

Une île énergétique au milieu de la mer du Nord, à 45 kilomètres des côtes. L’ambition belge est inédite sur la scène internationale. Baptisée “Princesse Élisabeth”, cette espèce de dune entourée de caissons en béton devrait faire 5 hectares à la surface et 25 dans les fonds marins. Son objectif? Permettre le raccordement des éoliennes offshore au réseau belge, mais aussi accueillir l’électricité venue d’ailleurs, notamment du Royaume-Uni et du Danemark. Le projet représente un “pilier de la transition énergétique en Belgique”, selon les mots du CEO du gestionnaire du réseau de transport électrique (Elia), Chris Peeters. Développer l’éolien est, il est vrai, nécessaire. D’une part, le renouvelable accompagne la transition écologique. D’autre part, il permet de faire face à l’électrification croissante de la mobilité, du chauffage, de l’industrie et de la société entière.
La construction doit débuter en janvier prochain et se terminer avant l’été 2026. Grâce à l’île et aux projets annexes, le fédéral entend créer 6 à 8 GW d’énergie offshore en 2030, contre 2,2 aujourd’hui. Les gouvernements régionaux, compétents pour le pan terrestre, sont dans le même état d’esprit. La Wallonie a l’intention d’atteindre 6,2 GW grâce à cette source de production à la fin de la décennie, contre 2,9 en 2023. Voilà pour la belle théorie. En pratique, c’est autre chose…
Aucun expert ne dramatise la situation, mais ils sont nombreux à pointer des inquiétudes qui pourraient mettre en péril notre capacité de production et donc notre sécurité d’approvisionnement. La première concerne la main-d’œuvre disponible pour mener à bien les travaux, tant sur terre que sur mer. Certains craignent ce qui est déjà très concret en Allemagne. Selon la chancellerie, il manque 190.000 travailleurs dans le secteur, dont des ingénieurs. Il n’y a pas de raison que la Belgique soit mieux lotie… Pour couronner le tout: divers matériaux sont en pénurie. Par conséquent, des chantiers pourraient être postposés.
Du côté de l’offshore, les retards sont plus que des craintes. L’appel d’offres pour la construction des futures éoliennes dans la zone Princesse Élisabeth a été postposé d’une année. Les éoliennes concernées ne produiront donc pas avant 2028 ou 2029, au plus tôt, au lieu de 2027. Idem pour le second appel d’offres prévu en 2025, qui ne se déroulera pas avant 2026. Cela serait, entre autres, lié à un délai supplémentaire au niveau des études préliminaires menées par la DG Énergie et le SPF Économie et de divers aménagements préalables pour le transport d’électricité.
Les couacs ne s’arrêtent pas là. L’île énergétique danoise, sœur de la Belge, pourrait n’être disponible qu’en 2033 au lieu de 2030. La Belgique n’y peut rien… Il n’empêche que la liaison sous-marine entre les deux pays devrait être retardée de trois ans. Du côté d’Elia, on rassure… “Le calendrier de l’île belge n’est pas remis en question. Sa structure sera bien terminée en 2026. Les infrastructures capables de rapatrier l’électricité par les nouvelles éoliennes le seront pour 2028”, commente le porte-parole Jean Fassiaux. Sauf qu’il ne suffit pas d’avoir l’île à disposition pour en profiter. Or les autres projets risquent d’être, ou sont déjà, on l’a dit, en retard.
La Belgique n’a pourtant pas le luxe de la patience, malgré la prolongation de deux réacteurs nucléaires pour dix ans. “Les projets offshore ne sont pas directement liés à la sortie du nucléaire, car le timing n’est pas le même. Mais en effet, à long terme, tous les projets se recoupent”, confirme Jean Fassiaux.
L’éolien offshore et onshore devrait tripler sa production d’électricité d’ici 2030.
Outre l’offshore, Fawaz Al Bitar, directeur général de la fédération d’entreprises tournées vers la transition énergétique Edora, constate deux problématiques sur terre. D’abord, celle de l’octroi des permis pour des éoliennes. “Les enjeux locaux passent souvent avant les enjeux globaux”, résume-t-il. En gros, plusieurs bourgmestres ne veulent pas des turbines à vent dans leur commune et font tout pour casser les permis. “Pourtant, l’Union européenne a classé l’éolien parmi les intérêts publics supérieurs”, s’étonne-t-il.
Ensuite, Fawaz Al Bitar constate une insécurité juridique. “Lorsqu’un permis est enfin octroyé, il est souvent attaqué par des citoyens ou des collectifs en recours devant le Conseil d’État pour vices de forme. Parfois, les arguments ne sont pas pertinents. Néanmoins, il y a un embouteillage au niveau du Conseil d’État et les dossiers bloquent.” Il arrive que lorsque le Conseil d’État valide enfin un projet, le matériel ne soit pas le plus moderne, et donc le plus performant.
À terme, les difficultés au niveau de l’offshore et des éoliennes terrestres pourraient vraiment causer du tort. “La Belgique a besoin d’un bon mix énergétique, d’un bouquet complémentaire, comprenant de l’éolien et du photovoltaïque. Généralement, quand il y a beaucoup de soleil, il y a peu de vent et inversement.” Parfois, il n’y a aucun des deux. C’est pourquoi certains experts et élus prônent des sources pilotables, comme le nucléaire ou les centrales au gaz. “On peut aussi avoir une stratégie en matière de stockage, grâce à des batteries, ou de gestion de la demande”, propose Fawaz Al Bitar qui conclut: “C’est le problème de la Belgique: on manque de vision concrète à long terme”.
Le Plan de développement fédéral 2024-2034 comprend de l’éolien offshore et l’installation de câbles électriques pour le raccordement au réseau terrestre. Le gestionnaire de réseau prévoit en outre de renforcer sa capacité de transport d’électricité via les projets “Ventilus” en Flandre et “Boucle du Hainaut” en Wallonie. Une partie de la note - 1,35 milliard - reviendrait aux ménages et entreprises, via les factures.
"Ce montant résulte notamment de l’électrification en cours de notre société et de la volonté de rendre notre mix énergétique plus indépendant des énergies fossiles, plus résilient et plus durable. Cela devrait à terme mieux protéger les ménages et les entreprises des effets des événements internationaux comme la guerre en Ukraine. Selon le gestionnaire de réseau, le coût plus élevé des services et des matériaux, ainsi que l’inflation, sont aussi à l’origine de cette augmentation”, explique Jean Fassiaux, porte-parole d’Elia.