
«Bloody Mary» : Maria Lvova-Belova, la «sauveuse» russe qui organise la déportation des enfants d'Ukraine

Une femme d’une blondeur angélique, aux traits doux, serre dans ses bras un énorme ours en peluche, dans les couloirs d’un aéroport. La même femme, penchée cette fois sur un petit garçon aveugle, l’aide à poser une guirlande sur un sapin de Noël… Sur ses réseaux sociaux comme à la télévision russe, Maria Lvova-Belova, nommée en 2021 commissaire aux droits de l’enfant par Vladimir Poutine, aime exposer ses élans maternels.
Cette ancienne professeure de guitare, mariée à un informaticien devenu pope, est mère de dix enfants, cinq biologiques, cinq adoptés. Dont un Ukrainien, qui faisait partie d’un groupe de trente enfants «trouvés dans des sous-sols de Marioupol». «Lorsque nous les avons amenés dans la région de Moscou pour qu’ils se remettent un peu, racontait-t-elle en septembre, ils ont parlé négativement du président [russe, ndlr], ont dit toutes sortes de choses désagréables, ont chanté l’hymne ukrainien, gloire à l’Ukraine et tout ça. Mais un peu de temps a passé, ces enfants se sont retrouvés dans des familles d’accueil de la région de Moscou, (…)je peux voir que cette intégration commence à se faire (…) Il y a donc une certaine négativité au début mais elle se transforme ensuite en amour pour la Russie».
Two days after the US published a report claiming Russia has abducted at least 6,000 Ukrainian children, children's rights commissioner Maria Lvova-Belova tells Putin she "adopted" a 15-year-old from Mariupol herself.
"All thanks to you, Vladimir Vladimirovich!" pic.twitter.com/rTAP8MEU1g
— max seddon (@maxseddon) February 16, 2023
Un système qui s'apparente à un crime de guerre
À entendre la dignitaire du Kremlin, son petit Ukrainien adopté serait désormais «reconnaissant» envers la «grande famille» russe qui l’a sauvé. On serait pourtant très loin d’un «sauvetage». À propos de Maria Lvova-Belova, le rapport publié mardi 14 février par des chercheurs de l’université américaine Yale, évoque plutôt «l'une des figures les plus impliquées dans la déportation et l'adoption d'enfants ukrainiens par la Russie, ainsi que dans l'utilisation de camps pour" intégrer «les enfants ukrainiens dans la société et la culture russes».
Selon ce rapport, le gouvernement russe a mis en place un réseau d’au-moins 43 camps fermés, où plus de 6.000 mineurs ukrainiens vivent depuis des semaines, voire des mois, coupés de leurs parents. Ils seraient ensuite soit soumis à un programme d’adoption, soit gardés dans des «camps de rééducation».
Un système qui s’apparente à un crime de guerre selon les auteurs, les mineurs y étant contraint sans le consentement de leurs parents. Les chercheurs du Yale Humanitarian Research Lab, un groupe de recherche indépendant (mais financé en partie par le département d’Etat américain) disent avoir travaillé notamment à partir de sources ouvertes.
Selon Maria Lvova-Belova, plus 1900 enfants sont arrivés en Russie. pic.twitter.com/LUsUf0ONvO
— Stéphane Kenech (@stephanekenech) September 17, 2022
Une aide financière pour les familles qui adoptent en Russie
Depuis le début du conflit, l’Ukraine et plusieurs ONG accusent le Kremlin d’avoir emmené de force des milliers d’enfants en Russie. En novembre 2022, Amnesty International alertait sur le «transfert forcé et la déportation de civils des zones occupées de l’Ukraine par les autorités russes, dans ce qui s’apparente à des crimes de guerre et probablement à des crimes contre l’humanité». «Des enfants sont séparés de leur famille après un transfert forcé» et «éprouvent des difficultés à quitter la Russie», pointait déjà l’ONG.
La convention de Genève stipule que lors d’un conflit les membres d’une famille doivent pouvoir communiquer entre eux, les enfants séparés doivent être identifiés, et leur évacuation temporaire doit se faire vers un Etat neutre, avec le consentement de leurs parents. L'UNICEF, l'organisation des Nations Unies pour les enfants, juge que «l'adoption ne devrait jamais avoir lieu pendant ou immédiatement après les situations d'urgence», et que pendant les bouleversements, les enfants séparés de leurs parents ne peuvent être considérés comme orphelins.
L'ONU considère également le transfert forcé de la population d'un autre pays à l'intérieur ou au-delà de ses frontières comme un crime de guerre.
Déficit démographique
Les autorités russes évoquent des «actions humanitaires »visant les «orphelins abandonnés et traumatisés par la guerre». En mai 2022, Vladimir Poutine a publié un décret facilitant l’adoption d’enfants ukrainiens. Un programme d’aide financière a même été créé pour les familles adoptantes. Et ce, alors qu’une grave déficit démographique touche la Russie depuis des années, et que le taux de natalité y a chuté de 6,2% en 2022.
Le Kremlin a rejeté les accusations «absurdes» de «transfert forcé et de déportation d’enfants ukrainiens». «La Russie a accepté des enfants qui avaient été forcés de fuir avec leurs familles les bombardements et les atrocités des forces armées ukrainiennes. Nous faisons de notre mieux pour garder les mineurs dans les familles et, en cas d'absence ou de décès des parents et des proches, pour transférer les orphelins sous tutelle», a déclaré l’ambassade de Russie à Washington.
De son côté, Maria Lvova-Belova a expliqué vouloir désormais ouvrir des centres spécialisés pour les adolescents, pour leur "apporter une attention particulière». «Pour eux, un protocole adapté a été conçu : consultations et formations psychologiques, orientation professionnelle, master classes, nous mettons tout en œuvre pour qu'ils retrouvent la confiance», a-t-elle ajouté.