

Ce lundi 20 mars, la sentence est tombée: les deux motions de censure destinées à faire tomber le gouvernement français ont été rejetées. La Première ministre Élisabeth Borne a résisté à la contestation grâce au soutien d'un nombre suffisant d'élus venus du parti de droite Les Républicains (LR). La motion principale, déposée par le groupe centriste LIOT, a recueilli 278 voix (dont 19 chez LR), alors qu'il fallait en avoir au moins 287 pour passer. Celle déposée par le Rassemblement nationale (extrême-droite) n'a rassemblé que 94 voix.
L'exécutif a donc gagné son pari: garder la confiance du Parlement en échange d'une adoption de la réforme des retraites sans que l'Assemblée nationale ne doive l'approuver par un dernier vote. La conclusion semble claire: la partie est terminée, la retraite est repoussée à 64 ans et le gouvernement va pouvoir penser à autre chose. En réalité, ce n'est pas totalement fini. L'opposition, surtout celle de la Nupes (alliance de gauche), veut encore mettre des bâtons dans les roues de Matignon en misant sur ses tout derniers recours possibles.
Le nom de la première option pour éviter l'entrée en vigueur de la réforme se résume à trois lettres brandies par les députés de la Nupes après le rejet de la motion de censure: RIP, pour référendum d’initiative partagée. Il s'agit d'une proposition de loi destinée à organiser une consultation populaire, qui traiterait en l'occurrence de la réforme des retraites. Les élus de la gauche sont assez nombreux pour déposer ce genre de texte, ceux-ci représentant plus d'un cinquième des parlementaires. Il leur a donc été possible de le faire ce lundi.
Là où cette logique coince, c'est pour les étapes suivantes, la procédure étant difficile à faire aboutir. La proposition serait ensuite envoyée au Conseil constitutionnel qui aurait, si elle est jugée recevable, 30 jours pour statuer dessus. Or en même temps, cette même instance va recevoir le texte de la réforme des retraites, suite à son adoption ce lundi et au dépôt d'une saisine par la Nupes (qui oblige l'examen de la loi). Là aussi, le Conseil constitutionnel aura 30 jours... ou seulement 8 si le gouvernement invoque l'article 61.3 de la Constitution qui lui permet de demander un traitement en urgence du texte. Si la réforme des retraites est approuvée avant le RIP, c'est fini. La raison: un RIP ne peut pas porter sur une loi en vigueur depuis moins d'un an. Une course contre-la-montre va donc s'engager à ce niveau-là.
Si la Nupes est optimiste, elle peut imaginer que le RIP soit validé avant cette échéance, mais ce n'est pas fini. Il faudrait qu'au cours des neuf mois suivants, cette proposition soit soutenue par 10% des électeurs (soit 4,7 millions de personnes) via une plateforme en ligne ou via certains bâtiments publics. Le nombre de contestataires étant important, cet objectif pourrait être rempli, à condition qu'autant de personnes prennent la peine de faire cette démarche administrative.
Dernier hic: même en réussissant à passer cette étape, il faudrait encore que le Parlement ne s'y oppose pas. Si c'est le cas, cela peut bloquer tout le processus. Dans le cas inverse, le référendum pourrait avoir lieu, mais seulement dans presque un an et demi.
Face à la complexité du RIP, il est de fait très peu probable que cette hypothèse se réalise. Une option plus simple existe malgré tout, mais l'opposition n'a pas de prise dessus. Il suffirait que le Conseil constitutionnel, se devant examiner le texte suite à la saisine de l'opposition, édicte que la loi serait inconstitutionnelle. Sur le fond, il ne devrait a priori pas avoir ce type de remarque, le gouvernement ayant bien fait attention à ce qu'une telle bourde ne se produise pas.
Par contre, il pourrait y avoir des reproches sur la forme au vu du chaos qui a émaillé le parcours parlementaire de la loi, comme l'explique à Franceinfo Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel. Si le Conseil constitutionnel n'y voit rien à redire, la réforme serait définitivement adoptée, à moins qu'un autre point de la réforme ne pose question. Le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier explique par exemple au Monde que le fait que la réforme des retraites soit englobée dans un projet de loi plus large sur le financement de la Sécurité sociale pourrait interloquer. "C’est précisément pourquoi il y a une interrogation sur la constitutionnalité d’emprunter ce véhicule pour faire la réforme des retraites", juge-t-il.
S'il n'y a ni RIP, ni de blocage au niveau de la Cour constitutionnelle, il n'y aurait plus aucun outil légal pour bloquer la réforme des retraites. Il n'y aurait donc plus qu'un éventuel obstacle pour le gouvernement: la réaction populaire. Les opposants à la réforme rappellent qu'en 2006, une loi sur le CDI spécial jeunes, adopté via le 49.3, a été abandonné par l'exécutif face à des manifestations énormes allant jusqu'à trois millions de personnes.
Cette éventualité n'est pas totalement à exclure, tant la tension a été forte. L'opposition compte beaucoup dessus, certains appelant même à ce que le gouvernement démissionne de lui-même face à une contestation aussi forte. Mais il se pourrait également qu'au contraire, la mobilisation s'essouffle, épuisée par des semaines de protestations. Ce serait donc à cela qu'il faudrait surtout veiller au cours de ces prochains jours et prochaines semaines pour savoir si la réforme des retraites est encore en danger ou pas.