Enseignement : faut-il évaluer et sanctionner les professeurs ?

La possibilité de licencier les enseignants qui ne répondraient pas aux attentes est un des sujets de désaccord majeur entre les syndicats et la ministre.

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Ce jeudi 27 avril, les syndicats francophones manifesteront à nouveau leur mécontentement dans les rues de Bruxelles. Le point qui fâche: le volet de l’évaluation des enseignants. Plus précisément le cadre qui permettrait au pouvoir organisateur ou à la direction de licencier les professeurs qui ne répondraient pas aux attentes.

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Dans le dernier épisode, quatre des cinq formations ont quitté la table des négociations du Comité de concertation, l’une après l’autre. Seule reste la CSC, qui hésite encore. Le syndicat chrétien n’est pas plus enthousiaste que ses confrères et manifestera d’ailleurs aussi jeudi. Mais une fois hors des discussions, il ne lui sera plus possible d’avoir une quelconque influence sur cette réforme. Avant de prendre une décision potentiellement radicale, l’avis des membres a été demandé.

Ce n’est pas la première fois que le sujet de la sanction des professeurs crée des tensions. Des grèves contre ce même système avaient déjà eu lieu il y a un an environ. Depuis, le texte a été modifié à plusieurs reprises, mais ne semble toujours pas convenir à toutes les parties prenantes. Début février, face à un nouvel avant-projet jugé “inacceptable”, les sections Enseignement du SLFP et de la CGSP avaient déjà menacé de quitter les négociations si des modifications n’étaient pas effectuées. Voilà qui est fait. En annonçant ce départ, elles ont déclaré “se sentir utilisées” et ne pas adhérer aux mesures qui leur sont soumises depuis 2017, dénonçant “des dérives progressives vers une approche managériale de la réforme du pilotage des écoles”.

Malgré ces désaccords, la ministre de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Caroline Désir (PS), ne veut pas renoncer au projet, mais propose de reporter la partie “Sanction” de la réforme pour avancer sur les autres.

Oui : “Appliquer le principe de responsabilité”

Le Secrétariat général de l’enseignement catholique (Segec) fait partie des soutiens du Pacte pour un enseignement d’excellence. Pour son directeur Étienne Michel, la possibilité d’évaluer les professeurs et d’éventuellement licencier ceux qui poseraient problème est “un élément fondamental de ce pacte”, dont le but est de favoriser “l’autonomie, la coopération et la responsabilité”. “Ces principes sont déclinés pour les établissements et au niveau individuel. Les écoles doivent présenter des plans de pilotage négociés avec les autorités publiques, qui deviennent des contrats avec objectifs, réévalués tous les trois ans, détaille Étienne Michel. Le pouvoir organisateur peut donc être sanctionné. Et ces principes de responsabilité et d’autonomie doivent aussi être appliqués au personnel.”

Selon le directeur du Segec, ce modèle d’évaluation a fait ses preuves et les issues sont plus souvent positives que négatives. “Les entretiens de fonctionnement sont une pratique éprouvée dans tous les secteurs d’activité. C’est souvent l’occasion de faire reconnaître son travail par la hiérarchie, qui n’est pas toujours consciente de ce que chacun fait en détail.” Les licenciements ne seraient alors que très rares. “Quand la direction de l’école tombera sur un cas de mauvaise volonté manifeste, de carences répétées et de refus de solutions, des dispositions pourront être prises.”

Les syndicats ne sont pas séduits. “Ces propos tiennent d’un corporatisme étroit, répond Étienne Michel. Il faut se rendre compte qu’il s’agit d’une pratique généralisée dans le non-marchand, dans l’administration par exemple. Certains espèrent toujours qu’on peut régir l’enseignement avec des règles qui ne donnent pas des résultats satisfaisants ailleurs. Je ne vois vraiment pas la moindre raison pour que l’enseignement, qui est financé par les pouvoirs publics, échappe à cette obligation de rendre des comptes.” Le directeur du Segec voit surtout dans ce rejet du décret une peur de l’inconnue, de la nouveauté. “Le changement est nécessaire. Tout le monde en convient. Ce pacte a été longuement étudié et négocié. Je pense que maintenant, il faut avancer, se retrouver face à ces décisions. Et si le mécanisme pose problème à l’un ou l’autre endroit, on pourra plaider pour l’adapter.”

Non : “Il y aura des inégalités”

Les opposants au modèle “Évaluation/Sanction”, comme l’ASBL Appel pour une école démocratique (Aped), ne comprennent pas son intérêt. “Quand un enseignant dysfonctionne, il est normal qu’il puisse être mis de côté. Des profs nommés qui ne font pas bien leur boulot, ça existe, reconnaît sa présidente Cécile Gorré, également enseignante de français depuis 25 ans. Mais cette approche disciplinaire existe déjà avec l’inspection. Mettre quelqu’un à la porte est possible avec ce système. De plus, les inspecteurs nous amènent à réfléchir sur nos pratiques. Ici, dans l’avant-projet de décret, la sanction peut tomber très vite. Deux évaluations négatives peuvent mener au licenciement.”

Ce qui dérange la présidente, c’est un manque de détails et de précisions. “Il y a un flou terrible autour de ces évaluations. Qui va nous évaluer? La direction? Les inspecteurs, eux, sont spécialisés dans leur matière. Un directeur a peut-être été prof de math et ne va pas forcément bien évaluer un cours de français. La direction peut aussi déléguer les entretiens à certains profs. Et là, on imagine vite les dérives, l’ambiance…” Il sera donc impératif, selon Cécile Gorré, que les évaluateurs soient correctement formés. Mais plus généralement, pour elle, cette partie du pacte tient d’une vision managériale qui ne convient pas à l’enseignement. “Ce sont des politiques de redditions des comptes et elles ne marchent pas. On l’a bien vu dans les pays anglo-saxons: cela mène vers plus d’inégalités.” Elle donne l’exemple d’un enseignant qui serait jugé sur le nombre de réussites de l’épreuve externe du CESS. “S’il sait que s’il est évalué là-dessus, il pourrait ne faire que des tests toute l’année pour entraîner sa classe et laisser le reste de côté.”

Même analyse à l’échelle de l’établissement. “Si l’école n’atteint pas ses objectifs, elle peut être fermée. Alors les élèves qui n’ont pas besoin d’aide seront ignorés, ceux qui sont perdus seront poussés vers la sortie et les enseignants feront tout pour que les autres parviennent à réussir.” Elle pointe tout de même un aspect positif de ce décret: offrir aux profs un aperçu de la santé de l’école. “Réussites, échecs, abandons… On n’avait pas de regard sur ces indicateurs avant.”

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