Nos ados sont accros au vapotage : un mal pour un bien ?

Vendues sous le manteau ou sur les réseaux sociaux, les puffs cartonnent auprès des jeunes. Ces nouvelles cigarettes électroniques seraient même en passe de détrôner la traditionnelle clope.

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En Belgique, un jeune sur six serait déjà consommateur. © Adobe Stock

“J'ai tout ce que vous voulez, annonce un vendeur à la sauvette sur Snapchat. Des puffs de 3.000 bouffées pour 15 euros, 7.000 pour 18 euros et même des Aroma King de 10.000 taffes pour 20 euros. Uniquement par envoi postal, 1,5 euro pour la livraison.” Depuis quelques mois, des établissements scolaires tirent la sonnette d’alarme. Originaires de Californie, ces cigarettes électroniques jetables (donc hyper-polluantes) aux arômes sucrés et colorants acidulés qui ciblent particulièrement les jeunes font un carton. “Certains ados les ouvrent pour rajouter du liquide lorsqu’elles sont vides et arrivent même à recharger les batteries, précise Oscar, 13 ans et demi, en deuxième secondaire. Mais il ne faut pas les recharger trop longtemps, sinon elles explosent!” Sur TikTok ou YouTube, des tutoriels cumulent parfois 100.000 vues. Comme celui proposé par Elios. Dans sa chambre, cet ado démonte sa puff, en sort la batterie et la recharge au moyen d’un câble USB aux fils dénudés. Dans les commentaires, la question récurrente est en effet de savoir combien de temps on peut la recharger avant qu’elle n’explose. Pour les uns, il ne faut pas dépasser 15 secondes, pour d’autres, on peut les brancher durant 45 minutes… Un jeu d’enfant particulièrement dangereux. Hyper-inflammables, les batteries lithium-ion qui équipent ces cigarettes électroniques ont en effet le potentiel de véritables petites bombes.

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J’ai quand même l’impression que l’engouement pour les puffs retombe un peu ces derniers temps”, constate Oscar. En cinquième secondaire, Alexandre, 17 ans, nuance: “Avec l’arrivée des gros modèles de 3.000, 5.000 ou 9.000 bouffées, ça repart. Il y a quelques mois, il fallait débourser 10 euros pour 600 taffes. Aujourd’hui, on peut avoir des 3.500 pour le même prix. Ce qui permet de tenir deux semaines au lieu de deux jours. Honnêtement, la plupart de mes amis vapotent ces modèles jetables. Même des jeunes de 14 ou 15 ans. Comme elles sont hyper-discrètes et ressemblent à des stylos ou des surligneurs, on les utilise à la récré, dans les toilettes et même parfois en classe…

Mais comment ces ados se procurent-ils ces cigarettes électroniques interdites à la vente en Belgique aux mineurs de moins de 18 ans? “De nombreux nightshops ne demandent jamais notre carte d’identité. Il est aussi très facile aujourd’hui de modifier notre date de naissance avec Photoshop ou via les outils d’édition d’Instagram, par exemple, et de montrer une photo truquée de notre carte d’identité à ceux qui la demanderaient. On le fait déjà pour rentrer en boîte de nuit. J’ai aussi un pote qui prend les commandes et se rend chaque semaine aux galeries Agora à Bruxelles pour en ramener. Cela se vend un peu sous le manteau mais de nombreuses boutiques en proposent.

Plus populaire que le tabac

Avec une puff, un pod ou une cigarette électronique conventionnelle, le vapotage a un tel succès auprès des jeunes qu’il détrônerait même le tabac. Un basculement historique? “Les usages de cigarettes électroniques sont passés devant les usages de tabac chez les jeunes de 17 ans, particulièrement chez les filles”, alerte Ivana Obradovic, directrice adjointe de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives sur France Inter. En Belgique? La dernière enquête du Fonds des affections respiratoires (FARES) confirme l’engouement des jeunes belges pour les puffs. Parmi les 65 % des sondés âgés de 11 à 24 ans qui connaissent ce dispositif, un sur quatre en consomme.

Les plus grosses puffs contiennent autant de nicotine que 40 paquets de cigarettes.

Au diable le tabac, vive la vapote? Ce basculement ne serait-il pas un mal pour un bien? “Ce n’est pas une mauvaise chose pour les jeunes fumeurs puisque le vapotage est moins nocif pour la santé, commente Suzanne Gabriels de la Fondation contre le cancer. En revanche, c’est très inquiétant pour ceux qui ne consomment pas de tabac. Notamment parce que ces puffs contiennent des sels de nicotine, une variante bien plus addictive encore que la nicotine traditionnelle.” Étant donné les risques accrus de dépendance sur les jeunes cerveaux, certains experts prédisent une véritable épidémie d’addiction à la nicotine. Il faut dire que certaines puffs sont en effet particulièrement chargées. Avec une concentration de 2 % (soit 20 mg/ml), les modèles de 900 bouffées contiennent la même dose de nicotine que 75 cigarettes. Tandis que les nouvelles puffs king size de 10.000 taffes en incorporent autant que 800 cigarettes. Soit l’équivalent de 40 paquets de clopes dans le creux de la main…

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Le vapotage passif pourrait causer des troubles repiratoires. © BelgaImage

Un produit addictif propulsé sur le devant de la scène par un marketing qui l’est tout autant. Malgré l’interdiction de la publicité pour le tabac et les cigarettes électroniques, les puffs bénéficient de campagnes massives de promotion sur les réseaux sociaux. En témoignent celles menées par le géant British American Tobacco (Lucky Strike, Pall Mall, Dunhill…), numéro un mondial de la vapote avec la Vuse, une cigarette électronique désormais proposée en version puff jetable. “Vuse a maintenu son leadership mondial en 2022 avec une part de marché de 35,9 %, précise le cigarettier. L’année dernière, nous avons gagné 1,6 million d’utilisateurs.” BAT se targue aujourd’hui de toucher avec sa Vuse quelque 10 millions de consommateurs. Et le géant ne lésine sur aucun moyen pour les obtenir. Selon le Guardian, pour endiguer la perte de revenus engendrée par les chutes de vente de tabac, BAT a déjà dépensé plus d’un milliard d’euros pour faire la promotion de ses produits nicotinés sur les réseaux sociaux, notamment via des influenceurs sur TikTok. Et une première condamnation de sa filiale française pour publicité illégale ne semble pas l’arrêter. Cette année, le cigarettier prévoit de cibler 500 millions de consommateurs de nicotine avec un budget de promotion de plus de 100 milliards d’euros par an!

Bannies en Belgique, pas en Europe

Face à cette machine de guerre, de nombreux pays se préparent à interdire totalement les puffs de leur territoire. À l’instar de la France, de l’Irlande, de la Suisse ou de la Belgique. Chez nous, un arrêté royal a déjà été publié en janvier. “Il sera d’application en juillet chez les grossistes et en janvier 2024 chez les détaillants, précise Vinciane Charlier au SPF Santé. Il implique notamment l’élargissement des dispositions applicables aux e-cigarettes à celles qui ne contiennent pas de nicotine.” Non addictives, celles-ci sont également pointées du doigt en raison du manque de recul sur la nocivité des arômes ou du risque de dépendance au geste. “Ces nouvelles dispositions comprennent notamment une obligation de notification auprès de nos services, des règles en matière de composition, d’étiquetage et une interdiction de vendre à distance.

Mais nos autorités sanitaires ont également prévu de bannir toutes les puffs jetables des enseignes belges. Problème: elles sont autorisées par une directive européenne et ce projet législatif belge a été retoqué par la Commission européenne. “Afin de les interdire, nous devons donc justifier de “motifs relatifs à la situation spécifique” de la Belgique et à condition que cette future interdiction “soit justifiée par la nécessité de protéger la santé publique”. À cette fin, nous avons envoyé un dossier à la Commission européenne. Celle-ci l’examine et peut éventuellement nous demander de le compléter. Cette procédure peut donc encore prendre de nombreux mois, voire plus. Mais le processus est en cours. La stratégie prévoit leur interdiction pour la fin de l’année 2025.

Vapotage passif, toxicité active?

Publiée récemment dans la revue médicale Thorax, une étude américaine établit un lien entre vapotage passif et développement de troubles respiratoires chez les jeunes adultes. L’exposition secondaire à la nicotine par vapotage serait ainsi associée à un risque accru de symptômes bronchiques et d’essoufflement. “On manque encore d’études sur les effets négatifs à long terme du vapotage passif, regrette Suzanne Gabriels de la Fondation contre le cancer. Bon, c’est certainement moins nocif que le tabagisme passif, d’autant que la cigarette électronique ne dégage rien lorsqu’on ne tire pas dessus, contrairement au tabac. Mais en attendant d’en savoir plus sur la nocivité éventuelle de toutes les nanoparticules dégagées, nous recommandons de ne pas vapoter à proximité des bébés, enfants, femmes enceintes et des personnes qui souffrent d’asthme ou de maladies cardiovasculaires. Surtout dans les espaces fermés. Rappelons d’ailleurs que la loi belge interdit de vapoter dans les lieux publics.

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