« J’ai été dans la même prison qu’Olivier Vandecasteele détenu en Iran »

Un ancien otage du régime iranien raconte l’épreuve qu’il a traversée: son quotidien en cellule, les interrogatoires subis et la manière dont il a été libéré.

Olivier Vandecasteele détenu dans cette prison en Iran
La tristement célèbre prison d’Evin, à Téhéran. © BelgaImage

Olivier Vandecasteele n’est pas le premier Belge à avoir été détenu en Iran. Il y a une dizaine d’années, Vincent, un Bruxellois d’une trentaine d’années, a été arrêté avec d’autres Occidentaux par les autorités ira­niennes. Grand voyageur, il visitait le pays en ayant pris soin de respecter les conseils de prudence dictés par les Affaires étrangères. Il était, bien évidemment, muni d’un visa et en règle de passeport. Sans aucune raison - pas même une photo prise imprudemment -, il a été emmené en détention. Il est resté plusieurs mois enfermé dans une cellule de la prison d’Evin à Téhéran. Le même établissement pénitentiaire que celui qu’a connu Olivier Vandecasteele de février à octobre 2022. Plus précisément dans la section 209, une section non officielle, véritable prison dans la prison.

Avez-vous déjà raconté votre détention?
VINCENT - Peu. On a fait quelques courtes interviews lorsqu’on est rentrés d’Iran. Mais on a toujours eu la volonté d’être discrets vis-à-vis de la presse par rapport à notre expérience. On avait peur que cela devienne du sensationnalisme.

Pourquoi avez-vous décidé de témoigner extensivement aujourd’hui?
Parce qu’il me semblait important de donner un éclairage informé et réel sur ce que vit Olivier ­Vandecasteele. Cela pourrait donner un juste relief à la décision que le Conseil constitutionnel doit ­rendre pour débloquer l’échange entre Olivier et M. Assadi, le diplomate iranien enfermé en Belgique.

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Pouvez-vous décrire la prison d’Evin?
Dans la prison d’Evin, il y a différentes sections, dont certaines plus dures que d’autres. La section dans laquelle nous étions - avec tous les autres Occidentaux -, c’était la section politique dite “209”. Nous nous y sommes retrouvés à la suite de conséquences tout à fait involontaires mais qui attestent du fait que l’Iran est un pays un peu paranoïaque. Derrière le plus infime prétexte à démontrer qu’il y a des ennemis extérieurs, sa police arrête. S’ils ont un doute, ils mettent en prison. Et en Iran, de manière générale, aller en prison est très répandu. Pas seulement pour les étrangers, mais aussi pour les Iraniens. Ils en­- ferment à tour de bras, puis ils voient ensuite s’il y a une raison, s’ils peuvent bâtir un dossier. On était là, on faisait du tourisme comme on en fait en Belgique, sans faire quoi que ce soit d’interdit. Ils ont cru qu’on organisait une “conspiration” contre eux et donc, ils n’ont pas pris de risque: ils nous ont arrêtés.

La section 209, elle se présente comment?
Ce sont des cellules de tailles différentes. La mienne mesurait deux mètres sur quatre, mais il y en a des plus petites. La cellule est totalement vide si ce n’est un petit tapis et des couvertures dans un coin. Un soupirail grillagé en haut d’un mur. Il n’y a pas de sanitaire. Il faut demander au garde pour pouvoir aller aux toilettes. À aucun moment, on ne croise d’autres prisonniers. Dès qu’on sort de la cellule, on a un masque sur les yeux et on a l’interdiction totale d’adresser la parole à qui que ce soit.

prison en iran où est détenu Olivier Vandecasteele

Le but de la section 209, c’est de briser les détenus sur le plan psychologique.” © BelgaImage

Vous étiez seul en cellule?
J’y ai été d’abord longtemps seul, puis avec des ­Iraniens. Des prisonniers “politiques” iraniens. Des journalistes, des militants politiques d’opposition… Mais j’ai eu aussi comme compagnons de cellule des Iraniens qui avaient été arrêtés parce qu’ils transportaient dans le coffre de leur voiture de la peinture verte. Cette couleur était utilisée à l’époque pour écrire des slogans antigouvernementaux… mais pas que. C’est tout de même la couleur de l’islam… C’était des Iraniens éduqués - d’ailleurs, on appelle parfois la prison d’Evin “l’université d’Evin” à cause du nombre de diplômés qu’on y trouve - et je parlais anglais avec certains. J’ai appris énormément sur leur pays, l’islam, le farsi.

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Vous portiez quels vêtements?
Pas mes effets personnels. J’avais un uniforme: une espèce de pyjama bleu… Les repas n’étaient pas copieux. C’était souvent la même chose. La plupart du temps, du riz, de la salade de pommes de terre, avec de temps en temps du poisson, peu de viande. Des vrais fruits, je n’en ai pas eu beaucoup.

Ils cherchent quelque chose, vous en venez à chercher ce qu’ils cherchent. Jusqu’à douter de vous.

Comment se passaient vos rapports avec les geôliers, et les interrogatoires?
Les interrogatoires n’étaient pas tendres. Mais je n’ai pas été torturé. C’était des pièces capitonnées. On m’asseyait sur une chaise la tête face au mur. Souvent avec le masque sur les yeux. Avec des gens qui sont derrière vous, qui vous menacent, qui vous hurlent dessus, qui essaient de vous “casser”. Un jour, j’ai été interrogé 16 heures d’affilée. Le but de la section 209, c’est de briser psychologiquement les détenus. C’est la raison pour laquelle vous dormez à même le sol, avec de la lumière en permanence, on n’a aucun contact avec l’extérieur, on n’a aucune information sur le motif de l’arrestation, la façon dont ça va se passer, la durée de l’incarcération… c’est l’incertitude totale. Ils cherchent quelque chose, vous en venez à chercher ce qu’ils cherchent. J’en étais venu à douter: avais-je fait quelque chose de répréhensible?

Vous vous raccrochiez à quelque chose?
Quand vous êtes seul comme ça, sans livre, sans papier, sans rien, ce qui est compliqué, c’est faire passer le temps. Ça fait partie de leur stratégie de
destruction psychologique. Par exemple, pendant 15 jours, je n’ai vu personne à part le garde lorsque j’allais aux toilettes. Donc, il faut arriver à se construire un mental. En adoptant une routine: une gymnastique le matin, faire des promenades en ­cercle dans la cellule (je n’avais pas le droit de sortir dans la cour de l’établissement). Rêver, s’échapper de la prison. J’ai même, un moment, utilisé les murs comme autant de supports pour mes pensées. En écrivant dessus avec l’index et une “encre invisible”. Même si rien ne s’affichait, j’avais, au moins, une activité. Ainsi j’avais organisé les murs de ma cellule. J’avais un mur dédié à mes amis, un autre à mon passé, un autre à mes projets, un autre à ma famille… L’important, c’est de continuer à faire quelque chose. Et de pouvoir lâcher prise pour parvenir à coexister avec l’incertitude…

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Est-ce que vous disposiez d’un avocat ou d’un support fourni par l’ambassade?
Je n’ai jamais pu contacter l’ambassade. J’ai vu l’ambassadeur après deux mois. Sous la surveillance de mes geôliers et avec l’obligation de converser en anglais. L’ambassade, les Affaires étrangères ont fait tout leur possible, j’en suis certain, mais je ne savais rien. La situation a pu se débloquer grâce à leur travail, mais celui-ci m’a été caché par les geôliers dont le but était de me faire avouer n’importe quoi. Si j’ai pu voir l’ambassadeur, c’est parce que les Iraniens l’avaient décidé. C’est eux qui décident, quelle que soit la pression qu’on puisse leur infliger.

Vous savez pourquoi ou contre quoi vous avez été libéré?
Parce qu’ils n’ont pas réussi à bâtir un dossier d’accusation - ils n’avaient aucune charge contre nous - et qu’ils n’avaient pas besoin de nous comme monnaie d’échange. Ils n’avaient personne à faire libérer d’une prison belge. Ne sachant pas quoi faire avec nous, ils nous ont laissés partir…

Que pensez-vous de la situation d’Olivier Vandecasteele?
Pour voyager en Iran, il convient d’être informé des réalités du pays. Olivier savait ce qu’il faisait car il a vécu en Iran pendant des années. Il y est entré en février 2022, non pas illégalement mais disposant d’un visa. Le taxer d’“imprudence” me semble déplacé. Ensuite, on voit bien dans le narratif produit par les autorités iraniennes - arrestation sans motif, puis condamnation à 28 ans, puis à 40 et ensuite 74 coups de fouet - qu’il y a une volonté de faire monter les enchères. La seule issue semble donc pour lui que la Cour constitutionnelle ne bloque plus la loi de transfèrement votée par le Parlement belge et qui permettra l’échange avec Assadi…

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