

Cela ne vous a sans doute pas échappé. Depuis quelques années maintenant, les gardiens des musées ne sont plus tranquilles. Et pour cause, ils ne sont pas à l’abri de voir débarquer deux ou trois activistes écologistes, armés de pot de peinture ou de bols de soupe, prêts à réinterpréter Les Tournesols de Van Gogh pour alerter sur l’état futur des champs de tournesols.
Ce genre d’actions reçoivent assez peu d’encouragements et suscitent majoritairement l’indignation, aussi bien du monde culturel que politique. Pourtant, le but de ces organisations comme "Just Stop Oil", "Letzte Generation" ou "Extinction Rebellion" est atteint : faire parler de leur action et in fine alerter sur l’avancement de la crise climatique. La dernière action coup de poing ne date pas plus tard que ce dimanche, à Rome, où les militants de la Dernière Génération ont noirci l'eau de la fontaine de Trevi, affirmant que la mort de quatorze personnes dans les inondations qui ont dévasté le nord-est de l'Italie constituaient un "avertissement" face au changement climatique.
Les Tournesols de Van Gogh aspergés de soupe en octobre 2022. © BelgaImage
Ces actions radicales choquent, et les critiques ont souvent tendance à traiter ce nouveau mode d’expression comme spécifique à la lutte ou à la génération.
Pourtant, déjà en 1914 Mary Richardson, suffragette britannique, avait tailladé le tableau de Velazquez « La Toilette de Vénus » pour obtenir le droit de vote et l’égalité des sexes. Toujours parmi les suffragettes, Emmeline Pankhurst, militante et activiste à l’origine du mouvement Women's Social and Political Union (WSPU) avait pour devise « Deeds, not words » (Des actions, pas des mots). Loin d’avoir choisi la violence comme première option, les suffragettes s’étaient résolues à des actions fortes comme s’enchaîner aux portails des résidences des membres du gouvernement ou écrire des extraits de la Charte des Droits sur les murs du Parlement britannique. À leur époque, ces militantes provoquaient des réactions épidermiques aussi bien du côté des conservateurs que parmi leur propre mouvement qui les jugeaient trop radicales.
Plus récemment, pendant les années 80 et 90, un autre groupe militant a choisi d’alerter le plus grand nombre avec des actions inoffensives mais radicales. Le 1er décembre 1993, les Parisiens et les Parisiennes en vadrouille trouvent sur leurs chemins une obélisque de la Place de la Concorde pour le moins radicalement différente. Act-up, association engagée dans la lutte contre le SIDA, avait recouvert ce monument emblématique d’un préservatif géant rose. Le message ? Cleews Vellay, alors président d’Act-Up Paris le décrivait : "SIDA : Que cesse l’hécatombe".
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Lors d’autres actions, la même association jetait de la peinture rouge sur la façade de Matignon ou, une vingtaine d’années plus tard, sur la façade de fondation Jérôme-Lejeune où travaillait la présidente de la Manif pour Tous. Act Up, aussi, a connu à son époque le rejet de ses méthodes par la classe politique (de droite comme de gauche )et même par certains membres de la communauté de lutte contre le SIDA.
Les suffragettes tailladaient des tableaux, s’enchaînaient à des portails, interrompaient des débats. Les activistes écologistes jettent de la purée sur un Monet, se collent les mains aux tableaux, interrompent la cérémonie des César.
Act Up recouvrait un monument de latex, jetait du faux sang sur les bureaux d’entreprises pharmaceutiques ou devant Matignon. Un activiste recouvre un monument (La Mona Lisa de Leonard de Vinci) de gâteau, et jette de la peinture devant les sièges des grands groupes pétroliers ou, plus récemment, devant la fondation Louis Vuitton.
De tous temps, ces manières alternatives de se battre sont arrivées car la manifestation pacifique et les pétitions n’étaient pas entendues. Qu’on soit d’accord ou pas avec ces méthodes relativement innovantes, dans le sens où elles prennent aujourd’hui place en partie dans les musées, elles obtiennent exactement l’effet recherché. Au bout du compte, les suffragettes ont obtenu le droit de vote en 1918 et Act Up a largement contribué à ce que en 2023, le VIH ne soit plus une condamnation à mort. Quelque part dans toutes ces actions coups de poing, les sujets ont été abordés et les mentalités ont évoluées. En sera-t-il autant pour le changement climatique ?