionnelle. Un burn out est une confrontation avec ses ­propres limites et une remise en question de sa manière de fonctionner qui peuvent même être très positives lors du retour au travail.

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