

Ce dimanche, tous les regards seront tournés vers la Turquie. Les Turcs sont appelés aux urnes pour élire leur nouveau président. Une échéance cruciale aux nombreux enjeux.
Depuis vingt ans, Recep Tayyip Erdogan truste les plus importants mandats au coeur de l'exécutif turc. D'abord Premier ministre, dès 2003, il enfile la casquette de président en 2014. Le leader conservateur issu du parti nationaliste et islamiste, l'AKP, n'a cessé de tout faire pour se hisser comme l'homme providentiel de la nation.
Bien qu'omnipotent, la contestation populaire se fait de plus en plus ressentir, notamment suite à la gestion des récents tremblements de terre ayant ravagé une partie du pays. En face, le leader social démocrate pourrait bien en profiter. Kemal Kiliçdaroglu, à la tête du Parti républicain du peuple, est parvenu à fédérer autour de lui une large coalition de six autres partis. En cas de victoire, il promet un retour d'une démocratie dans laquelle les minorités pourront à nouveau avoir droit à l'expression sans risquer de représailles.
Pour la première fois, le président sortant n'est pas certain de rempiler. Les derniers sondages restent particulièrement serrés. Et si Erdogan devance souvent son principal rival d'une tête, l'institut Konda a proposé des chiffres à faire perdre la tête au clan ultra conservateur. Kiliçdaroglu serait crédité de 49,3 % alors que le président Erdogan chuterait à 43,7 %. Mais si ce scénario devait se concrétiser, rien ne serait perdu pour le chef d'Etat puisque le système électoral se présente, comme en France, comme un système majoritaire à deux tours. Comprenez que si aucun candidat ne parvient à empocher la majorité des suffrages ce dimanche, un duel entre les deux représentants les mieux classés se tiendra le 28 mai prochain.
Ce qui rend cette élection particulièrement incertaine relève d'une profonde crise de laquelle la Turquie ne parvient pas à sortir. L'inflation atteignait 85 % en octobre 2022. En mars dernier, elle était toujours de 50 %. Cette situation socio-économique compliquée, conjuguée à la gestion critiquée de la crise humanitaire survenue après les tremblements de terre, pourrait démobiliser une certaine frange de la population ultra-conservatrice. Les regards seront donc également tournés vers le taux de participation.
La situation des Kurdes en Turquie est dramatique. Le pouvoir d'Erdogan n'hésite pas à arrêter et emprisonner les membres de cette minorité. Mais la situation est délicate car si Kemal Kiliçdaroglu, lui même issu d'une minorité, promet le retour d'une large tolérance, la coalition dans laquelle il s'est inscrit contient des mouvances ne souhaitant aucun rapprochement avec le Parti démocratique des peuples (HDP), soutien aux Kurdes. Cette coalition étant particulièrement fragile, Kiliçdaroglu lui même se préserve de tout commentaire sur le sujet. HDP, troisième force politique du pays, n'a pas présenté de candidat à cette élection mais a décidé de se ranger derrière Kiliçdaroglu bien que ne faisant pas partie de la coalition.
L'Europe, la Russie ou encore la Chine ont le regard rivé vers la Turquie. Les enjeux sont colossaux. Les relations internationales pourraient être bousculées si Erdogan venait à Tomber. "Si l'opposition gagne, il est peu probable que la ligne suivie sur la politique étrangère change beaucoup", remarque dans les colonnes de FranceInfo Jana Jabbour, politologue spécialiste de la Turquie et enseignante à Sciences Po.
Depuis le début du conflit russo-ukrainien, Ankara se pose en médiatrice. Cette position est étonnamment soutenue par Kemal Kiliçdaroglu, ce qui pourrait jouer en faveur de son adversaire. Mais là où la différence est notable c'est sur les relations que les deux hommes veulent entretenir avec l'Europe. Alors que Erdogan a rompu le dialogue, Kemal Kiliçdaroglu souhaite rouvrir les discussions. Il souhaite également revoir ses relations avec la Syrie.
Ces élections vont-elles être pipées ? "Des fraudes massives sont possibles", confie à nos confrères français Hamit Bozarslan historien spécialiste de la Turquie et chercheur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). 350 observateurs ont été dépêchés par l'organisation de défense des droits de l'homme. L'opposition a quant à elle mobilisé 300.000 personnes pour s'assurer de la régularité du dépouillement.
Mais la fraude pourrait déjà avoir frappé. Ces derniers jours, c'est un risque d'ingérence russe qui fait la Une des médias turcs. C'est ainsi que ce jeudi, un troisième candidat, Muharrem Ince, a décidé de se retirer de la course électorale accusant d'avoir été victime d'une campagne de dénigrement et de diffamation après que des photos truquées où il apparaissait en compagnie de femmes ont été diffusées sur Internet. L'oeuvre de la Russie selon l'opposition. Une position que ne partage pas Erdogan.