Interpellée par le sort des enfants ukrainiens en Russie, l'ONU a rappelé sa position sur le sujet, alors que Kiev donne des nouvelles alarmantes.
Ce mardi 14 juin, l’ONU a tapé sur point sur la table. Non, les Russes ne devraient pas adopter des enfants ukrainiens, a affirmé lors d’une conférence de presse Afshan Khan, directrice régionale de l’Unicef (Fonds des Nations unies pour l’enfance) pour l’Europe et l’Asie centrale. Pour appuyer son propos, elle a déployé ses arguments, rappelant au passage des règles de droit en la matière. Mais au-delà de cela, cette prise de parole intervient alors que l’inquiétude grandit sur le sort des jeunes disparus pendant la guerre.
Des enfants qui "ne peuvent être considérés comme orphelins"
Dans sa déclaration, Afshan Khan déclare que "nous insistons toujours pour qu’aucun enfant ne soit proposé à l’adoption lors d’un conflit" car l’ONU privilégie "le retour des enfants dans leurs familles". "Nous réaffirmons, notamment à la Fédération de Russie, que l’adoption ne devrait jamais avoir lieu pendant ou immédiatement après une situation d’urgence" humanitaire car ces enfants "ne peuvent être considérés comme orphelins". Pour qu’il y ait adoption de l’un d’entre eux, il faudrait que cela soit "fondé sur son intérêt supérieur et tout déplacement doit être volontaire".
L’article 21 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant se veut d’ailleurs encore plus clair sur le sujet. Il y est notamment dit que l’adoption doit être autorisée par les autorités compétentes en la matière (alors que dans le cas présent, l’Ukraine ne cesse de s’inquiéter à propos de ses mineurs présents en Russie), et que cela ne peut se faire que si les parents ou personnes responsables donnent leur consentement en connaissance de cause. En outre, il faut que l’adoption à l’étranger soit "envisagée comme un autre moyen d’assurer les soins nécessaires à l’enfant, si celui-ci ne peut, dans son pays d’origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé". Or l’Ukraine n’est qu’en partie sous le feu de l’armée russe.
234.000 enfants ukrainiens transférés en Russie?
Kiev se montre d’autant plus préoccupée sur le sort de ses enfants qu’elle brandit des chiffres frappants sur le sujet. Début juin, le représentant permanent de l’Ukraine auprès de l’ONU, Sergiy Kyslytsya, affirmait que plus de 234.000 enfants avaient été transférés en Russie, alors que l’enlèvement de mineurs est une violation de la Convention des Nations Unies sur le génocide ainsi que celle relative aux droits de l’enfant. L’agence de presse Reuters a affirmé que le porte-parole du Kremlin s’est refusé de faire le moindre commentaire sur les chiffres sur le nombre d’Ukrainiens sur son sol.
Pour ce qui est de la position de l’ONU, Afshan Khan a précisé ce mardi que concernant les enfants "qui ont été envoyés en Russie, nous travaillons étroitement avec des médiateurs et des réseaux pour voir comment nous pouvons documenter au mieux ces cas". Elle a ajouté ne pas pouvoir donner de chiffres pouvant ou pas confirmer les déclarations ukrainiennes. L’Unicef n’a d’ailleurs pas pu avoir accès aux enfants présents en Russie. "C’est quelque chose qui doit se faire en accord avec le gouvernement de la Fédération de Russie, à sa demande".
Des camps d’été pour enfants ukrainiens en Russie?
Il est donc impossible d’en savoir plus sur le sujet que ce que Kiev affirme. Déjà le 19 mars dernier, le ministère ukrainien des Affaires étrangères affirmaient que la Russie avait enlevé 2.389 enfants dans les régions de Lougansk et Donetsk. Depuis, le nombre total n’a cessé de croître. Kiev estime à 1,2 million d’Ukrainiens expulsés de chez eux contre leur volonté, sans que cette déclaration puisse être vérifiée par d’autres sources.
Reste qu’en parallèle, d’autres développements plus subtils ont eu lieu en Russie. La médiatrice russe des droits de l’enfant, Maria Lvova-Belova, aurait par exemple rencontré Vladimir Poutine pour que le Parlement simplifie les procédures d’adoption d’enfants. Un mois plus tard, elle affirmait que 1.560 enfants ukrainiens pourraient être adoptés par des familles russes, ceux-ci étant arrivés en Russie sans leurs parents. Des camps d’été spéciaux pour ces mineurs "des territoires libérés" avec des lacunes en langue russe pourraient être mis sur pied, selon la sénatrice russe Lilia Gumerova.
Des similitudes historiques
Pour plusieurs médias, les inquiétudes de Kiev, si elles sont confirmées, font penser à des précédents historiques similaires. Le Washington Post cite par exemple le cas des enfants volés en Espagne et Argentine. Dans le premier cas, le régime de Franco avait retiré des milliers d’enfants, voire des dizaines de milliers selon les estimations, à des opposants politiques afin de les placer dans des centres chargés de leur inculquer l’idéologie de l’État. "Un objectif qui rappelle l’ambition déclarée de Poutine de ‘dénazifier’ l’Ukraine", estime le quotidien américain. "Dans sa guerre contre l’Ukraine, la Russie semble utiliser l’enlèvement d’enfants ukrainiens pour exercer une pression supplémentaire sur la population ukrainienne et le gouvernement afin qu’ils se rendent".
Du côté du Moscow Times, journal russe indépendant en exil à Amsterdam depuis le début de la guerre, "l’attaque de la Russie contre l’identité ukrainienne fait écho à la persécution soviétique des Allemands". Le quotidien rappelle ainsi comment le régime de Staline avait déporté en 1941 des Russes d’ethnie allemande, présents depuis le XVIIIe sur le territoire national, dans des parties reculées de l’empire avec des conditions de vie déplorables. Même après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ces Germano-russes ont continué à être discriminés, notamment en vue de détruire leur culture. L’étau sur eux n’a commencé à se relâcher que dans les années 1970-1980.
The Moscow Times estime que les Ukrainiens subissent aujourd’hui un sort similaire, à la seule exception que Kiev n’envahit pas la Russie comme l’avait fait l’Allemagne. Pour contourner cette différence, "le président russe a cherché à nier l’existence de l’Ukraine en tant qu’État national, arguant que sa création était un hasard de l’histoire et une erreur des premiers bolcheviks après la révolution russe", rappelle Joshua R. Kroeker, chargé de recherche à l’université de Heidelberg. De plus, "des rapports émergent selon lesquels des Ukrainiens vivant en Russie sont arrêtés dans les rues et forcés de déverrouiller et de montrer à la police leurs smartphones. Être Ukrainien en Russie s’apparente à être l’ennemi. Alors que l’Ukraine se bat pour son droit d’exister, le gouvernement russe travaille sans relâche pour éliminer la notion d’Ukraine. C’est en effet l’un des aspects les plus terrifiants de la guerre de Poutine contre l’Ukraine".