«Maman. Maman. Maman»: la vidéo de l’arrestation mortelle de Tyre Nichols choque l’Amérique

Cet Afro-Américain de 29 ans a été passé à tabac par des policiers de Memphis. Sa mort relance une nouvelle fois le débat sur les violences policières aux États-Unis.

Les habitants de New York manifestent à Times Square après la publication des images du passage à tabac mortel de Tyre Nichols
Les habitants de New York manifestent à Times Square après la publication des images du passage à tabac mortel de Tyre Nichols @BELGAIMAGE

«Maman, maman, maman…» Dans un cri désespéré, Tyre Nichols appelle sa mère, avant d’encaisser au sol, impuissant, les coups des policiers qui s’acharnent sur lui. Ce jeune père de famille de 29 ans a été tabassé des policiers de Memphis (Tennessee) le 7 janvier dernier, alors qu’il rentrait chez lui en voiture. L’Afro-Américain est mort trois jours plus tard à l’hôpital, des suites de ses blessures. Ce vendredi 27 janvier, les autorités locales ont publié un montage de plusieurs séquences vidéo montrant l’interpellation dans sa quasi-intégralité,(attention, ces images peuvent heurter la sensibilité) causant une onde de choc dans la ville et au niveau national.

Deux incidents séparés ont eu lieu, documentés à la fois par une bodycam portée par un policier et par des images de vidéosurveillance. Les premières images montrent les policiers au volant, pourchassant une voiture. Quand celle-ci s'arrête, les policiers, tous afro-américains, se précipitent en hurlant: «Sors de cette voiture! Sors de cette putain de voiture». Tyre Nichols n'en a même pas le temps. L'un des policiers tente de l'extraire avec violence du véhicule. On entend alors le jeune homme tenter de calmer le jeu: «Je n'ai rien fait», «je veux juste rentrer chez moi !». Les policiers autour de lui crient de plus belle: «Allonge-toi! Tourne-toi!» «Ok, je suis allongé».

Les policiers ne cessent de hurler. Il tente alors de se dégager. Aspergé de gaz irritant et visé par un Taser, il parvient cependant à s'échapper. La vidéo suivante est d'une violence terrible. Tyre Nichols est à terre, maintenu par deux policiers. L'un d'entre eux lui donne un premier coup de genou, c'est le début d'un tabassage en règle. Les coups pleuvent, Tyre Nicols reste un moment debout avant de s'écrouler à terre.  Un bref moment, la caméra passe sur son visage, il est tuméfié et couvert de sang.

La dernière image montre le gyrophare d'une ambulance, qui n'arrive qu'au bout d'une vingtaine de minutes. Trois jours après ce passage à tabac, Tyler Nichols meurt dans un hôpital de Memphis.

Les 5 policiers inculpés

Les policiers auraient avancé comme motif de l’interpellation une «conduite imprudente» de Tyre Nichols au volant, mais aucune caméra de circulation n’a pu confirmer cela dans l’enquête. Après la publication des images, des manifestations ont débuté dans diverses villes du pays, comme à Washington et New York. À Memphis, ville où Martin Luther King avait été assassiné en 1968, un cortège s’est mis en branle aux cris de «Pas de justice, pas de paix», et a rapidement bloqué un axe majeur de la ville, provoquant de gros embouteillages.

Réagissant une trentaine de minutes après que la vidéo eut été rendue publique, Joe Biden s'est dit «scandalisé» et «profondément meurtri». Le président américain a demandé à ce que les rassemblements soient «pacifiques» et s'est entretenu au téléphone dans l'après-midi avec la mère et le beau-père de Tyre Nichols.

Car sa mort rappelle celle de l'Afro-Américain George Floyd, tué par un policier en mai 2020. Des manifestations contre le racisme et les violences policières avaient alors embrasé le pays, fédérées autour du slogan «Black Lives Matter». Le spectre de Rodney King plane aussi sur l’affaire. En 1991, après une course-poursuite en voiture, cet homme avait été tabassé par des officiers de Los Angeles, en Californie, tandis qu’un témoin filmait la scène. Des émeutes terribles avaient suivi.

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La crainte d’une explosion de colère populaire explique sans doute la célérité des autorités locales ; bien que remis en liberté, les cinq policiers noirs en cause ont été licenciés et inculpés notamment de meurtre, d’agression avec circonstances aggravantes et de kidnapping.

La réforme de la police toujours bloquée au niveau national

La mort de Tyre Nichols pose une nouvelle fois la question des violences policières aux États-Unis, particulièrement contre les personnes de couleur noire. Et ce, même si les 5 agents inculpés étaient eux-mêmes Afro-Américains. «La race des agents n’enlève rien aux disparités dans la façon dont la police traite les automobilistes noirs», a ainsi déclaré Ben Crump, l’avocat de la famille Nichols, qui avait déjà défendu celle de  George Floyd.

Comme le note Le Monde, il existe près de 18.000 forces de police différentes aux Etats-Unis. L’absence de cohérence nationale dans les modes d’intervention, ou encore dans l’établissement des statistiques, est un problème toujours d’actualité. Le Washington Post a mis en place un décompte du nombre de victimes de violences policières depuis 2015. Au cours des douze dernies mois, 1.110 personnes ont été abattues par la police.

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Depuis la mort de George Floyd, des dizaines d’Etats et de nombreuses villes ont revu les techniques d’interpellation (interdisant les étranglements), et ont notamment imposé les caméras embarquées. Mais au niveau fédéral, le projet législatif dit George Floyd Justice in Policing Act, qui allait dans le même sens, reste bloqué au Congrès. Ce texte prévoyait la création d’un registre national des plaintes pour mauvais traitements de la part des forces de sécurité, ainsi que la modification de la protection juridique des policiers.

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La doctrine de l’immunité qualifiée protège ces derniers de la plupart des demandes de réparation en justice, en stipulant que les plaignants doivent non seulement démontrer que les officiers ont violé un droit constitutionnel, mais aussi qu’une jurisprudence existe sur ce point. En octobre 2021, dans deux affaires de violences, la Cour suprême avait ainsi tranché en faveur des policiers mis en cause, en suivant cette doctrine d’immunité.

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