Comment la perception de la calvitie a évolué au cours de l'Histoire

Aujourd'hui redoutée, la calvitie a été perçue de manières très diverses selon les époques, avec certaines constantes et des différences.

Comment la perception de la calvitie a évolué au cours de l'Histoire
Un homme chauve ©BelgaImage

C'est la hantise de nombreux hommes: constater que leur crâne est de moins en moins garni, prélude d'une calvitie partielle ou complète. Lorsque ce jour arrive, pour certains, c'est le drame. Cette perte de cheveux, perçue comme synonyme de vieillissement, entamera-t-elle leur capital de séduction ? C'est en tout cas ce que veulent leur faire croire les innombrables publicités vantant les mérites de tel ou tel produit anti-calvitie. Mais l'humanité s'est-elle toujours autant préoccupée de ce sujet ? Non, d'après Glen Jankowski, maître de conférences à l'université Beckett de Leeds. Dans un article publié sur The Conversation, il rappelle que les chauves ont parfois eu bien meilleure presse qu'aujourd'hui. Un fait qui ne doit pas faire oublier non plus que durant toute l'histoire de l'humanité, la recherche d'un remède à la perte de cheveux a elle aussi hanté l'esprit des hommes.

Les chauves, bien présents dans l'art égyptien

Le chercheur britannique cite d'abord une étude de 2019 qui se penche sur la représentation de la calvitie dans l'Égypte antique. Il y est fait mention de 122 hommes chauves peints sur des tombes privées entre 2.613 et 525 avant J-C, dans des contextes divers et variés. Pour l'universitaire, ces peintures "suggèrent que les anciens Égyptiens ne traitaient pas les hommes chauves différemment de leurs pairs chevelus".

Cela ne veut pas dire que les Égyptiens ne se préoccupaient pas du tout de la calvitie, surtout en prenant en compte le fait que sur 2-3 millénaires, leur perception a pu changer au fil du temps. La même étude note notamment que l'on trouvait des coiffures spécifiques aux personnes avec une calvitie partielle. À certaines époques, l'objectif était visiblement plutôt de la cacher. En atteste la volonté de trouver un remède, et ce déjà vers 1.500 avant J-C. À cette époque-là, le papyrus Ebers, l'un des anciens traités médicaux connu, en cite plusieurs.

La position ambiguë des Romains

On retrouve cette préoccupation pour la perte de cheveux chez les Romains. Jules César aurait ainsi tenté de cacher la sienne en recouvrant la zone dégarnie comme il le pouvait avec le reste de sa chevelure. Un ancien exemple de "coiffure d'illusion" qui perdure parfois de nos jours. En l'an 30 de notre ère, le polygraphe Celsus suggère un traitement à base de composés caustiques et d'une scarification. Une tentative qui paraitrait aujourd'hui un peu désespérée d'y remédier.

Pourtant, durant la période allant de la République romaine jusqu'au début de l'Empire romain, la calvitie n'était pas nécessairement mal vue. Elle pouvait être considérée comme un signe de sagesse, avec l'expérience qui va avec. La perte de cheveux était par contre vue comme incompatible avec la jeunesse, d'où le manque de représentations de jeunes hommes nobles le crâne bien rond.

La calvitie à l'époque des monothéismes

Avec l'arrivée du christianisme, une nouvelle pratique voit le jour: la tonsure. Ici, on rase volontairement les cheveux, en partie ou en totalité, en signe de dévotion religieuse. Elle se développera tout au long du Moyen-Âge, devenant même une habitude pour les moines, et ne sera abandonnée par ordre pontifical qu'en 1972. Des fidèles d'autres religions ont également adopté cette coutume de se raser la tête, comme dans le bouddhisme et une partie de l'hindouisme, au point que les femmes faisaient parfois de même. Au sein de l'islam aussi, des hommes pouvaient le faire après un pèlerinage comme le Hajj.

Dans l'Allemagne du XIIe siècle, la moniale bénédictine Hildegarde de Bingen parle de la calvitie avec les préjugés de son époque, notamment sur des liens présumés avec l'état de santé, mais pas forcément en mal. Selon elle, il était bien plus inquiétant qu'un homme n'ait pas de barbe. Cela ne l'empêche pas de proposer un remède contre la calvitie... à base de graisse d'ours et de cendres de paille de blé pour en faire une pommade.

Toutefois, "il est difficile de trouver des hommes expliquant dans des textes ce qu'ils pensaient de leurs calvities", note une étude qui s'intéresse à l'Angleterre du début des Temps modernes. Les chercheurs sont ainsi condamnés à lire entre les lignes, comme dans les écrits bibliques. Un passage de la Bible parle par exemple du prophète Elisha qui aurait vu des enfants se moquer du manque de cheveux sur son crâne. En guise de représailles, il les aurait maudits. Cette histoire montrerait en tout cas que la calvitie restait l'objet de moqueries, même durant l'époque chrétienne, mais que ce type d'insultes était socialement condamnable. L'absence de cheveux était dans tous les cas associée à des préjugés sur l'âge, la santé et l'attractivité physique, ce qui en faisait un sujet intimement lié aux questions d'honneur et de honte.

Quand le cinéma et la pub s'en mêlent

Une étude se penchant sur la Grande-Bretagne de la fin du XIXe siècle et le début du XXe note le même type de perception de la calvitie, toujours avec un marché des remèdes et préventifs. "Cependant, tout le monde ne s'inquiétait pas de la calvitie, et les sentiments des hommes à propos de leurs cheveux devaient beaucoup à la personnalité et aux circonstances", note l'auteur. Mais bientôt, cette préoccupation va prendre une autre dimension. Hollywood sanctuarise une certaine conception de l'homme idéal et la publicité pour des produits de santé accentue l'anxiété que peut susciter la perte de cheveux. Le concept de masculinité évolue au fil de cette évolution.

Là où Vincent Van Gogh pouvait encore rester en admiration devant un "crâne chauve", le marketing de masse a considérablement fait évoluer la perception du grand public. Comme le note The Conversation, les pubs montrent la calvitie comme un désavantage social important et une maladie. Dans les années 1980, plus de 60% des acteurs de télévision présentent les personnages chauves comme «laids», incompétents ou paresseux.

On ne s'étonnera donc pas de voir les hommes complexer à ce propos. En 1966, le propriétaire d'un salon de coiffure confie à la télévision canadienne leur crainte de se retrouver la boule à zéro. "J'ai déjà commencé, c'est inquiétant", explique un client. "Un homme qui perd ses cheveux a l’air beaucoup plus vieux". Le port d'une perruque reste cependant l'exception.

Aujourd'hui, les vieux préjugés sur les chauves perdurent, comme l'a fait remarqué fin 2022 l'humoriste Kyan Khojandi, mais il y a de la nuance. En 2012, une étude de l'Université de Pennsylvanie note que ceux-ci ont plus de chances de réussir dans le business. En 2017, la même université note qu'ils seraient en plus vus comme plus séduisants, voire plus virils et plus forts. Doit-on y voir l'influence de la présence sur le grand écran d'acteurs comme Bruce Willis ou Dwayne Johnson, ou de la visibilité acquise par Jeff Bezos? Cela constitue en tout cas une évolution intéressante par rapport à toutes les époques antérieures.

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