
Cancer du sein : dans quelle clinique le soigne-t-on le mieux ?

Dans un pays réputé pour la qualité de ses soins, l’information donne le tournis. Selon une étude du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), le risque de décès associé au cancer du sein invasif est supérieur de 30 à 44 % chez les patientes traitées dans des cliniques non agréées. La réaction politique ne s’est pas fait attendre. Dans la foulée de ce rapport explosif, le ministre de la Santé publique annonce que les chirurgies et les plans de traitement n’y seront plus remboursés. “De nombreux hôpitaux se décrivent comme des cliniques du sein sans détenir l’agrément, déplore Frank Vandenbroucke dans un communiqué. Ils donnent de fausses informations sur leur site web et donnent l’impression d’être des centres agréés.” Concrètement? La Belgique compte 72 sites agréés. Pour recevoir ce label de qualité, une clinique du sein doit remplir une série de conditions. Notamment une prise en charge pluridisciplinaire et afficher un certain volume: minimum 125 patients par an pour les cliniques agréées coordinatrices et 60 cas pour les sites satellites. À côté de ces hôpitaux reconnus, des dizaines de cliniques du sein non agréées proposent également leurs services. Comment expliquer une telle différence de survie entre deux centres spécialisés dans ce type de cancer, le plus fréquent chez la femme?
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“Cette différence me paraît énorme, commente le Dr Yannick Neybuch, directeur médical du groupe santé CHC. Mais, si le volume de patients traités ne fait pas tout, un radiologue qui voit 100 cancers du sein par an sera sans doute plus compétent que celui qui en voit seulement deux. Son sens clinique sera plus affûté et il sera probablement plus à même de détecter une tumeur plus précocement.” Peut-être pas de quoi expliquer une telle différence mais assez pour peser dans la balance. Sénologue et chirurgien plasticien, le Dr Xavier Nelissen valide également. “Traiter un cancer du sein nécessite des connaissances scientifiques pointues, constamment mises à jour, et une équipe qui ne fait quasiment que ça. Des oncologues, des radiothérapeutes spécialisés, des anatomopathologistes qui vont analyser les tumeurs, des chirurgiens plasticiens, des infirmières coordinatrices… Dans les cliniques agréées, chaque cas est discuté en consultation multidisciplinaire et fait l’objet d’une décision collégiale. Il n’est donc pas étonnant de voir les chances de survie augmenter dans des cliniques à l’approche aussi complète et personnalisée.”
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Abus de bistouri?
Directeur de programme scientifique au KCE, Sabine Stordeur identifie d’autres différences de traitement. “Les cliniques à fort volume évaluent aussi mieux les risques. Elles effectuent moins de curages axillaires, par exemple, ou de chimio postopératoire. Des traitements très handicapants. Elles proposent aussi davantage de chirurgies de conservation du sein plutôt que d’ablations. Dans les hôpitaux où il y a moins d’expertise, on préfère souvent ne pas courir de risque et on a tendance à surtraiter les patientes au détriment de leur qualité de vie post-chirurgicale.”

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Cette volonté politique de rationaliser les soins pour augmenter leur qualité n’a en soi rien de surprenant. Les cancers de l’œsophage et du pancréas, par exemple, ne peuvent déjà plus être pris en charge dans des centres à faible volume. Reste que la mesure annoncée par Frank Vandenbroucke est jugée brutale. “Sur le fond, l’idée est bonne, juge Yannick Neybuch. Mais faut-il réellement arrêter de rembourser les traitements dans ces centres? Ils ne font pas tous de la mauvaise médecine. Peut-être faudrait-il nuancer cette régulation.”
Des cliniques agréées et illégales
Des cliniques agréées sont également dans le viseur du gouvernement. L’étude du KCE, qui s’est penchée sur la période 2014-2018, révèle qu’un tiers de ces centres validés… ne respectent pas les critères de l’agrément. Et d’appeler à renforcer les contrôles pour établir une cartographie actuelle du phénomène et retirer ces certifications aux contrevenants. “Que va-t-il rester?, s’interroge le Dr Julien Di Bella, chirurgien et coordinateur de la clinique du sein de MontLégia à Liège. En région liégeoise, je ne vois que nous, le CHU et la Citadelle qui sont en plein rapprochement, et La Tourelle à Verviers. J’espère que cette régulation ne sera pas trop sévère et que l’impact sur la mobilité sera limité. Parce que l’entourage et la manière de vivre les traitements d’une personne âgée qui doit se faire opérer à 80 km, ça joue aussi indirectement sur son pronostic.”
Les cliniques du sein satellites, pourtant elles aussi agréées, feraient également les frais de cet écrémage. Désormais, seuls les plans de traitement et les chirurgies réalisés dans les hôpitaux coordinateurs seront remboursés. Toutes les autres cliniques ne pourront plus traiter que le suivi du patient et réaliser des chimiothérapies et radiothérapies. “Je ne vois pas pourquoi une chirurgie standardisée ne pourrait pas se faire dans ces centres, s’étonne le Dr Di Bella, qui officie aussi à la Clinique de la Femme du Bol d’Air. D’autant que ce sont souvent les mêmes médecins qui travaillent dans le centre coordinateur et ses satellites. C’est notamment le cas au CHC.” Notons aussi que les cliniques non agréées ne pourront même plus poser de diagnostics, ce qui pose là-aussi des questions d’accessibilité à une médecine de proximité. Julien Di Bella est par ailleurs aussi sceptique que son directeur concernant les chiffres avancés par le Centre fédéral d’expertise. “Je ne sais pas sur quoi ils se basent mais ce pronostic vital me paraît très compliqué à calculer, du moins de manière aussi précise. Comme coordinateur, je communique certaines données au Registre du Cancer. Les délais entre la biopsie, le diagnostic et la thérapie, les récidives, etc. Mais évaluer ce risque avec ces seules données me semble impossible. Il y a certainement des différences qualitatives entre ces hôpitaux, des retards de diagnostic, par exemple, mais à ce point?”
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Il fallait sauver le Luxembourg
Pour réaliser cette étude, le KCE a sondé ces données, mais aussi celles de l’INAMI et de la Banque-Carrefour. “La comparaison s’est faite sur deux niveaux: le statut de la clinique, agréée ou pas, qui couvre des exigences minimales, notamment en termes structurels, et le volume de patientes qui y sont traitées”, explique Sabine Stordeur. Interrogé par Le Soir, l’oncologue Frédéric Forget du groupe Vivalia tempère. “Les études internationales publiées ne sont pas catégoriques sur le lien entre la qualité de la prise en charge et le volume de l’activité.”
La chercheuse réagit: “Le volume joue un rôle important mais il est vrai que l’élément causal n’est pas clairement identifié. Est-ce juste l’effet du nombre qui explique l’obtention de meilleurs résultats ou est-ce lié à l’habitude? Lorsque vous répétez une tâche régulièrement, votre geste chirurgical devient plus précis. Vous gérez aussi mieux les complications. Je remarque aussi que ce sont ceux qui n’atteignent pas le volume minimal qui ont tendance à dire que ce critère n’est pas significatif…”
À l’annonce de cette réforme, voire de ce mini-séisme, la province du Luxembourg a tremblé. Le sud du pays ne compte en effet aucune clinique agréée… Mélissa Hanus (PS) a interpellé la Chambre au sujet de ce futur désert médical. Quelques jours à peine après la médiatisation de l’affaire, l’agrément était subitement accordé à deux cliniques du réseau Vivalia situées dans la province. Heureux hasard du calendrier ou pression politique exercée pour éviter un chaos? “Je ne sais pas si j’ai contribué à cette décision mais c’est une très bonne nouvelle pour les patients luxembourgeois”, commente la députée fédérale. Vu les nombreuses autres questions posées par ce grand nettoyage de printemps et ses conséquences sur l’accessibilité aux soins, on parie que le sujet reviendra rapidement en séance plénière.