

Suite aux séismes de ce lundi 6 février, la Turquie et la Syrie sont en deuil. Le bilan humain ne cesse de s'alourdir et la zone frontalière entre les deux pays est ravagée. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) n'exclut pas que le nombre de 20.000 morts soit atteint. Le constat est horrible mais la Turquie pourrait s'attendre à pire encore. Cet État est situé sur une des zones les plus sismiques du monde et une ville est particulièrement exposée: Istanbul. Cette métropole, la deuxième plus peuplée du continent européen après Moscou, se prépare même à subir un «big one». Car oui, la Californie n'est pas la seule à vivre avec ce type d'épée de Damoclès au-dessus de la tête. En réalité, plusieurs villes sont dans la même situation à travers le monde.
Si la Turquie est si exposée, c'est qu'elle est à la jonction de plusieurs plaques tectoniques: arabique, anatolienne et eurasiatique. En l'occurrence, Istanbul est située pile sur la faille nord-anatolienne, qui va de la Grèce à l'Irak. Au cours du XXe siècle, cette dernière a été responsable de plusieurs séismes supérieurs à 7 sur l'échelle de Richter, comme celui d'Izmit en 1999 qui a causé la mort d'environ 18.000 personnes. En l'occurrence, l'ancienne capitale des sultans ottomans a elle aussi été touchée mais était assez loin de l'épicentre pour limiter les dégâts.
Cela n'est malheureusement pas appelé à durer éternellement. Au cours de son histoire, l'ancienne Constantinople a déjà subi plusieurs grands tremblements de terre (d'environ 6-7 sur l'échelle de Richter), comme en 447, 557, 1509 ou encore 1766. Certains ont même provoqué des tsunamis qui n'ont fait qu'aggraver la situation.
"Dans le pire des cas, le séisme pourrait atteindre une magnitude de 7,7", confiait en 2019 à l'AFP Sükrü Ersoy, spécialiste des séismes et enseignant à l'Université technique Yildiz à Istanbul. "Istanbul est-elle prête pour cela ? Malheureusement, non". Selon un rapport municipal, au moins 48.000 bâtiments de la métropole pourraient subir de lourds dommages avec un tremblement de terre de magnitude 7,5, dont plusieurs milliers pourraient s'effondrer. Avec l'urbanisation intensive de la zone, de nombreux immeubles ont en effet construits sans autorisation et sans respect des normes sismiques, d'où le risque d'un lourd bilan humain. Après une longue période durant laquelle la ville était dirigée par le parti du président Erdoğan, le nouveau maire Ekrem İmamoğlu a prévu un plan pour faire face à ce défi.
Mais s'il y a bien une ville pour laquelle on parle de "big one", c'est Los Angeles. La Californie est située sur la faille de San Andreas, qui passe aussi par San Francisco. Cette dernière ville a d'ailleurs subi en 1906 un très puissant séisme de magnitude 7,8 (c'est-à-dire de même intensité que celui survenu en Turquie hier). La Californie centrale avait aussi subi un tremblement de terre d'environ 8 sur l'échelle de Richter en 1857. Heureusement, à l'époque, la région venait seulement d'adhérer aux États-Unis et n'était peuplée que d'environ 300.000 personnes, loin des 39 millions d'aujourd'hui.
Ici, ce sont deux plaques tectoniques qui se rencontrent, celle pacifique et celle nord-américaine. Selon les études, un "Big One" surviendrait en Californie tous les 150-200 ans mais n'aurait à l'heure actuelle que 2,3% de chance de se produire, en l'occurrence avec une magnitude de 7,7. La bonne nouvelle, c'est que la faille de San Andreas ne se situe pas en mer mais sur terre, ce qui permet d'être raisonnablement serein quant au risque de tsunami. La Californie met également un point d'honneur à se préparer au jour J, avec de nombreux exercices organisés afin que la population sache se protéger.
Un autre pays connu pour ses tremblements de terre, c'est le Japon. À Tokyo, il existe là aussi la peur du "Big One". Outre la catastrophe de 2011, les habitants de la capitale se souviennent encore du terrible séisme du Kantō de 1923, d'une magnitude de 7,9. Il avait provoqué la destruction quasi totale de toute la métropole, rasant ainsi des siècles d'histoire, sans oublier l'effrayant bilan humain: entre 100.000 et 150.000 morts.
Il faut dire que la baie de Tokyo est une zone particulièrement sensible, où se croisent pas moins de quatre plaques: celles de l'Amour, du Pacifique, de la mer des Philippines et d'Okhotsk. En 1923, c'étaient les deux dernières qui étaient impliquées.
En 2021, un séisme assez modéré de magnitude 5,9 avait ravivé la crainte d'un "Big One". Les Tokyoïtes peuvent se rassurer en se disant que leurs très nombreux gratte-ciels sont soumis à de sévères règlementations antisismiques (qui ont d'ailleurs fait leurs preuves en 2011) mais cela ne veut pas dire que le risque n'existe pas. Une étude de la métropole réalisée en 2020 estimait qu'avec une secousse de 7,3, il pourrait y avoir dans la capitale 9.700 morts et 148.000 blessés.
En Amérique latine, c'est globalement toute la côte occidentale qui est à risque. Plusieurs plaques s'y rencontrent: d'une part celle des Cocos avec les plaques caraïbe et nord-américaine, d'autre part la plaque de Nazca avec celle sud-américaine. Ce sont ces deux dernières qui ont causé parmi les plus grands tremblements de terre jamais enregistrés. Le record de magnitude appartient ainsi au séisme de Valdivia, au Chili, qui avait atteint 9,4-9,6 sur l'échelle de Richter et avait provoqué le réveil du volcan Cordón Caulle. Par chance, il s'était produite dans une zone peu peuplée. Plus inquiétant: un autre séisme hyperpuissant s'était produit en 1730 à Valparaiso, toujours au Chili, d'une magnitude de 9,1-9,3. À l'époque, la ville n'était pas bien grande mais aujourd'hui, son aire métropolitaine abrite près d'un million d'habitants.
Depuis quelques années, de nouveaux séismes frappent le Chili, ce qui fait craindre au pays l'arrivée d'un nouveau "Big One". En 2015, un tremblement de terre de magnitude 8,3 avait provoqué l'évacuation d'un million de personnes mais n'a provoqué que 14 morts, la région la plus touchée étant désertique. Les normes parasismiques chiliennes sont renforcées depuis 1960 mais la crainte d'une catastrophe persiste. Il y a environ deux "Big One" par siècle, selon les statistiques tenues depuis le XVIe siècle.
Un autre pays latino-américain très exposé, c'est le Pérou. En 1746, un séisme de 8,6-8,8 s'était produit à proximité immédiate de la capitale, Lima, qui a été presque entièrement détruite. En 1586, au tout début de l'ère espagnole, un autre tremblement de terre de magnitude 8,1-8,5 avait ravagé cette même région. Aujourd'hui, la métropole abrite plus de 10 millions d'habitants.
Le problème ici, c'est que le Pérou est un pays plus pauvre que ceux cités précédemment. Les infrastructures sont plus fragiles et la question se pose de ce qui arriverait en cas de nouveau "Big One" à Lima. En 1970, le nord du Pérou avait subi un séisme de 7,9 ayant provoqué la mort d'environ 70.000 personnes. Le dernier grand séisme s'étant produit à proximité de Lima date de 1974, avec une magnitude de 8,1 et environ 250 morts. Aujourd'hui, comme au Chili, les autorités péruviennes craignent qu'un tremblement de terre ne provoque en plus un tsunami, ce qui serait dévastateur pour les villes côtières.
Plusieurs villes chinoises sont également très exposées aux séismes. Celui de 2008 au Sichuan, qui s'est produit non loin de Chengdu, est encore dans toutes les mémoires mais d'autres régions du pays sont elles aussi à risque. Parmi elles, on trouve la capitale, Pékin, ainsi que la métropole voisine de Tianjin. En 1976, un tremblement de terre de magnitude 7,6 avait provoqué des centaines de milliers de morts (le chiffre exact est inconnu, le bilan officiel de 250.000 morts établi par le régime de Mao étant suspect et pouvant être jusqu'à trois fois plus élevé en réalité). Aujourd'hui, des dizaines de millions de personnes vivent dans cette zone.
De grands séismes peuvent également se produire ailleurs en Chine. Le plus important jamais enregistré s'est produit au Tibet en 1950, avec une magnitude de 8,6. Mais heureusement cela s'est produit au milieu de l'Himalaya, où peu de personnes habitent. En Chine du Sud, le record date de 1604 et s'est produit sur la côte du Fujian. où on trouve aujourd'hui de grandes villes comme Quanzhou (qui possède une aire métropolitaine d'environ 6,5 millions d'habitants). En Chine du Nord, la province du Shaanxi est exposée (comme en attestent un séisme de 1556 avec une magnitude estimée à 8 et plus de 100.000 morts liées directement au tremblement de terre, et un autre en 1303 qui a provoqué 270.000 morts). En 1833, la capitale de la province du Yunnan, Kunming (aujourd'hui peuplée d'environ 6 millions d'habitants), a été frappée par un séisme de magnitude 8.
Heureusement pour les Européens, la majorité du continent se trouve au milieu de la plaque eurasienne. Il ne faut donc pas craindre un "Big One" en Belgique par exemple, du moins avec une magnitude comparable aux exemples précédents. Il n'empêche, notre pays peut lui aussi être secoué. L'Observatoire royal décompte 14 tremblements de terre supérieurs à 5 de magnitude, dont 3 supérieurs à 6 sur l'échelle de Richter. Le record date de 1692, avec une magnitude de 6,2, et s'était produit dans le nord de l'Ardenne, du côté de la province de Liège. En 1983, cette même zone était touchée par un séisme de magnitude 4,9, endommageant ainsi près de 15.000 maisons, dont 129 ont été déclarées inhabitables.
Sur notre continent, outre le cas d'Istanbul, l'un des principaux risques concerne le Portugal. Des séismes peuvent se produire au large et provoquer des tsunamis, comme le montre l'exemple de l'année 1755 qui avait complètement ravagé Lisbonne qui a dû être en bonne partie reconstruite.
La Grèce est également exposée. La Crète a par exemple été exposée à un séisme avec une magnitude estimée à plus de 8,5 en 365, sans oublier celui de 1810 qui était de 7,5 sur l'échelle de Richter. L'île de Rhodes et le Péloponnèse sont également des zones sensibles.
Enfin, en Italie, deux régions sont particulièrement concernées. Il y a tout d'abord la Sicile. En 1908, Messine a été rasée par un séisme de 7,1 faisant au moins 75.000 morts. Plusieurs autres catastrophes se sont produites à l'est de la Sicile, comme en 1693 avec près de 60.000 morts et où la vallée de Noto a été détruite (puis reconstruire dans un style baroque qui fait sa réputation aujourd'hui). Idem pour le centre de l'île, ravagé en 1968 et où plusieurs villages sont restés à l'état de ruines. Reste la zone des Apennins qui court sur une bonne partie de la Botte, surtout dans sa partie méridionale. Les Italiens se souviennent encore du séisme de 2009 qui a frappé L'Aquila, chef-lieu des Abruzzes. En 1456, le Molise a été touché par un tremblement de terre d'environ 7,2 sur l'échelle de Richter, provoquant des dizaines de milliers de morts. Puis en 1857, c'est le Basilicate qui a été meurtri par un séisme semblable.