Même Poutine l'admet désormais: l'économie russe souffre, et voici pourquoi

Si la Russie peut encore compter sur certains atouts, elle n'arrive plus à cacher son affaiblissement économique global.

Vladimir Poutine
Vladimir Poutine le 29 mars 2023 à Moscou ©BelgaImage

C'est une première depuis le début de la guerre en Ukraine: ce mercredi 29 mars 2023, le président Vladimir Poutine a avoué que "les sanctions imposées à l’économie russe à moyen terme peuvent vraiment avoir un impact négatif sur celle-ci". Jusqu'ici, il avait toujours fait valoir la résilience du pays pour résister à la pression, comme si celle-ci était indolore. Encore aujourd'hui, il se prévaut de certains indicateurs positifs, comme le faible taux de chômage, mais le poids du conflit est de plus en plus évident. Hier, le respecté quotidien économique The Wall Street Journal titrait sans détour: "L'économie russe commence à s'effondrer". Est-ce vraiment le cas? Les signaux sont-ils tous dans le rouge pour la Russie, ou est-ce que le Kremlin peut encore se montrer optimiste en misant sur d'autres paramètres?

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Le secteur des hydrocarbures: la perle de l'économie russe s'essoufle

Un premier chiffre résume bien la situation difficile dans laquelle se retrouve le Kremlin. Alors que l'UE devrait atteindre 0,8% de croissance, la Russie fera manifestement moins bien, voire beaucoup moins bien. Si le FBI lui prédit 0,3% de croissance, la Banque mondiale lui prévoit une récession de -3,3% et l'OCDE une dégringolade à -5,6%. Un constat qui fait mal, alors qu'en 2022, pendant que l'UE s'en sortait avec une hausse de 3,5%, la Russie pâtissait déjà d'une chute allant de -2,2% à -3,9% selon les estimations des trois institutions.

Bien sûr, les sanctions occidentales, notamment celles visant les hydrocarbures, ne sont pas étrangères à cet état de fait. Pour l'instant, la Russie a malgré tout pu limiter la casse en exportant ces combustibles fossiles par d'autres moyens, par exemple en se redirigeant vers des pays asiatiques. Moscou compte aussi sur des voies maritimes illégales pour faire sortir en catimini ses ressources énergétiques de son territoire. Mais sur ce point, les pays occidentaux ont depuis riposté en frappant là où ça fait mal. Leur tactique: faire en sorte que les navires soupçonnés d'aider la Russie à exporter ses hydrocarbures soient moins assurés. Puisque ceux-ci sont déjà souvent en moins bon état, le risque devient toujours plus grand pour eux de tout perdre en cas de pépin.

Cela pourrait jouer un rôle par la suite. Déjà pour ce mois de mars, le gouvernement a annoncé que le pays allait baisser sa production de 500.000 barils par jour, soit 5% des extractions russes quotidiennes. De plus, la Russie est forcée de vendre son pétrole au rabais, ce qui n'est pas non plus pour aider la bonne santé de ses finances. Selon le Wall Street Journal, cité par la RTBF, les revenus énergétiques du gouvernement ont diminué de près de moitié en janvier et février par rapport à l'année dernière.

Un taux de chômage au plus bas... mais beaucoup moins de travailleurs

Face aux difficultés, Vladimir Poutine se réjouit d'un taux de chômage historiquement bas. Si l'on en croit les statistiques officielles, celui-ci est en effet à 3,6%. Sauf que ce chiffre ne dit pas tout. La Russie étant pleinement engagée dans le conflit en Ukraine, le pays se tourne vers une économie de guerre qui fonctionne à plein régime et qui recrute beaucoup de monde. Aujourd'hui, près de 5% de son PIB serait consacré aux dépenses militaires, voire plus au vu du manque de transparence des chiffres officiels. La Russie doit à la fois produire ses armes mais aussi remplacer une partie des composants qui venaient d'Occident par des biens produits sur place, ce qui fait qu'elle a beaucoup de pain sur la planche, avec des offres d'emploi à la clé.

Mais surtout, le taux de chômage est affecté par une conséquence très concrète de la guerre: les hommes, notamment les plus jeunes, sont massivement envoyés sur le front. Le président avait édicté en septembre dernier que 300.000 réservistes seraient appelés à renforcer les rangs de l'armée russe. Depuis, la Russie est soupçonnée de continuer à mobiliser de façon plus discrète, sans chiffres officiels. Forcément, cela n'est pas sans conséquence sur le marché de l'emploi. Tout cela sans compter les hommes mobilisés par des organisations comme le Groupe Wagner.

Puis il ne faut pas oublier toutes les personnes que la Russie a déjà perdues. Le ministère britannique de la Défense estimait le 17 février 2023 que la Russie avait déjà perdu à cette date-là 200.000 pertes, dont entre 40.000 et 60.000 morts. Depuis, la bataille de Bakhmout a fauché de nombreuses autres vies, avec près d'un millier de Russes tués par semaine rien que dans cette ville.

Enfin, il y a les Russes qui ont fui leur pays, notamment depuis la mobilisation En octobre dernier, l'édition russe du magazine Forbes estimait déjà à 700.000 le nombre d'hommes ayant quitté la Russie, soit 0,5% de la population nationale. Une estimation crédible puisque le Kazakhstan affirme qu'il en a accueilli à lui seul 200.000 en quelques jours. Idem pour la Géorgie. Or ces personnes sont souvent jeunes et diplômées. De fait, certains secteurs, comme celui de l'informatique ont perdu une bonne partie de leur personnel. Autre conséquence: la fuite de ces hommes laisse certaines de leurs familles sont un revenu qui était pourtant essentiel à leur survie.

Des signes de faiblesse qui ne cessent de s'accumuler

Ce contexte perturbé n'incite pas aux affaires, et cela se fait ressentir de manière très concrète sur l'économie russe. La valeur du rouble a chuté de plus de 20% face au dollar depuis novembre. Les finances publiques, qui semblaient jusqu'ici peu affectées, commencent à montrer des signes de faiblesse, probablement en lien avec un début de déclin de ses ventes d'hydrocarbures. En atteste l'alourdissement de la dette en janvier dernier de 25 milliards de dollars, un recours depuis au moins 1998 selon Bloomberg. Et ça, c'est sans compter le fait que les chiffres officiels sont flous voire en partie secrets.

La Russie va donc avoir de plus en plus difficile à remplir ses deux objectifs: soutenir à la fois l'effort de guerre et le niveau de vie de la population. Pour l'instant, si certains Russes souffrent de la situation, nombreux sont encore ceux qui ne ressentent que modérément l'impact du conflit dans sa vie économique quotidienne globale (inflation contenue à 11% en février, remplacement des marques occidentales par d'autres russes en magasin, pas de files d'attentes immenses devant les banques, etc.). Est-ce que cela va durer?

Trouver des solutions

Face à ce dilemme, Vladimir Poutine compte de plus en plus sur la Chine, qui ne se laisse pas prier pour sauter sur ce débouché économique. La rencontre avec le président Xi Jinping la semaine passée est symptomatique de ce rapprochement, qui prend progressivement des airs de dépendance. La Russie importe déjà maintenant beaucoup plus de voitures chinoises qu'avant la guerre, et le secteur de l'aviation pour connaître le même sort. Le Kremlin peut également compter sur l'Iran ou la Corée du Nord pour pallier à ses difficultés.

Le Kremlin doit aussi puiser dans ses fonds souverains. C'est un de ses principaux outils pour faire face à la guerre en Ukraine. En octobre, l'État avait par exemple annoncé qu'il piochait 16,2 milliards de dollars dans son principal fonds pour combler son déficit budgétaire. La question, c'est de savoir jusqu'où cette stratégie peut tenir.

"L'économie russe entre dans un revers à long terme", a prédit auprès du Wall Street Journal Alexandra Prokopenko, une ancienne responsable de la banque centrale russe qui a fui le pays peu après l'invasion. Pour y échapper, il faudrait que le Kremlin se montre particulièrement inventif, avec des solutions efficaces pour faire face à la situation. Le président réclame par exemple aujourd'hui au gouvernement et aux dirigeants économiques d'"assurer le lancement rapide de nouveaux projets dans les industries manufacturières, en particulier dans la production de produits de haute technologie". Il estime aussi que le "système financier devrait jouer un rôle important pour répondre aux besoins des exportateurs". En février, il avait appelé les oligarque russes à rapatrier leurs fonds, dans l'espoir que cela permette de garder le cap et de soutenir l'effort de guerre.

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