La Wallonie toujours malade de sa pénurie de médecins

Une commune wallonne sur deux est en pénurie de généralistes. Dans ces zones, les médecins sont débordés. Des initiatives locales tentent désespérément de trouver des solutions.

médecin généraliste avec un patient en Wallonie
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Deux ans que la pandémie de Covid-19 frappe toute la planète. Et que les systèmes de soins de santé de chaque pays sont mis à mal, exposant leurs failles respectives au grand jour. En Belgique, un sujet revient régulièrement dans la discussion, mais il n’est certainement pas assez mis en avant vu son importance: le manque criant de médecins généralistes, particulièrement en Wallonie. Selon les critères de l’Agence wallonne pour une vie de qualité, est considérée en pénurie une commune qui abrite moins de 9 généralistes pour 10.000 habitants, et en pénurie grave si ce chiffre descend en dessous de 5. Or, aujourd’hui, en se basant sur les données de l’Aviq pour la période juin 2021-décembre 2021, plus d’une commune wallonne sur deux est en pénurie, dont 40 en pénurie grave.

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Les densités de population faibles sont aussi prises en compte. Par exemple, on estime qu’une entité avec moins de 75 habitants au kilomètre carré a besoin d’un minimum de 18 médecins pour 10.000 habitants. Notre pays reste petit, on ne parlera donc pas de véritables “déserts médicaux” comme dans certaines régions françaises. Mais il existe encore de rares communes sans un seul généraliste. C’est notamment le cas de Berloz, petite entité rurale de Hesbaye comptant 3.000 habitants. “Cela pose pas mal de problèmes aux personnes âgées, à celles qui ont du mal à se déplacer, raconte la bourgmestre Béatrice Moureau. Même dans les alentours, il est compliqué de trouver un médecin qui accepte de nouveaux patients.” Impos­sible pour ces villages d’attirer des praticiens. “Lorsqu’on parle avec de jeunes docteurs, ils préfèrent exercer à plusieurs dans un cabinet, notamment pour organiser les gardes. C’est bien normal. Je ne vois pas comment on pourrait pousser quelqu’un à s’installer chez nous, surtout qu’on n’est pas la seule commune en manque.

Épreuve physique, charge mentale

En effet, le quotidien des médecins dans ces régions est plutôt rude. “Les premiers mois, je faisais des consultations sans rendez-vous et des visites à domicile. Je travaillais de 7 h à minuit, se souvient le docteur Timothée Mairesse, basé à Erquelinnes, d’où il est originaire, depuis 2017. Impossible de refuser des patients à cette époque, nous étions tous à 100 % de notre capacité. C’était soit nous, soit personne.” Si la situation s’est nettement améliorée ces derniers mois, la commune n’a pu compter que sur 5 praticiens pour 10.000 habitants pendant plusieurs années. “Avant mon installation, il n’y avait pas eu de nouveau docteur depuis 1998.

médecin généraliste en wallonie

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Malgré l’arrivée récente de nouveaux confrères, le docteur Mairesse soigne tout de même une patientèle de plus de 1.650 personnes, “un peu trop” alors qu’il situe l’idéal à “1.000/1.200”. Il est aussi très loin de prester des horaires de bureau, mais ne s’en plaint pas. “Désormais, je travaille de 7 h à 20 h, c’est ma limite, raconte-t-il, presque gêné de ses 65 heures par semaine. Lorsque je prolongeais jusqu’à 21 h, 22 h, ma santé physique et mentale ne suivait plus.

Aujourd’hui plus nombreux, les médecins locaux et ceux de la commune voisine de Merbes-le-Château s’entendent pour se répartir la patientèle et se transmettre les dossiers. “On peut passer plus de temps avec chaque patient, la région y gagne en qualité de soin, affirme l’Erquelinnois. Puis, on sait que tout le monde sera vu. On se couche sereinement sans penser aux personnes qu’on a refusées…

Derniers combattants

Les milieux ruraux sont les plus touchés, surtout la province de Luxembourg. Sur les 44 com­munes, seules 5 ne sont pas considérées en pénurie par l’Aviq. La cause principale de ce déficit est la faible densité de population dans ces zones, qui ont donc besoin de plus de généralistes pour couvrir leurs besoins en soins de santé. Mais les entités plus “urbaines”, comme Arlon, souffrent aussi de ce problème. Neufchâteau ou Bastogne sont même classées en pénurie grave. “C’est avec la récurrence des gardes qu’on s’en rend le plus compte, commente le docteur Éloïse Louis, qui exerce à Bastogne depuis deux ans. On doit en faire 3 à 4 chaque mois, ce qui est assez énergivore en plus de nos semaines de 50 heures minimum.” Dans les grandes villes, on compte plutôt 1 garde par mois, parfois moins.

Installé en cabinet avec 4 collègues pour une patientèle commune d’entre 4.000 et 5.000 personnes, le docteur Louis affirme avoir atteint “une bonne vitesse de croisière”. C’est plutôt le futur qui l’inquiète. “Nous avons à Bastogne plusieurs médecins au-delà de 65 ans qui travaillent toujours. Dans les prochaines années, peut-être les prochains mois, on pourrait avoir 3 docteurs de moins”, décrit celle qui est aussi directrice médicale du centre de vaccination de la ville. “Ils sont d’une autre génération, qui travaille sans compter ses heures, avec forcément une très grosse patientèle. Lorsqu’ils arrêteront, nous aurions besoin de 1,5 voire deux médecins par départ pour les remplacer…

déserts médicaux

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Les professionnels de la santé de la province de Luxembourg sont pleinement conscients de ce problème de pénurie et se bougent depuis ­quelques années déjà pour faire changer les choses. En 2016, les trois cercles de médecins généralistes couvrant la province plus celui de la région de Dinant se sont associés pour former l’ASBL Santé Ardenne. Son but: attirer les jeunes docteurs diplômés vers leurs régions, et surtout les y faire rester. Les mêmes partenaires avaient déjà collaboré pour réorganiser les gardes grâce à des postes médicaux. Cette ASBL de promotion est l’étape d’après.

Lutte perpétuelle

Cela va de pair, détaille Laurent Dutrieux, chargé de communication. Un jeune ne voudra pas s’installer chez nous si on lui promet deux gardes par semaine. Mais il y a aussi tout un côté “publicitaire”: faire connaître la région, ses spécificités, son âme et son organisation.” Soutenue par la Région, et surtout par la Province, Santé Ardenne organise des rencontres, des journées découverte, fait en sorte d’attirer les stagiaires, les assistants afin qu’ils aient l’envie de s’y installer. Elle essaie aussi de renseigner les élèves du secondaire sur les ­études de médecine et d’aider les étudiants ­universitaires à mieux s’y préparer. Enfin, elle aide les nouveaux arrivants, notamment à s’intégrer, à se regrouper dans une même structure ou à monter une ASBL.

La peur de se retrouver seul et débordé de travail décourage pas mal de généralistes à choisir une zone en pénurie. “Les aspirations professionnelles et personnelles ont changé. Le médecin qui se dévoue corps et âme pour son métier 16 h par jour, ça n’existe plus. Les jeunes médecins sont toujours très engagés, mais recherchent un meilleur équilibre entre vie privée et professionnelle. Même s’ils travaillent finalement 10 h par jour, ils veulent pouvoir aller chercher les enfants à l’école ou prendre des vacances. Aujourd’hui, c’est possible, car les médecins se ­soutiennent, échangent entre eux, collaborent pour les gardes. Le médecin n’est plus “seul sur son île”. C’est ce qu’on veut mettre en avant.”

les outils d'un médecin généraliste

© Unsplash

Malgré ces initiatives, inviter des praticiens à s’établir en province de Luxembourg reste un défi. “Heureusement qu’on était là avant le Covid, sou­ligne Laurent Dutrieux. Que serait-il advenu dans la région sans ce travail d’attractivité?” Difficile de tirer un bilan univoque. Quand la situation s’améliore d’un côté, elle se détériore ou est en passe d’empirer ailleurs, comme à Bastogne. “La crise sanitaire ne nous a pas aidés. Elle a épuisé des ­médecins, vieux et moins vieux.” Mais, parmi les réus­sites, il faut souligner que certaines communes entièrement désertées par les médecins ont aujourd’hui des solutions. “C’est le cas de ­Martelange. Nous avons dialogué avec l’administration et avec les médecins de Fauvillers, juste à côté. Grâce à plusieurs subsides régionaux, provinciaux et communaux, un bâtiment a été créé et les généralistes voisins viennent y prester des journées de travail. C’est une belle collaboration.

Inami public numéro 1

L’Aviq propose notamment des subsides aux médecins qui choisissent de s’installer dans une commune en pénurie ou pénurie grave, mais aussi pour employer une aide administrative ou avoir recours à un télé-secrétariat. Et aux dires de tout le monde, les Provinces et Régions sont bien conscientes de cette pénurie et font ce qu’elles peuvent pour y remédier. Les universités ne seraient pas non plus à blâmer. Si à une époque, la médecine générale a pu être déconsidérée, ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. Non, le même coupable est toujours pointé du doigt: le nombre restreint de numéros Inami, nécessaires pour être autorisé à pratiquer. Ce quota, décidé au niveau fédéral, génère une réelle incompréhension chez les médecins généralistes, surtout ceux des zones en pénurie.

La manière dont il est calculé est si éloignée de la réalité des besoins et de la situation, c’est vraiment difficile à comprendre, commente le docteur Guy Delrée, généraliste à Marche-en-Famenne et ­président de la Fédération des associations de médecins généralistes de la Région wallonne. On dirait qu’ils espèrent limiter le budget des soins de santé en limitant le nombre de médecins.” Difficile à avaler sachant qu’au même moment, des praticiens étrangers venant travailler chez nous se voient attribuer un numéro Inami automatiquement. Sans quota. “On les attire en Belgique pour combler les trous dans les hôpitaux, car notre système produit trop peu de médecins. On est obligé d’en importer aux dépens des jeunes à qui on refuse une carrière, mais aussi aux dépens de ces pays, qui ont aussi besoin de médecins.”

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