Pollution de l'air : «L’impact des particules fines peut faire perdre cinq à dix ans d’espérance de vie à certains»

Malgré son importance cruciale, l’intérêt qu’on porte à la qualité de l’air est récent. La situation s’améliore, mais chaque année 9.000 Belges perdent encore la vie prématurément des suites de la pollution.

l'air pollué de Bruxelles que les habitants respirent
À Bruxelles, les confinements ont fait baisser le niveau de pollution. Il est depuis remonté, mais dans des ­proportions raisonnables. © BelgaImage

On peut faire attention à ce que l’on mange, à ce que l’on boit, à ce que l’on porte. Mais il y a une chose qu’on ne contrôle pas, c’est l’air que l’on respire. Face à la question de sa qualité, on est largement désarmé. Du vent et des températures douces auront tendance à nous protéger des polluants et particules fines, mais les piétons et cyclistes, qui voient dans leur mode de déplacement un moyen de faire de l’exercice, se sont un jour posé la question: ce que je gagne en faisant du sport, est-ce que je le perds en respirant? La question est légitime. “Autrefois, on estimait la diminution de l’espérance de vie de l’ordre d’un an en Belgique, aujourd’hui il semble que l’on soit plutôt sur deux ans”, commence Olivier Brasseur, en charge du département Qualité de l’air à Bruxelles Environnement. Il distingue les impacts à court et à long terme. “L’impact à court terme est lié à l’inhalation de polluants comme le dioxyde d’azote par ­exemple. Ce sont des gaz qui ont un effet irritant sur les voies respiratoires. Ils poseront des problèmes à des ­personnes qui sont déjà atteintes de soucis respiratoires, qui ont de l’asthme ou des bronchites chroniques par exemple. Elles ressentiront assez rapidement la montée des niveaux de pollution.

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L’impact des particules fines peut être nul chez certains mais faire perdre cinq à dix ans d’espérance de vie à d’autres.

Plus critiques, les effets à long terme liés à l’exposition continuent, notamment aux particules fines, que l’on ne perçoit pas au quotidien. “Les parti­cules fines sont identifiées comme favorisant des cancers, des troubles cardio-respiratoires… Cet impact peut être nul chez certaines personnes, mais faire ­perdre cinq à dix ans d’espérance de vie à d’autres.En Belgique, on estime à plus de 9.000 par an le nombre de décès prématurés liés de près ou de loin à la pollution de l’air. À l’échelle mondiale, on dépasse les neuf millions. Tout sauf une problématique marginale donc. D’ailleurs, si l’on s’en est longtemps moqué, la qualité de l’air est devenue au fil du temps une préoccupation majeure de la population, à l’image de ce qui compose notre assiette. “C’est important parce que pour atteindre les objectifs, il faut des mesures de grande ampleur. On a besoin de la population, et donc qu’elle comprenne qu’on ne fait pas ça pour l’embêter.

Bruxelles peut souffler

Et cela fonctionne. Les mesures actuelles ­démontrent en effet que la qualité de l’air dans notre capitale s’est largement améliorée ces der­nières années. “On se situe dans une situation intermédiaire. Nous sommes beaucoup mieux qu’au début des années septante, à l’époque où l’on a commencé à mesurer. On se retrouvait avec de gros problèmes au niveau des particules fines et du dioxyde de soufre. Le dioxyde de soufre, on s’en est débarrassé, et les niveaux de pollution ont bien diminué en général. Mais cela ne veut pas dire qu’on est tranquille.

OMS vs UE

Actuellement, une directive européenne sortie en 2008 régule les polluants mesurés par les institutions régionales. Des normes respectées dans la capitale. “En ce qui concerne le plus problématique, le dioxyde d’azote, nous respectons la norme de justesse. À trafic dense, on est vraiment sur le seuil, mais du bon côté.” Olivier Brasseur reconnaît cependant que Bruxelles a été au-delà entre 2010 et 2019. Le confinement en 2020 a entraîné une baisse d’activités et donc de pollution. Mais depuis 2021, la reprise a fait remonter les niveaux de concentration de dioxyde d’azote, quoique dans des ­proportions raisonnables. “Cette année, on devrait rester sous le seuil européen. Il faut dire qu’il y a une tendance à la diminution pour tous les polluants.

De quoi être plutôt optimiste. Sauf que les normes émises par l’UE sont (nettement) moins strictes que celles de l’OMS. L’Organisation mondiale de la santé a en effet revu à la baisse ses normes pour un certain nombre de polluants en 2021. Notamment pour le dioxyde d’azote (NO2) et les parti­cules fines. Pour illustrer cette différence entre OMS et UE, là où l’organisation mondiale préconise des taux de concentration inférieurs de cinq microgrammes de particules fines par mètre cube en moyenne annuelle, l’Europe accepte 25 microgrammes. Bruxelles respecte l’un mais pas l’autre. Un gros travail sera donc encore à mettre en œuvre si l’on veut passer sous ces récentes normes. “Mais on n’en a pas fini pour autant avec l’Europe, reprend Olivier Brasseur. Elle va revoir sa directive et resserrer les boulons pour les particules fines et pour le dioxyde d’azote. On va se rapprocher des normes de l’OMS, à respecter obligatoirement à partir de 2030. Pour le dioxyde d’azote, on devra diviser les concentrations par deux.”

Vous n’aurez jamais du rouge dans les Ardennes.

Qu’en est-il en Wallonie? Pour le savoir, on se rend sur la page wallonair.be. Et là, on aperçoit un tas de petits points bleus et verts, le bleu témoignant d’une “excellente” qualité de l’air wallon. De quoi également se réjouir. “Il y a trois composantes, explique Guy Gérard, responsable de la cellule Qualité de l’air à l’Institut scientifique de service public (ISSEP). D’abord un “fond” régional: ce que la Wallonie reçoit des pays voisins et que l’on observe sur tout le territoire; ensuite, un fond urbain, comme on en retrouve par exemple dans l’agglomération liégeoise; enfin les sources locales, suivant l’endroit où on se situe dans la ville, dans un parc ou le long d’une route dense. Si vous êtes au cœur des Ardennes, vous ne serez pas confronté à la troisième composante, et très peu à la deuxième.” C’est la raison pour laquelle on retrouve huit stations de mesure à Charleroi, six aux alentours de Liège, ­contre une pour tout le sud-ouest du pays. “On pourrait s’interroger sur l’intérêt de mettre une station dans la forêt à Vielsalm, mais ça nous permet de ­quantifier la pollution de fond régional, sur laquelle on a peu d’impact en Wallonie.” Guy Gérard le ­confirme, la qualité de l’air s’améliore. Mais des taches rouges apparaissent parfois sur la carte, notamment durant les épisodes de smog. “Cela arrive lorsqu’il y a du soleil, donc principalement en été. Mais vous n’aurez jamais du rouge dans les Ardennes.

Pas assez basses émissions

Alors, quels sont les éléments qui influent sur la ­qualité de l’air? La première chose qui vient en tête est évidemment le trafic. “On estime que le trafic ­contribue à 55 % des émissions de NO2. Le reste, c’est grosso modo le chauffage.” Les champs d’action sont faciles à identifier: les parcs automobile et immobilier. “Quand on regarde le secteur du transport, ce qui pollue le plus, c’est le diesel. La situation s’améliore majoritairement grâce aux mesures prises par rapport au trafic. Technologiques, pour qu’il émette moins de polluants, et autour du parc lui-même, via la taxation des carburants.” On pense aussi à la mise en place de la zone de basse émission. Depuis 2018, les véhicules diesel les plus anciens ne peuvent entrer dans ­Bruxelles. “La mesure ultime sera aux alentours de 2030 et 2035. En 2030, l’interdiction des voitures à moteur diesel fera fortement tomber les émissions de NO2. Et en 2035, les véhicules thermiques seront éliminés. Tout cela doit être encore combiné avec des mesures qui visent à encourager le transfert modal.

pollution de l'air

L’Europe va bientôt resserrer les normes pour les particules fines et le dioxyde d’azote. © PhotoNews

Pas de zone basse émission en Wallonie, mais la diminution progressive du parc diesel entraîne déjà une amélioration des niveaux de concentration de NO2. “Ces concentrations vont drastiquement diminuer dans les années à venir. Je suis moins optimiste pour les particules fines parce que le transport n’est pas le secteur qui en émet le plus. C’est plutôt l’industrie et le chauffage.” Pour réguler le secteur du chauffage justement, sans surprise, la baisse de la consommation via l’isolation des bâtiments est primordiale. Il s’agit également de bien choisir son système de chauffage. “Le plus mauvais système pour la qualité de l’air, c’est le chauffage au bois, reprend Olivier Brasseur. C’est catastrophique pour les particules fines. Et pourtant, beaucoup de ménages en situation de précarité l’utilisent. Si on voit que la situation se dégrade, des actions devront être entreprises pour faire en sorte que les gens puissent se diriger vers un combustible plus propre.” Selon lui, l’idéal serait le chauffage électrique via une pompe à chaleur. “Mais quel que soit le combustible, il est surtout essentiel de réduire la consommation.” Dans les milieux ruraux, Guy Gérard identifie également la pollution issue de l’agriculture. “En ­Flandre, l’ammoniac est un problème très aigu par exemple. Mais il n’est pas réglementé par les direc­tives. On n’a d’ailleurs pas de réseau permanent qui mesure les pesticides dans l’air.

Grand canyon

Les concentrations que l’on mesure dans l’air ambiant dépendent des quantités de polluants émises dans l’atmosphère, mais aussi beaucoup de la météo, qui régit la dispersion des polluants. “Des épisodes d’inversion de températures les em­pêchent de se disperser. Mais dès qu’il y a une grosse pluie, ils sont rabattus sur le sol. Après un orage, tout est vraiment bien nettoyé.” Dans les villes, la hauteur des bâtiments a un effet “canyon” qui garde les polluants concentrés dans certaines rues. “Si le vent n’est pas soutenu, on va avoir des concentrations plus hautes aux endroits moins dégagés, signale Olivier Brasseur. Pour vous donner une idée, pour une sous-catégorie de particules, le black carbon, on avait calculé un facteur de 2,5 en termes de concentration de polluants entre une rue canyon et une rue ouverte.” L’exemple le plus emblématique de ces rues canyons est la rue de la Loi, à Bruxelles. Où se croisent de nombreux cyclistes. “Quand on dit qu’on veut respecter la norme de qualité de l’air, on doit la respecter partout, y compris dans ce genre de rues. Autrement dit, si c’est O.K. rue la Loi, on sait que c’est O.K. partout en Région bruxelloise.” La conclusion de l’initiative Curieuzenair rappelle que “les habitants de la périphérie, où la qualité de l’air est meilleure, vont également étudier, travailler ou faire des achats dans le Pentagone. Nous avons donc tous intérêt à voir la qualité de l’air à Bruxelles s’améliorer considérablement et nous devons travailler dur pour y parvenir”. Un postulat qui s’étend beaucoup plus loin que la seule capitale.

Les données citoyennes

Le projet bruxellois Curieuzenair a rassemblé, entre septembre et octobre 2021, 3.000 habitants de la capitale.

Invités à placer un capteur sur leur façade, des citoyens ont mesuré la concentration de dioxyde d’azote dans leur quartier. Et les résultats confirment les dires d’Olivier Brasseur. “Les données récoltées par Curieuzenair montrent que la qualité de l’air à Bruxelles s’est considérablement améliorée ces dernières années”, peut-on lire sur le site de l’initiative. Mais elle insiste aussi lourdement sur la disparité qui règne dans la ville. Les trois quartiers les plus protégés se situent ainsi à Uccle, et les trois plus mal lotis sont dans le centre-ville ou près de la petite ceinture.

Les données essentielles récoltées par Curieuzenair permettent d’évaluer l’exposition au dioxyde d’azote de toute la population bruxelloise. “1,4 % des Bruxellois, soit 17.000 per­sonnes, sont exposés à une qualité de l’air dépassant les 40 µg/m3 des normes européennes. En outre, 98,4 % de la population, soit 1,2 million d’habitants, vit ou travaille dans des zones exposées à une pollution supérieure à la nouvelle valeur seuil de l’Organisation mondiale de la santé, c’est-à-dire supérieure à 10 µg/m3.

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