Comment les chasseurs d'héritiers mènent-ils leurs enquêtes ?

Chaque année des dizaines de successions en déshérence échoient à l’État belge, faute d’héritier. Pour récupérer ces trésors, les généalogistes successoraux partent à leur recherche.

héritage
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C'est un métier qui évoque l’aventure. Et la quête. Comme celle d’un chercheur d’épaves ou d’un chasseur de trésor. Le résultat est incertain et il peut être décevant. Mais parfois, au contraire, il luit de l’éclat des fortunes. Jusqu’à la fin du 19e siècle, les généalogistes n’étaient pas utiles pour retrouver les héritiers. Tout le monde vivait dans le même village. L’accroissement des villes, le développement de l’union libre, la multiplication des divorces, l’augmentation du nombre d’enfants nés hors mariage, l’allongement de l’espérance de vie, l’amplification de la mobilité géographique ont rendu les successions plus complexes. D’autant que, parfois, les registres de population partent en fumée. En 1871, à Paris, vers la fin de la Commune, un incendie dévaste les 8 millions d’actes des registres d’état civil municipaux. Amédée Coutot, un avocat, tente, alors, de sauver ce qui peut l’être. Cette passion l’amènera à ouvrir le premier cabinet de généalogistes successoraux de France en 1894. Près de 140 ans plus tard Coutot-Roehrig possède 46 succursales situées dans 14 pays différents. Nous sommes aujourd’hui dans l’une d’entre elles.

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On agit de deux manières différentes. On part à la recherche d’héritiers à la suite d’un contrat. Et on essaie spontanément de trouver les successeurs d’héritage en déshérence”, explique Hein De Win, généalogiste et juriste notarial chez Coutot-Roehrig - Decuyper à Waterloo. “On est mandaté par un notaire, un avocat ou par quelqu’un qui a un intérêt à retrouver des héritiers. Ce peut être une commune, par exemple, qui veut acquérir un terrain mais ne parvient pas à déterminer qui le possède parce que son propriétaire est mort depuis des années. Dans ces cas - notaire, commune, avocat ou autre - on facture forfaitairement en fonction du pays et du degré de parenté. Outre les 14 pays dans lesquels nous sommes présents, nous avons un département international. Nous pouvons donc effectuer des recherches partout dans le monde.” Parfois, des détectives privés sont embauchés dans des pays où il est difficile ou délicat de travailler comme certains pays d’Afrique instables politiquement. Comment démarre-t-on, pratiquement une recherche d’héritier? Comment procéder?

Un butin potentiel dans le Moniteur belge

On ouvre un dossier avec le plus de renseignements possibles relatifs à l’héritage. Plus on a d’informations, mieux c’est. Mais, il faut au moins l’acte de décès du défunt dont on recherche les héritiers. L’acte de décès nous donne le lieu et la date de naissance. Avec cela, on peut obtenir, en contactant la commune, différents actes d’État civil. Acte de naissance qui nous donne les parents. Acte de mariage. Acte de décès. Avec des conditions d’accès légal: il est nécessaire de présenter un mandat du notaire ou d’un tribunal pour obtenir des documents récents.” Le travail de recherche de ces enquêteurs généalogistes - la plupart sont juristes ou historiens - est encadré par la loi. Notamment celles ayant trait à la protection de la vie privée. La plupart des clients du cabinet de généalogistes successoraux sont des avocats ou des notaires en charge d’une succession. Parfois, c’est un syndic d’immeuble qui fait la démarche par rapport à, par exemple, un appartement vide depuis de nombreuses années dont on ne paie plus les charges. Ou encore un directeur de maison de repos qui veut s’enquérir de l’existence d’héritier d’un de ses pensionnaires décédés. Il y a, également, des particuliers qui viennent pour retrouver la parentèle dispersée d’un de leur proche. Ceci, c’est pour la partie “contractuelle” des activités du Cabinet.

chasseur d'héritage

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La deuxième partie de nos activités a trait à la recherche d’héritiers potentiels de successions en déshérence. J’avais remarqué précédemment - dans la première partie de nos activités contractuelles - que les successions sans héritier étaient rarissimes. Les successions vacantes, c’est plus ou moins 1 % des dossiers. Donc, il y a une douzaine d’années, j’ai commencé à systématiquement enquêter sur les avis de successions en déshérence qui paraissent au Moniteur belge. Là on n’est mandaté par personne, on engage des recherches sans être sûr du résultat”. Il s’agit ainsi d’une véritable “chasse” aux héritiers qui, si elle est fructueuse, permettra à la succession d’être distribuée. Si les généalogistes successoraux rentrent bredouille de leur chasse, l’héritage atterrira dans l’escarcelle de l’État.

La publication dans le Moniteur belge nous donne les informations suffisantes pour entreprendre les recherches. Dès qu’on trouve des héritiers, on les contacte pour leur proposer une convention. Qui consiste à réguler le fait qu’on débloquera l’héritage contre un pourcentage de celui-ci. Il dépend de la proximité de parenté des héritiers. Le taux pour le degré le plus éloigné est de 39 %.” Ce taux peut paraître important. Mais, historiquement, il correspond à la part qui revient à un “inventeur”- c’est le terme juridique - de trésor. Quelqu’un qui trouve un trésor à droit à 50 %. “Nous, on a réduit ce taux. Par ailleurs, le fait que ce soit un pourcentage recouvre le fait que comme on ne connaît pas l’importance de la succession, cela évite des situations ubuesques. Faire payer à un héritier, par exemple, 2.000 euros pour nos recherches n’a aucun sens si la valeur de l’héritage se révèle être inférieure. De plus, si les dettes laissées sont plus importantes que le patrimoine laissé, c’est notre société qui prendra la différence en charge de façon que cela ne coûte pas d’argent aux héritiers.

Les généalogistes successoraux ne sont pas des philanthropes. Si certaines recherches liées aux héritages en déshérence leur coûtent de l’argent, d’autres compensent. Cette activité charrie également son lot de belles histoires. Ainsi, certains peuvent se découvrir un “oncle d’Amérique” dont ils héritent inopinément mais également, dans le processus, des cousins, un frère, une sœur dont ils ignoraient jusqu’alors l’existence. Un héritage d’un autre type qui peut être, lui aussi, un trésor…

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