Les athlètes transgenres sont-elles vraiment avantagées?

La science tente de déterminer si les sportives transgenres ont un avantage ou pas. Une démarche qui amène à se demander si au fond, cette question n'est pas vaine.

Lia Thomas
La nageuse transgenre Lia Thomas le 18 mars 2022 ©BelgaImage

Ce jeudi 20 avril 2023, à Washington, la Chambre des représentants a adopté l'interdiction de la participation des athlètes transgenres aux compétitions sportives, sous l'impulsion des républicains conservateurs qui y sont majoritaires. Le texte doit maintenant passer au Sénat. Il devrait toutefois être rejeté, les démocrates y étant à la fois plus nombreux et opposés à l'initiative de l'opposition. Les femmes trans pourraient ainsi continuer leurs carrières aux États-Unis mais seulement dans une partie des USA. Car quoi qu'il arrive, près d'une vingtaine d'États du Midwest ont déjà voté la mesure à leur niveau, dont une douzaine rien qu'en 2022. Le reflet de la guerre culturelle lancée par les républicains envers ces sportives. Selon eux, ces dernières seraient avantagées par rapport à leurs concurrentes cisgenres, notamment du fait d'un taux de testostérone plus élevé. Un raisonnement qui se révèle néanmoins fragile lorsqu'il est confronté à la littérature scientifique, mais pas seulement.

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Pas de preuves concluantes

La logique des républicains est simple: puisque la testostérone augmente la masse musculaire, les femmes transgenres auraient plus de puissance et donc plus de chances de s'imposer en compétition. Leurs craintes n'ont été qu'à moitié dissipées par une étude publiée dans le British Journal of Sport Medicine en 2020. Celle-ci étudiait l'influence du traitement hormonal sur les performances sportives avec 46 militaires de la US Air Force. Résultat: il a fallu attendre deux ans pour que leur force musculaire baisse réellement et que leurs avantages s'estompent lors de pompages. Elles restaient toutefois 12% plus rapides en épreuve de course.

Mais de manière plus large, est-ce que cela veut forcément dire que les femmes transgenres ont plus de chances de gagner dans le sport d'élite, c'est-à-dire professionnel? Rien n'est moins sûr à en croire le Journal of the Endocrine Society, qui déclare en 2022 que le traitement hormonal pourrait effacer toute différence "dans au moins certaines activités sportives". Un rapport de l’association canadienne E-Alliance se veut encore plus rassurant après avoir repris toute une série d'articles parus entre 2011 et 2022. Il conclut que "les données disponibles indiquent que les femmes transgenres ayant suivi un traitement de suppression de testostérone ne profitent d’aucun avantage biologique net sur les femmes cisgenres dans le sport d’élite".

Mais il faut dire que pour l'heure, peu d'études ont réellement été menées. C'est ce qu'explique à la BBC une pionnière en la matière, Joanna Harper, scientifique du sport et elle-même transgenre. Selon elle, "la science en est à ses balbutiements et nous n'aurons probablement pas de réponses définitives avant 20 ans". La Fédération Internationale de Médecine du Sport (FIMS) fait le même type de constat dans son consensus publié en 2021. L'auteure principale, Blair Hamilton, de l’université de Brighton, rappelle toutefois qu'en l'état, il apparaît que pour les "sports qui sollicitent des capacités musculaires importantes, les preuves d’avantages potentiels de forts taux de testostérone sont rares", voire "absentes dans les cas de performances aérobiques".

Les positions changeantes des fédérations

Face à ces conclusions, le Comité international olympique (CIO) a été amené à revoir sa position. De 2015 à 2021, il imposait une limite de 10 nano moles par litre de sang du taux de testostérone pour les femmes athlètes. Cette année-là, l'organise déclare que puisqu'"il n’y a pas de consensus scientifique sur la façon dont la testostérone affecte les performances dans tous les sports", cette mesure a été levée. Depuis, le CIO met un point d'honneur à rappeler que "la pertinence des taux de testostérone" n'est pas applicable à tous de manière absolue, cela dépendant de la personne, avec des variations "d’un sport à l’autre et même d’une épreuve à l’autre".

Cela n'a pas empêché certaines disciplines sportives de sévir par la suite. C'est le cas de la Fédération internationale de natation (FINA) qui a décidé en juin 2022 d'exclure les nageuses transgenres de la catégorie "femmes" si elles n'avaient pas suivi de traitement limitant la présence de testostérone avant l'âge de 12 ans. Idem en mars 2023 pour la Fédération internationale d’athlétisme avec les femmes trans "qui ont connu une puberté masculine". Le souci, c'est que de nombreuses personnes transgenres n'ont pas accès au type de traitement nécessaire avant l'âge requis.

Se trompe-t-on de combat en se focalisant sur la testostérone?

Ces décisions ont réactivé les critiques des scientifiques qui pointent la fragilité du raisonnement de ces organisations. “Il n’est pas prouvé que la testostérone serait la molécule clé de la réussite sportive et de la performance”, résume auprès du Huff Post la socio-historienne du sport Anaïs Bohuon. "On produit plein d’autres hormones qui peuvent contribuer à un avantage physique. Il faut aussi prendre en compte le rythme cardiaque, la taille, l’élasticité musculaire, etc.”, dit-elle. "Un avantage physique dans le monde du sport est indéfinissable. Outre l’aspect génétique et physiologique qui entre forcément en compte, personne ne le nie, il y a aussi tout un ensemble de facteurs qui peuvent jouer comme la socialisation ou les composantes familiales, environnementales ou économiques. Mais c’est un ensemble indissociable".

Joanna Harper est pour sa part dans une position plus intermédiaire. Lors d'une revue systématique des articles publiés entre 1999 et 2020 sur le sujet, elle avait confirmé la persistance de valeurs supérieures en termes de masse musculaire chez les sportives transgenres. Pour autant, elle n'estime pas que cela justifierait leur exclusion de certaines disciplines. "Les avantages ne sont pas nécessairement injustes", explique-t-elle. "Les athlètes gauchers ont des avantages par rapport aux athlètes droitiers dans de nombreux sports. C'est peut-être le plus marqué en escrime où 40% des escrimeurs d'élite sont gauchers contre 10% de la population est gaucher. Mais les escrimeurs droitiers et les escrimeurs gauchers peuvent s'engager dans une compétition significative malgré les avantages dont disposent les escrimeurs gauchers. Cependant, vous ne mettez jamais un gros boxeur sur le ring avec un petit boxeur, peu importe à quel point le petit boxeur est doué". Pour elle, la question qu'il faudrait en réalité se poser, "ce n'est pas 'les femmes trans ont-elles des avantages ?', mais plutôt 'les femmes trans et les femmes peuvent-elles s'affronter dans une compétition significative ?'. À vrai dire, la réponse n'est pas encore définitive".

Après les sportives transgenres, l'exclusion de Usain Bolt et Michael Phelps?

Le véritable problème reviendrait donc de non pas à se focaliser sur la testostérone mais à s'assurer que l'égalité globale entre sportives est respectée. Mais on peut se demander jusqu'où cette réflexion peut mener. Faudrait-il ainsi exclure aussi les femmes cisgenres qui s'écarteraient d'une norme édictée? C'est la question qui s'est posée lorsque la Fédération internationale d'athlétisme a écarté l'athlète Caster Semenya, une femme atteinte d'hyperandrogénie. Tant qu'elle ne suivrait pas un traitement pour faire baisser son taux de testostérone, elle continuerait d'être empêchée de concourir, malgré les autres conséquences que cela pourrait avoir sur sa santé et sa vie sociale. Une décision qu'elle a vivement critiqué et qu'elle a assimilé au sexisme. "Les hommes ne sont pas tous très musclés, il y a des grands et des petits, ils n’ont pas tous les mêmes qualités, certains ont des avantages que d’autres n’ont pas. Pourquoi on ne s’en prend pas à eux ?".

Des scientifiques ont également critiqué cette exclusion, comme lors d'une tribune publiée dans la revue British Medical Journal. Ce règlement "risque d'instaurer un précédent sans fondement scientifique pour d'autres types d'avantages génétiques", écrivent-ils. "Si on exclut des courses les femmes athlètes qui ont génétiquement de hauts niveaux de testostérone, empêchera-t-on aussi les hommes extraordinairement grands de jouer au basket ?", se demande une des cosignataires auprès de l'AFP. Le même raisonnement pourrait être appliqué à de célèbres sportifs, comme le nageur Michael Phelps, qui produit naturellement moins d’acide lactique que la norme, ou l'athlète Usain Bolt, qui bénéficie non seulement de sa grandeur mais aussi de ses nombreuses fibres musculaires rapides.

"La seule puissance musculaire ne doit pas être un prétexte pour écarter une population"

"Il faut commencer par lever la barrière fausse d’une équité naturelle, où nous partirions tous, d’une même ligne de départ, avec les mêmes qualités", explique au Monde le vice-président de la Fédération française de rugby (FFR), Serge Simon. "Réduire la performance dans un sport à une seule puissance musculaire ne doit pas être un prétexte pour écarter une population". C'est sur cette base que la FFR a pris une décision contraire à celle de la fédération internationale de rugby qui restreint l’accès des personnes transgenres au plus haut niveau.

En tout cas, une chose est sûre: avantage ou pas, “au niveau élite, les sportives transgenres ne remportent pas plus” de médailles, a assuré à l’AFP Éric Vilain, professeur de génétique humaine et expert auprès du CIO. "Alors que les études menées à ce jour indiquent que la population transgenre représente entre 0,1 et 1,1% de la population mondiale, au cours de ces dernières années moins de 0,001% des olympiens a été identifié comme étant constitué d’athlètes transgenres et/ou non binaires", précise le CIO sur son site.

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