«Résister aux assauts du Mordor» : pourquoi la mythologie de Tolkien est au cœur de la guerre en Ukraine

Depuis le début de l’invasion, les Ukrainiens appellent «Orques» les soldats russes, en référence aux créatures maléfiques imaginées par J.R.R Tolkien dans Le Seigneur des Anneaux.

Vladimir Poutine lors de la réunion de la CEI le 27 décembre 2022, où il a distribué des bagues tel Sauron dans Le Seigneur des Anneaux
Vladimir Poutine lors de la réunion de la CEI le 27 décembre 2022, où il a distribué des bagues tel Sauron dans Le Seigneur des Anneaux @ BELGAIMAGE

«Allons chasser de l’orc», «tenir bon face aux assauts du Mordor»…Depuis février 2022, les autorités et les citoyens ukrainiens font régulièrement dans leur communication des parallèles entre l’invasion russe et la trilogie du Seigneur des Anneaux, écrite par J.R.R. Tolkien. Notamment en qualifiant l’envahisseur d’«orc», en référence à ces hideuses créatures au service de Sauron, seigneur des ténèbres régnant sur le Mordor.

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Dès le 8 avril 2022, le gouverneur de la province de Soumy, Dmytro Jyvytsky, annonçait que ce territoire  est désormais «libéré des Orques». Le lendemain, le maire de Makariv, près de Kiev, expliquait également que les corps de 132 civils avaient été retrouvés, «tués par les Orques russes».

À chaque fois, il s’agit de d’opposer l’Ukraine, pays pacifique comme la Comté des Hobbits, à la Russie, qui joue ici le rôle du Mordor. Côté ukrainien, cette analogie a notamment l’avantage d’être accessible au grand public, selon l’analyse du chercheur Ian Li, relayée sur Slate.fr.

Présenter cette guerre comme un combat entre le Bien et le Mal permet en effet de mobiliser plus facilement l’opinion, au niveau international. Le dénouement favorable du Seigneur des Anneaux (Spoiler alert : Sauron est vaincu, le bien finit par triompher) est également susceptible de générer de l’espoir parmi les Ukrainiens, a fortiori dans un contexte où la supériorité numérique de l’ennemi peut faire apparaître la situation comme désespérée (ceci est sans doute moins vrai depuis quelques mois, et le recul russe sur plusieurs parties du front).

Poutine, tel Sauron

Les références à l’univers «tolkienien» s’expliquent aussi par l’histoire de la réception de l’œuvre en URSS. Longtemps interdit, Le Seigneur des Anneaux a circulé sous le manteau dans les anciens territoires soviétiques. Les lecteurs et lectrices de l’époque faisaient alors le lien entre le Mordor et l’URSS, expliquait au Monde la spécialiste du sujet Joanna Majewska. «On imagine très bien comment les lecteurs de l’Union soviétique ont pu se dire que ce livre parlait d’eux, que le Mordor, c’était l’URSS. L’Ukraine ne voulait absolument pas s’identifier à ce contexte : [les Ukrainiens] voulaient se voir comme faisant partie de l’Ouest».

Plus étonnant, côté russe aussi, on n’hésite pas à reprendre la comparaison entre la Russie et le Mordor. En décembre, Vladimir Poutine a semble-t-il fait consciemment une référence à Tolkien, en distribuant une bague en or à chaque des 8 dirigeants de la Communauté des Etats indépendants (CEI) rencontrés à Saint-Petersbourg. Et en gardant la neuvième pour lui-même, tel Sauron dans le Seigneur des Anneaux (même si, en réalité, le livre dit bien : «Neuf [anneaux] pour les Hommes Mortels destinés au trépas, Un pour le Seigneur Ténébreux sur son sombre trône»).

 

 

Si le président russe accepte de passer pour Sauron lui-même, c’est parce qu’il existe une autre lecture de l’œuvre de Tolkien parmi certains Russes.«En 1999, un romancier russe, Kirill Eskov, a sorti un livre en réponse au Seigneur des anneaux, balisait pour 20 Minutes.fr William Blanc, historien et spécialiste de Tolkien. Une sorte de fan fiction où il raconte la même histoire que Tolkien mais du point de vue des orques et du Mordor. Il propose d’écrire une autre version de l’histoire. Ce discours a pas mal infusé en Russie. (…)C’est une manière, pour Poutine, de dire «les méchants ne sont pas ceux que l’on croit», ou plutôt «vous nous voyez comme les méchants ? Ok, on va jouer les méchants alors». Il retourne en quelque sorte ce qu’il pense être une métaphore russophobe».

 

 

Reste à voir si Tolkien lui-même aurait cautionné les références à son œuvre dans un contexte de propagande, et ce, quels que soient les belligérants. L’écrivain, qui a combattu dans la Somme pendant le Première guerre mondiale, a toujours été clair sur son aversion pour la guerre. «Tant qu’on n’a pas connu personnellement l’ombre de la guerre, on ne ressent pas totalement son oppression» écrivait-il dans la préface à la deuxième édition de La Communauté de l’anneau.

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