Ces médicaments détournés de leur usage : quels risques pour la santé ?

Antidiabétiques pour mincir, gouttes oculaires pour voir des éléphants roses, antiallergiques pour se gonfler les fesses… De nombreux médicaments sont détournés de leur usage autorisé.

médicaments
© Adobe Stock

Nouveau bad buzz sur TikTok. Des influenceuses se bousculent pour vanter les mérites d’une molécule capable de vous donner, en quelques semaines à peine, les fesses de Kim Kardashian, rapporte l’AFP. “Moi qui ne mangeais plus, j’ai tout le temps faim, même dans mon lit je mange, témoigne l’une d’elles. Ça marche trop bien, ça fait grossir tout de suite.” Ces comprimés disponibles en vente libre pour moins de 7 euros la boîte ne sont pas des compléments alimentaires. La Periactine (du labo Teofarma) est un médicament antiallergique aux effets secondaires non négligeables: convulsions, hallucinations, problèmes hépatiques, cardiaques…

Nos dernières vidéos
La lecture de votre article continue ci-dessous

Vous voulez au contraire fondre comme neige au soleil? À quelques clics de là, sur le même réseau, d’autres internautes détiennent la solution miracle. À l’instar de Victoria qui se filme en train de s’injecter le principe actif de l’Ozempic avec le stylo prévu à cet effet. Une vidéo visionnée plus de huit millions de fois. Si cette substance agit sur le taux de sucre dans le sang et réduit l’appétit, ce n’est pas du tout un coupe-faim. C’est un médicament contre le diabète. L’été dernier, le Centre belge d’information pharmacothérapeutique (CBIP) lançait l’alerte: “L’Ozempic sous forme injectable est en indisponibilité temporaire depuis début juillet suite à une forte augmentation de la demande. La firme Novo Nordisk a annoncé une “potentielle pénurie” de la spécialité pour les six prochains mois”. Informons tout de même ceux qui seraient tentés de détourner cet antidiabétique que ses effets indésirables listent des troubles gastro-intestinaux, des pancréatites ou des hypoglycémies.

Détournement légal

Précisons que les détournements de médicaments ne sont pas toujours illégaux. Car si le terme “off-label” (hors autorisation de mise sur le marché) cible la prescription de produits pharmaceutiques en dehors des indications pour lesquelles ils ont été autorisés, il vise également les traitements non enregistrés. La loi autorise ainsi la prescription de substances qui n’ont pas encore été approuvées à deux conditions: lorsque le pronostic vital du patient est engagé et qu’il n’existe aucun traitement alternatif. On recense aussi toute une série d’autres situations où le médecin décide de boycotter la notice. Soit pour traiter une maladie autre que celle ciblée avec un autre dosage. Soit pour soigner d’autres types de patients.

Enfants non rentables

En vertu de leur liberté thérapeutique, les médecins ont le droit de prescrire off-label s’ils sont convaincus que c’est la meilleure solution pour leur patient. Attention cependant, ils doivent en soupeser les bénéfices et les risques, si possible sur base d’éléments scientifiques, et informer leurs patients de ces prescriptions hors autorisations des dangers associés. Ce contournement est-il généralisé? L’Agence fédérale des médicaments (Afmps), nous renvoie au SPF Santé. Ce service, qui n’a pas de données à communiquer, nous redirige à son tour… vers l’Afmps. “Il n’existe pas de chiffres précis sur l’importance de cette pratique en Belgique, mais on estime qu’elle concerne jusqu’à 80 % des médicaments prescrits en pédiatrie, et au moins la moitié de ceux prescrits en oncologie”, évalue le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE). C’est tout simplement colossal.

© Kanar

Pourquoi la pratique est-elle aussi généralisée en pédiatrie? Car la prescription off-label est une manière de pallier le manque de philanthropie de Big Pharma. Vu que les labos ne sont pas enclins à mener des tests sur des cibles aussi sensibles que les femmes enceintes ou les enfants, il arrive que l’on prescrive à ces derniers un médicament autorisé pour les ados ou les adultes. Cela s’est notamment passé lorsque le sirop pédiatrique Motilium a été retiré du marché mais que sa version adulte était encore disponible.

Une question d’argent

Alors pourquoi les firmes pharmaceutiques, lorsqu’on constate une généralisation d’une prescription off-label, ne demandent pas une seconde autorisation pour cette autre utilisation? “Les producteurs ne sont pas souvent intéressés, constate le KCE. Parce que cela suppose qu’ils investissent dans de nouvelles études cliniques, alors qu’ils perçoivent déjà les revenus de l’usage off- label. De plus, il s’agit souvent d’utilisations pour des indications rares ou chez des enfants, ce qui ne représente qu’un marché limité, et il n’est donc pas certain qu’ils récupéreront leur investissement. Il se peut aussi que de nouvelles études mettent en lumière des problèmes de sécurité encore inconnus, ou une efficacité moindre que prévu, ce qui pourrait faire chuter les ventes du produit.

Il arrive aussi que ces prescriptions off-label visent à soulager le portefeuille du patient, lorsque le médicament en question est équivalent et moins cher que son alternative autorisée. Exemple avec le Viagra. Cette molécule contre les troubles érectiles est aussi autorisée sous le nom de Revatio pour le traitement d’une maladie rare des artères pulmonaires. Or l’assurance maladie ne rembourse le Revatio - beaucoup plus cher que le Viagra - que sous certaines conditions. On prescrit donc parfois la célèbre pilule bleue off-label pour que le traitement soit moins onéreux.

Restent encore les cas, très fréquents, de détournement à usage récréatif. L’an dernier, l’Observatoire socioépidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles (Eurotox) s’inquiétait du mésusage de l’antiépileptique Lyrica (prégabaline) à des fins euphorisantes, relaxantes et désinhibantes. Entre 2014 et 2020, selon l’Inami, les prescriptions remboursées de prégabaline en Belgique ont été multipliées par six. Il y a quelques jours, le CBIP tirait à nouveau la sonnette d’alarme. “L’usage détourné des gouttes oculaires à base de tropicamide est un problème croissant et concerne surtout les toxicomanes. L’abus de tropicamide par voie intraveineuse mène à de sérieux problèmes de santé. Face à une demande de prescription, il est donc conseillé de s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un usage détourné, et, en cas de délivrance, de vérifier l’authenticité de la prescription.”

Un marché de taille

Quels risques encourent les patients? “Les informations dont on dispose proviennent souvent de cas individuels ou de l’expérience personnelle de certains médecins, mais rarement d’études cliniques fiables, prévient le KCE. Il est donc possible que le patient soit exposé à des risques pour sa santé, et que la responsabilité du médecin soit mise en cause. Mais d’autre part, il s’agit parfois de la seule manière possible de traiter le patient.

Face au carton commercial de certains détournements, des labos décident tout de même d’exploiter légalement le filon. C’est le cas de la firme danoise Novo Nordisk qui multiplie les études sur le potentiel amincissant de son antidiabétique Ozempic. C’est que l’obésité, elle, est malheureusement un marché potentiel de taille XXL.

90 % d’ordonnances dangereuses

Le cas des antibiotiques fluoroquinolones (ciprofloxacine, lévofloxacine, moxifloxacine…) est interpellant. Alors que les autorités sanitaires multiplient les alertes concernant leurs graves effets secondaires, une étude de l’Agence européenne des médicaments (EMA) révèle que ces antibiotiques sont massivement prescrits en dépit du bon sens. Ainsi, de 2016 à 2021, plus de 67 % des prescriptions de ciprofloxacine en Belgique violaient les autorisations de mise sur le marché. Un taux qui grimpe à plus de 90 % en ce qui concerne la norfloxacine et la moxifloxacine! Selon une enquête publiée en 2020 par les Mutualités chrétiennes, on compterait chaque année en Belgique près de 400.000 prescriptions de fluoroquinolones off-label. Un autre surcoût hallucinant pour la Sécu, et un scandale sanitaire vu la liste des effets secondaires: ruptures des tendons, risques neurologiques et cardiaques, anévrismes de l’aorte… “Je connais des victimes de ces antibiotiques qui sont venues en Suisse se faire euthanasier!”, alerte le Belge Paul Hellinckx de l’Association pour la reconnaissance et l’étude des effets délétères des fluoroquinolones (Areedf). En France, une dizaine de patients ont déjà déposé plainte contre leur médecin.

Débat
Sur le même sujet
Plus d'actualité