

En 2023, l’info a de quoi surprendre. Le groupe belgo-suisse Barry Callebaut, numéro un mondial du chocolat, admet sans détour que des enfants sont exploités dans les plantations de sa chaîne d’approvisionnement. Honteux? Honnête? Flash-back. Au début des années 2000, le Parlement américain initie le protocole Harkin-Engel destiné à mettre un terme au travail des enfants dans la filière cacao. Le secteur tremble à l’idée de devoir apposer des avertissements néfastes sur ses tablettes de chocolat et contre-attaque en proposant de s’autoréguler, stratégie bien connue pour freiner les législations contraignantes. En 2016, Barry Callebaut - qui fournit notamment du cacao et des préparations chocolatées aux géants Mondelez, Nestlé et Unilever - se dote ainsi d’un programme ambitieux pour éradiquer le travail des enfants dans ses plantations et sortir 500.000 exploitants de la pauvreté d’ici 2025.
Baptisé “Forever Chocolate”, ce plan avait également pour objectif d’utiliser 100 % d’ingrédients durables à cette échéance. Il n’y arrivera pas. Barry Callebaut se donne donc cinq ans de plus, soit 2030, pour y arriver. Rappelons que la plus grosse usine de chocolat au monde, propriété du groupe, se trouve à Wieze, en Flandre-Orientale. Cité par Belga, Olivier von Hagen, le responsable durabilité de Barry Callebaut, estime à 20 % la part des approvisionnements plus complexes à faire progresser. Ce qui ne signifie pas pour autant que 80 % de ses ressources sont exploitées sans travail des enfants… Dans un communiqué, le groupe précise que 81 % des agriculteurs de sa chaîne ont mis en place des systèmes pour prévenir, surveiller et remédier à ce phénomène. Mais après plus de vingt ans de programmes divers mis en place par l’industrie, le travail des enfants est toujours omniprésent dans les plantations de cacao.
Quelle est actuellement l’ampleur du phénomène? En 2020, l’Université de Chicago menait la plus grande étude destinée à évaluer les progrès réalisés dans les plantations de Côte d’Ivoire et du Ghana (70 % de la production mondiale). Les résultats sont édifiants: 1,5 million d’enfants âgés de 5 à 17 ans travaillent encore dans ce secteur. Et 95 % d’entre eux y effectuent des tâches dangereuses telles que l’utilisation d’outils tranchants, de produits chimiques ou le transport de charges lourdes. Mais ce rapport révèle néanmoins certaines données encourageantes. Ainsi, la prévalence du travail des enfants au sein des ménages producteurs de cacao s’est stabilisée au cours des cinq années précédentes. L’accès à l’éducation s’est par ailleurs considérablement amélioré au cours de la dernière décennie. Cette étude souligne aussi l’efficacité des mesures mises en place pour tenter d’endiguer le phénomène. “Lorsque des interventions multiples ont été mises en œuvre dans les communautés, elles ont conduit à une réduction significative des taux de travail des enfants et de tâches dangereuses effectuées par ces jeunes.” Reste néanmoins beaucoup à faire. Selon l’International Cocoa Initiative (ICI), créée par l’industrie, seuls 20 % de la chaîne d’approvisionnement de cacao en Afrique de l’Ouest seraient couverts par des systèmes efficaces de lutte contre le travail des mineurs. Et de nombreux enfants issus des pays voisins sont enrôlés de force dans ces plantations. L’ONG Slave Free Chocolate estime le prix de vente de ces esclaves modernes à 250 dollars la tête.
À la décharge des géants du secteur, le problème est complexe, multifactoriel, systémique. Le travail des enfants est légion en Afrique de l’Ouest et inhérent à la pauvreté de ses populations. Et la structure de ces exploitations - principalement familiale - complexifie encore la donne. La Côte d’Ivoire à elle seule comptabilise ainsi 600.000 plantations de cacao… Mais le chocolat belge veut y croire. Fin 2018, le secteur a mis en place le partenariat Beyond Chocolate pour rendre enfin durable notre fleuron national à l’horizon 2025. Où en est-on aujourd’hui? “65 % du chocolat belge est déjà certifié ou suivi par un programme de durabilité, se félicite Mieke Callebaut, consultante pour Choprabisco, la fédération belge des chocolatiers. C’est une belle progression car ce chiffre était de 42 % en 2018.” Concrètement? Pour être étiqueté durable, ce chocolat doit être certifié par un label international, comme Fairtrade ou Rainforest Alliance, ou… être couvert par un programme de durabilité implémenté par les industriels eux- mêmes. Or, la lutte contre le travail des enfants au sein de ces programmes applique le système de monitoring de l’ICI, organe, on l’a dit, lui aussi initié par l’industrie.
Nombre de ces programmes sont sans doute louables. Mais les géants du chocolat ne devraient-ils pas aussi mieux rémunérer les petits producteurs pour éviter qu’ils fassent appel à de la main-d’œuvre illégale? Pour l’ONG Slave Free Chocolate, cela ne fait aucun doute. Et de citer le Premier ministre de Côte d’Ivoire: “Les fabricants de chocolat multinationaux ont encouragé les pays en développement à cultiver davantage de cacao, faisant baisser les prix et poussant les producteurs à prendre des mesures désespérées pour sauver leur terre”. Pour Belvas, chocolatier belge, bio et équitable, on ne peut en effet éluder la question du prix. “Au Pérou, nous payons 3.500 dollars la tonne de cacao bio (soit environ trois fois le prix minimum garanti en Côte d’Ivoire - NDLR), précise Thierry Noesen, le fondateur. Et quand je demande aux planteurs si leurs enfants travaillent, ils me répondent que ceux-ci étudient à l’université. Aujourd’hui, il y a 1.000 programmes durables et équitables dans la filière cacao, mais si on ne paie pas le bon prix, on n’avancera pas.”
En Afrique de l’Ouest, le label Fairtrade paie son cacao 20 % plus cher que le prix minimum. Ce qui représente 240 dollars supplémentaires par tonne. “On pourrait aller encore plus loin et payer 1.000 dollars de plus la tonne. Ce qui n’aurait que de faibles répercussions sur le prix de vente: 5 à 10 centimes d’euros sur une plaquette de 100 grammes.” Reste que ce chocolatier reconnaît que la situation en Afrique de l’Ouest est bien plus complexe, notamment à cause des taxes locales et du nombre d’intermédiaires qui se sucrent au passage. Voilà pourquoi ce producteur met en place des systèmes pour rémunérer directement les planteurs, de la main à la main. Mais prône aussi la délocalisation sur place d’une partie du processus de production, comme le broyage des fèves ou la torréfaction. “Si on veut vraiment aider au-delà du prix, il faut transformer le cacao sur place. C’est un gros défi car il n’y a pas assez de structures ni de compétences dans ces zones, mais il faut parvenir à y créer des industries pour augmenter l’offre de travail et les revenus.”
Pour les grandes marques, le prix payé aux fermiers n’est qu’une partie du problème. “Et puis, qu’est-ce que le juste prix?, renchérit Mieke Callebaut. Tout le secteur doit collaborer pour mettre fin au travail des enfants. Les industriels, mais aussi l’UE et les gouvernements locaux qui doivent créer des cadres légaux.” Et de citer la nouvelle directive européenne de lutte contre la déforestation qui entrera en vigueur dès 2024 et imposera une traçabilité et des contrôles sur une série de produits importés dans l’Union, dont le cacao. Après vingt ans de tentatives d’autorégulation, le secteur serait donc prêt à se soumettre à des normes contraignantes. “Cela va rendre les processus d’approvisionnement beaucoup plus complexes, redoute Thierry Noesen, mais comment voulez-vous faire autrement? Face à un tel problème, vous ne pouvez pas faire confiance à l’industrie pour le régler.” Et de rappeler le rôle à jouer par les consommateurs. “C’est le meilleur levier! S’ils achètent du chocolat durable, le marché suivra. Les industriels ne font que répondre à la demande.”
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Le chocolat issu de l’agriculture biologique ne donne a priori aucune garantie sur l’absence du travail des enfants dans sa filière. Celui-ci ne doit répondre à aucune norme sociale. Il a pourtant des bénéfices indirects. Dont celui de mieux rémunérer les planteurs. En outre, les enfants présents dans les plantations ouest- africaines sont particulièrement exposés aux dangers des pesticides. Dans le bio, les seuls produits autorisés sont naturels, donc bien moins toxiques. La fédération belge Choprabisco reconnaît aussi que les plantations bio sont plus contrôlées que les autres, ce qui réduit aussi les risques de travail des enfants. Reste que le chocolat bio ne concerne aujourd’hui que 2 à 3 % du marché. Son prix de vente reste donc encore très élevé. Environ le double d’une tablette traditionnelle.