La face cachée de l'intelligence artificielle : des travailleurs du bout du monde très peu payés

L'intelligence artificielle s'invite à toutes les tables. Mais derrière la révolution qui s'opère, de petites mains officient dans l'ombre.

La face cachée de l'intelligence artificielle : des travailleurs du bout du monde très peu payés
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C'est une enquête inquiétante publiée il y a quelques jours par The Conversation. Cette revue de vulgarisation scientifique a mis en lumière la sombre économie que cache l'évolution de l'intelligence artificielle. Derrière l'IA, les machines laissent place à des hommes. Ce sont eux qui entraînent les algorithmes à répondre de manière toujours plus efficiente aux questions posées.

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Avant d'être ingérées par des logiciels boulimiques, les données doivent être traitées manuellement. Elles doivent être "collectées, triées, vérifiées et mises en forme. Ces tâches chronophages et peu valorisées sont généralement externalisées par les entreprises technologiques à une foule de travailleurs précaires, généralement situés dans les pays du sud", précisent les auteurs de l'étude.

 

"L'IA à la française" cache une face interpellante. "D’un côté, les entreprises technologiques françaises s’appuient sur les services des GAFAM pour accéder à des services d’hébergement de données et de puissance de calcul ; d’un autre côté, les activités liées aux données sont réalisées par des travailleurs situés dans les ex-colonies françaises, notamment Madagascar, confirmant alors des logiques déjà anciennes en matière de chaînes d’externalisation." Autant lever le voile sans tarder : cette externalisation vers des contrées exotiques n'a rien de philanthropique. L'ambition de ces sociétés high-tech est limpide : réduire les charges que représentent le coût humain nécessaire au goinfrage de la bête. Il y a peu The Time révélait le salaire/horaire des travailleurs kenyans dans le domaine de l'IA : moins de trois euros de l'heure.

126 euros par mois... maximum

L'enquête dévoilée par The Conversation s'intéresse à 22 entreprises parisiennes actives dans ce secteur. La majorité admet se tourner vers des travailleurs malgaches pour réaliser la basse besogne. Ce sont pour la majorité de jeunes diplômés, particulièrement bien formés. Ils gagnent en moyenne entre 96 et 126 euros par mois. Pour ce qui est des postes de direction, les locaux n'y ont pas leur place. Souvent, ce sont des Français expatriés qui profitent de la situation. L'étude le marque clairement : "Cette industrie profite d’un régime spécifique, les « zones franches » (établies durant le régime colonial NDLR), institué en 1989 pour le secteur textile. Dès le début des années 1990, des entreprises françaises s’installent à Madagascar, notamment pour des tâches de numérisation liées au secteur de l’édition. Ces zones, présentes dans de nombreux pays en voie de développement, facilitent l’installation d’investisseurs en prévoyant des exemptions d’impôts et de très faibles taux d’imposition."

L'externalisation conduit à des relations de dépendance des entreprises malgaches envers leur donneur d'ordre. Mais plus inquiétant peut-être, ce déplacement de la main d'œuvre pousse à "une sous-traitance en cascade". Au bout de la chaîne se trouvent alors de petites mains isolées et mal rémunérées.

Les chercheurs concluent : "Rendre visible l’implication de ces travailleurs c’est questionner des chaînes de production mondialisées, bien connues dans l’industrie manufacturière, mais qui existent aussi dans le secteur du numérique. (...) Ils sont les rouages invisibles de nos vies numériques. C’est aussi rendre visible les conséquences de leur travail sur les modèles. Une partie des biais algorithmiques résident en effet dans le travail des données, pourtant encore largement invisibilisé par les entreprises. Une IA réellement éthique doit donc passer par une éthique du travail de l’IA."

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